Parler peu est peut-être une vertu pour un grand homme d'Etat. Nos nabas traditionnels d'antan le savaient, eux qui ne le faisaient que par griots interposés. Mais le silence, dans la société de l'information qui est la nôtre aujourd'hui, peut avoir son revers vicieux puisque cela pourrait s'apparenter à une forme d'indifférence, sinon de mépris.
A ce titre, depuis que ça gronde au sujet du Sénat et de l'article 37, donc sur son avenir et celui du Burkina Faso tout entier, on n'a pas entendu le chef de l'Etat piper mot si ce n'est dans l'esquive, les quelques rares fois où il a fait violence sur lui. Laissant le soin à ses porte-flingues de jouer aux éclaireurs.
Et voilà que mardi dernier, le locataire du palais de Kosyam a fini par fendre l'armure. Certes l'événement à eu lieu à quelque mille kilomètres de là, à Yamoussokro précisément, où le président du Faso a séjourné en début de semaine dans le cadre du «Traité d'amitié Côte d'Ivoire-Burkina Faso».
On sait désormais ce qu'il pense de vive voix de tout ce ramdam qui rythme depuis quelque temps la vie de la nation.
Certes, on ne saurait dire, dans le fond, que cette sortie de Blaise fut un scoop. Car cette marche forcée vers le Sénat a été bel et bien enclenchée, avec son imprimatur. D'ailleurs, n'a-t-il pas réclamé, depuis le quatrième étage de la Fondation Félix Houphouët-Boigny, la paternité de cette nouvelle institution, dont les origines se trouvent dans son programme quinquennal 2010-2015 ? Ce qui fait événement ici, c'est que c'est la première fois et de vive voix qu'il se prononce sur la question.
On l'aura donc compris : la Chambre haute est une colonne d'airain contre laquelle ne peuvent rien les marches-meetings, les pamphlets, les lettres ouvertes ou pastorales. Pas question de machine arrière.
On savait tous en effet que cette levée de boucliers contre le Sénat est un combat d'arrière-garde mené par ses contempteurs de tous bords. Puisqu'ils ont laissé, comme qui dirait, le fantôme entrer dans la maison avant d'en fermer la porte.
La messe est-elle donc dite pour la cause défendue par Zeph et ses camarades ? Tout porte à le croire en écoutant Blaise Compaoré : «Lorsque l'on parle du Sénat, il ne s'agit pas d'une institution que moi, Compaoré, je me suis levé un matin pour dire qu'il faut créer. Non, il s'agit d'une démarche qui est partie d'une annonce que j'ai faite, et la prise en compte de la création de ce Sénat dans mon programme politique pour le quinquennat de 2010 à 2015. C'est aussi à la suite d'un forum que j'ai organisé en 2011 avec toutes les forces politiques qui, en majorité, étaient représentées, avec la société civile, les communautés religieuses et coutumières, lesquelles ont participé à ce forum pour une réforme de notre Constitution. Et j'avais annoncé que ce qui ne serait pas consensuel au cours de ce forum ne serait pas pris en compte. Il s'est trouvé que la création du Sénat a reçu un consensus de ce forum. L'Assemblée est maintenue et maintenant on a l'inscription du Sénat dans la Constitution du Burkina. Nous sommes chargés de veiller à appliquer la Constitution. Le Sénat va donc être mis en place. C'est tout ce que je peux dire. Qu'il y ait des manifestations, qu'il y ait des avis contraires, ce n'est pas seulement au Burkina qu'on voit ça. Mais, jamais, même à Paris, même en Amérique, une marche n'a changé une loi ni la Constitution, ça n'existe pas».
Kosyam a donc parlé.
Ne péchons pas contre l'Esprit. Rendons donc à Blaise ce qui est à Blaise. Ce qu'il dit est vrai dans l'absolu. Démocratie pour démocratie, la rue ne saurait dicter sa loi, même si elle est une forme d'expression de liberté. N'empêche, en bonne démocratie, il y a des moments où il faut savoir tenir compte de ce qui se passe dans la rue.
Puisque le président puise ses références, entre autres, en France, eh bien, restons-y.
En prenant exemple chez nos cousins Gaulois, le président fait sans doute allusion à la récente loi sur le mariage des homosexuels votée par le Parlement français malgré la grande mobilisation rarement égalée d'une partie de l'opinion publique. Les opposants au mariage pour tous, toutes tendances confondues, ont eu beau marcher à se fouler la cheville, le pays être divisé gravement en deux, voire frôler l'insurrection, François Hollande est resté intraitable, droit dans ses bottes. La loi a été votée. Mieux, des mariages entre personnes de même sexe ont déjà été célébrés dans la foulée, à la grande consternation des gardiens de la morale traditionnelle.
Mais pour autant, le primat de la loi ne saurait ignorer royalement ce qui se passe et se dit dans la rue. En l'espèce et toujours dans l'Hexagone, le gouvernement a plusieurs fois fait le deuil de certains de ses projets de loi face à des manifestations d'hostilité. Les exemples de ce genre sont légion.
Ainsi, en 1984 du retrait du projet de loi Savary, du nom de son auteur, Alain Savary. Il visait à intégrer les maîtres des établissements privés dans la Fonction publique. Les parents d'élèves de l'école libre et leurs partisans réagissent par une manifestation monstre à Paris le 24 juin. Le 14 juillet, sur les antennes de la chaîne de télévision TF1, le président Mitterrand annonce qu'il demande le retrait dudit projet de loi.
Ainsi également en 2006 du projet de loi de Dominique de Villepin, alors Premier ministre, sur le contrat première embauche (CPE). Face à la pression des jeunes, le texte a été rangé aux oubliettes.
Mais ne soyons pas naïfs : la machine du Sénat, dont le compte à rebours a commencé avec la réforme constitutionnelle ad hoc, ne peut qu'aller à son terme. Malgré tout ce qui se dit et se fait autour. Mais en fait, c'est moins contre cette institution que manifestent contre tous ceux qui battent le pavé, que l'agenda qui sous-tend sa création.
En effet, si aujourd'hui le Sénat est tenu en méfiance, c'est moins pour son caractère budgétivore que pour l'usage qui en sera fait. Car cette Chambre haute est perçue comme un Cheval de Troie fournissant, le moment venu, aux partisans du déverrouillage la majorité qualifiée pour ce faire. Bref, beaucoup de gens voient le pouvoir arriver avec ses gros sabots.
Respect de la Constitution pour respect de la Constitution, si on avait la certitude que l'article 37 serait conservé dans sa formulation actuelle, cette seconde Chambre serait peut-être passée comme une lettre à la poste.
Alain Saint Robespierre