Auto-emploi des jeunes diplômés: l’exemple d’une réussite

| 03.09.2014
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Auto-emploi des jeunes diplômés: l’exemple d’une réussite
© DR / Autre Presse
Auto-emploi des jeunes diplômés: l’exemple d’une réussite
Trouver un emploi demeure un casse-tête chinois au pays des «Hommes intègres» à tel enseigne que certains étudiants, après leur formation à l'Université de Ouagadougou, sont obligés de mener de petites activités rémunératrices. Lesquelles activités leur permettront d'affronter les problèmes qui se présentent à eux. Afin de mieux comprendre comment ces étudiants mènent commerce et études, nous avons rencontré un étudiant très connu du milieu estudiantin appelé «Doug Saga», Dramane Gnégné à l'état civil. Après sa maitrise en géologie fondamentale et appliquée, il a opté pour la commercialisation et la vente des documents communément appelés «passeport» par les étudiants.

Les Echos.net: Pourquoi le nom Douk Saga?

Doug Saga: C'est un nom qui m'a été attribué quand j'étais en 1ère année. Je venais juste d'arriver de la Côte d'Ivoire. Je m'habillais comme l'artiste ivoirien Doug Saga et j'avais un style idem que lui. Et, ce surnom a coïncidé au moment où l'artiste faisait fureur à travers le monde avec son coupé-décalé. Sinon à l'état civil, c'est Dramane Gnégné.

A quel moment as-tu eu l'idée de t'engager dans cette vente de documents communément appelés «passeport» par les étudiants?

C'est suite au taux très élevé du chômage que je me suis lancé dans cette activité. C'est au moment où le boum minier au Burkina Faso a commencé à donner que mon petit commerce aussi a prospéré. Donc, mon cœur balançait entre les deux: j'ai réfléchi maintes fois et j'ai trouvé que l'activité que je mène n'est pas à confier à quelqu'un car à mon absence il y aura une mauvaise gestion et la société va chuter alors que telle n'est pas ma volonté. Mais, j'envisageais travailler dans les mines dans le but de me procurer un peu d'argent pour renforcer mon commerce. Cela a coïncidé avec une période pendant laquelle les géologues n'étaient pas sollicités. Dans notre promotion, on était environ 200 en fin de formation mais on n'avait pas besoin de géologue sur le marché des mines. C'est ce qui m'a encouragé davantage à me concentrer sur mon métier et c'est à l'issue de cela que j'ai fait venir ma petite sœur de la Côte d'Ivoire et j'ai ouvert un secrétariat tout juste à côté du campus. Nous essayons de gérer les choses ensemble. J'ai commencé cette activité pendant l'année académique 2009-2010, c'est-à-dire à ma 2ème année. C'était à un moment où l'Université de Ouagadougou traversait la crise universitaire. Vu la situation alarmante que vivent les étudiants, jeune étudiant de mon état, j'ai commencé à confectionner les documents afin de me procurer un peu d'argent pour pouvoir subvenir à mes besoins quotidiens surtout les tickets de RU (restaurant universitaire). Peu de temps après, ce job d'étudiant a prospéré. A mes débuts, mes camarades se moquaient de moi mais moi seul savais l'objectif que je m'étais fixé. Peu à peu, je me suis fait une place au niveau de l'UFR/SVT, moi-même issu de cette unité de formation. Vu que tous les étudiants m'appelaient affectueusement Doug Saga, donc j'ai préféré prendre ce nom comme nom de marketing à savoir «douk s@g@ production» avec pour slogan «la session, c'est les autres».

Pourquoi le slogan «la session, c'est les autres»?

Aller en session, je perdrai ma clientèle d'où la devise «la session, c'est les autres» et les autres ce sont ceux-là qui n'achetaient pas mes documents. Suivre les cours et faire le commerce en même temps, ce n'est pas facile. Il y a des cours auxquels je n'assistais pas mais lorsque j'arrivais à la maison, franchement, je mettais le paquet dans la bosse. Il m'arrivait souvent de veiller et venir composer le lendemain. Mais, je me suis débattu jusqu'à ma 4ème année. Mais Dieu merci, j'arrivais toujours à avoir ma moyenne et je ne suis jamais aller en session. J'avais un objectif, mener mon commerce et ne pas reprendre une année ou ne pas aller en session (rire).

Avec combien d'exemplaires as-tu commencé? Doug saga avait-il un bailleur de fonds?

(Il a d'abord soupiré avant de répondre). Au début de mon commerce, je vous avoue que la tâche n'a pas été facile pour moi. Non, je n'avais pas de bailleur de fonds. Etudiant que je suis, je me débrouillais avec l'aide que l'université nous octroyait à savoir le Fonds national pour l'éducation et la recherche (Foner). Par jour, je pouvais tirer 5 000 à 6 000 exemplaires. Et je me retrouvais parfois le soir avec un gain de 15 000 francs CFA ou moins que ça. Le tirage de ces documents varie selon les périodes. Pendant la rentrée académique, c'est surtout les nouveaux étudiants qui achètent plus les documents car ils n'ont pas le choix. En ce moment, pour dénombrer le nombre de documents tirés ce n'est pas facile. On peut veiller pendant une semaine juste dans la reproduction des documents. On peut, par exemple, reproduire des milliers de documents des matières diverses. Je reconnais que la vente des documents n'est pas une chose facile car, il arrive souvent que je n'ai même pas trois heures de temps de sommeil par jour. Tout cela est fait non pas seulement à cause de l'argent mais pour satisfaire ma clientèle.

Quels sont les documents vendus? Et à quel prix?

Il y a des documents de SVT, médecine, pharmacie, etc. Ce sont des fascicules de cours et d'exercices corrigés. Les prix varient selon le fascicule. La plupart du temps, les fascicules d'exercices et le corrigé sont plus coûteux que celui du cours simple. Donc, il y a des documents de 3 000 F, 2 500 F, 1 000 F en tout cas ça varie.

Quel est ton gain journalier?

Pour ce qui est du gain journalier, cela dépend aussi de la rentrée académique. Il y a des périodes pendant lesquelles nous ne gagnons même pas 5 000 francs voire ne rien encaisser. Mais, nous avons décidé de ne jamais abandonner. Par contre, au moment où le Foner est disponible, la moisson est bonne pour nous. Quand les étudiants prennent leur Foner, nous pouvons faire les recettes de 1 000 000 francs CFA par jour. Mais, il y a deux ans de cela, l'instauration du système LMD a bouleversé la vente des documents. C'est difficile maintenant d'atteindre cette somme. Malgré cela, nous arrivons à nous en sortir car on a essayé de diversifier les activités pour pouvoir joindre les deux bouts. A cette activité, Douk saga mène une autre parallèle à savoir celle de la livraison des motos avec des partenaires de la place. Je vends aussi des cartes mémoires, des clés USB, mais je ne maîtrise pas parfaitement ce domaine. Je voudrais bien embrasser ce domaine, non pas pour abandonner la vente des documents mais juste pour une diversité d'activités.

Douk Saga a-t-il obtenu la permission des professeurs afin de reproduire leurs documents et les mettre sur le marché?

Il n'y a pas d'activité sans obstacles. Il arrive souvent que nous ne demandons pas l'avis de professeur avant de reproduire son cours. Certains se plaignent, d'autres par contre à la vue du travail que nous abattons, ils nous félicitent et nous disent que «si tu étais venu me voir, ensemble, on allait apporter une amélioration et tisser une bonne collaboration». Il faut noter qu'à l'Université de Ouagadougou, les professeurs sont vieux et c'est pratiquement les même cours qui sont dispensés chaque année, donc moi je fais un recueil de sujets avec des corrections pour guider les étudiants. J'adapte ces cours et devoirs que le professeur doit donner selon les moments. Et certains étudiants, lorsqu'ils n'ont pas bien cerné les explications du professeur, ils viennent me voir et j'ai le devoir de leur expliquer. Ce qui m'amène vraiment à avoir toutes les corrections des sujets proposés dans ces recueils de sujets afin de donner une bonne image de moi.

Douk Saga aurait-il un conseil à donner à ces jeunes étudiants qui vous lisent?

Pour moi, juste les inviter à mener une grande bataille car, le taux de chômage est très élevé au Burkina Faso. Je n'en veux pas trop au Gouvernement car il ne peut pas employer tous les étudiants en fin de formation. C'est aussi à nous de mener des activités de revenus ou créer nos propres entreprises, même si elles sont petites comme la mienne. Moi, j'ai commencé avec quelques documents mais me voilà aujourd'hui, je suis très fier de mon activité malgré mon niveau d'étude. J'arrive à nourrir ma famille et subvenir à mes besoins avec le peu que je gagne. J'encourage tous ceux qui peuvent s'autoemployer à le faire. Il faut d'abord aimer ce que l'on envisage de faire. Dans mes débuts, mes camarades se moquaient de moi; par la suite, j'ai aimé mon activité et voilà au jour d'aujourd'hui, je n'envie pas un salarié. Tant que le campus sera toujours ouvert, j'aurai de quoi me nourrir.

Propos recueillis par Jude Somé

Les Echos.net

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