Récit: Greve à l'université de Waridougou

| 26.01.2015
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Récit: Greve à l'université de Waridougou
© DR / Autre Presse
Récit: Greve à l'université de Waridougou
Waridougou était la plus grande ville de toute la région. C'était également la ville la plus riche de tout le pays. Son Excellence, l'Honorable Dougoutigui, était le chef suprême du pays. Les gens l'appelaient affectueusement 'le Père de la Nation'. Waridougou disposait d'une université, la plus moderne dans toute la sous-région, dotée d'un personnel de qualité et de tout l'équipement nécessaire.


Le développement économique de Waridougou n'était pas mauvais. Il y avait quelques usines et de bonnes affaires. Quand l'université a été ouverte, tous les étudiants qui y accédaient en sortaient avec succès. Certains sont devenus de grands commis ou autres types de fonctionnaires, avec des véhicules de fonction et un logement gratuit. C'était aux bons vieux temps. La demande d'emploi n'était pas forte, si bien qu'il était loisible à l'Honorable Dougoutigui de trouver du travail aux étudiants en fin d'études, grâce aux quelques usines et affaires disponibles.

Mais aujourd'hui les choses ont changé et les temps sont devenus durs. La population s'est accrue à allure vertigineuse et les possibilités d'emploi sont restées en l'état. L'Honorable Dougoutigui qui n'a pas su anticiper l'évolution des choses, ne croyait plus aux solutions internes qu'il trouvait aux problèmes auxquels son pays était confronté. Il se tourna alors vers des pays lointains pour l'aider à trouver des solutions, comme si ceux-ci n'avaient pas leurs propres difficultés à gérer.

Waridougou IMG 01Il vint un moment où l'Honorable Dougoutigui ne pouvait plus honorer sa promesse, celle de trouver du travail pour tous les sortants de l'université. Avec l'aide de ses amis lointains, une ingénieuse idée lui vint à l'esprit : persuader les jeunes étudiants de retourner à la terre après leurs études. Mais comment allait-il procéder ? Là était le casse-tête de Waridougou.

Premièrement, les parents qui avaient consenti d'énormes sacrifices pour scolariser leurs enfants ne pouvaient pas s'attendre à ce qu'ils reviennent à la terre. Ils espéraient que ces derniers deviendraient des 'têtes bien pleines et bien faites' et mettraient un terme à leurs souffrances quotidiennes. Deuxièmement, pour les enfants eux-mêmes, il était hors de question de penser à une alternative autre que celle de travailler dans un vaste bureau bien climatisé. L'Honorable Dougoutigui se demandait comment amener ces gens à prendre conscience, à comprendre et à admettre que les choses ont changé, que le but ultime de l'école aujourd'hui est d'apprendre aux bénéficiaires à lire et à écrire, à acquérir des connaissances de sorte qu'ils puissent devenir autonomes et se faire une place dans un monde en perpétuel changement. La finalité de l'école aujourd'hui est de mettre fin a l''analphabétisme et à l'ignorance. Il ne s'agit plus de produire des personnes qui ne voient leur avenir que dans des bureaux.

GREVE A L'UNIVERSITE DE WARIDOUGOU (II)

Waridougou IMGLes étudiants en fin d'études avaient formulé des plaintes à l'endroit des autorités au sujet du manque d'opportunités. Ils avaient eu des rencontres avec les assistants du chef suprême. Ils avaient fait des pétitions dans lesquelles ils accusaient le chef suprême d'égoïsme et de manque d'attention à leurs problèmes. Mais tous leurs griefs semblaient tomber dans des oreilles de sourd. Ils se rendirent donc à l'université en vue de mobiliser les étudiants qui n'avaient pas encore fini, pour une marche de protestation. Quand l'Honorable Dougoutigui eut vent de cette marche, il instruisit ses hommes en armes de l'empêcher d'avoir lieu, par tous les moyens.

Ce qui préoccupait surtout l'Honorable Dougoutigui, c'était l'image que les pays voisins auraient de lui si la marche avait lieu. Des forces de défense et de sécurité lourdement armées furent alors positionnées tout autour de l'université, des blindés et des véhicules surmontés d'armes lourdes tout le long du boulevard menant au palais du chef suprême. Mais ayant pris une ferme résolution, les étudiants ont maintenu leur mot d'ordre. Les ordres aux hommes en armes étaient aussi clairs et précis : tout mettre en œuvre pour empêcher la marche et au besoin, mâter les manifestants.

Organisés en trois groupes, les étudiants se dirigèrent vers le palais du chef suprême, scandant des slogans : "Du travail pour tous ! Nous voulons du pain et de l'eau ! A bas la corruption ! A bas la discrimination ! Nous sommes tous égaux, nous exigeons une égalité de chances et de traitement ! "

Ils se retrouvèrent face à face avec une barrière de forces de l'ordre. Ils poursuivirent leur mouvement et les gens en armes demeurèrent stoïques, immobiles. Le commandant en chef des policiers prit un haut-parleur et s'adressa aux manifestants : "Si vous ne faites pas demi-tour, nous allons ouvrir le feu". La réponse des marcheurs se fit entendre, limpide et déterminée : "Tirez ! Nous voici, nous n'avons que nos poitrines et nos mains nues. Tirez ! "

Ce qui suivit fut un tonnerre de coups de feu et l'épaisse fumée qui envahit le ciel. Bien que la police ait affirmé plus tard n'avoir utilisé que du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc, un nombre important d'étudiants étaient par terre, gémissant et hurlant. Certains appelaient au secours et d'autres étaient immobiles. Ceux qui le pouvaient encore prirent la poudre d'escampette. Ils furent poursuivis jusque dans les recoins de la ville. La garde personnelle du chef suprême fut appelée en renfort. Elle arriva avec une méthode différente et plus 'efficace', menant des raids dans les résidences et autres lieux 'suspects', dispersant tout rassemblement et procédant a des arrestations de présumés leaders de la manifestation.

Extrait du recueil de récits Ni au Ciel ni en Enfer (inédit)- Dépôt légal n° 099 – décembre 2000 (revu et adapté – janvier 2012)

Mamadou SAWADOGO
Conseiller pédagogique de l'enseignement secondaire
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