9H00 au départ de la gare de STKK à Ouaga, l'affluence est mesurée. On ne se bouscule pas, il y a assez de places pour tout le monde. Le long car d'environ 70 places est occupé en arrière par des bagages de commerçants et de salariés en situation de déménagement. Le départ s'effectue à l'heure indiquée. C'est un bon signe, pense-t-on. Le trajet sera long, fatiguant et ponctué de plusieurs arrêts. Tout le long des localités traversées, certains passagers descendent pendant que d'autres montent si bien qu'à certains moment, le car a même manqué de places assises obligeant certains passagers à voyager débout. Le trajet est tranquille et même paisible. Boulsa, chef-lieu de la province du Namentenga, est une escale importante. Le car s'immobilise et vide presque la moitié de ses passagers, mais c'est presque autant ou même plus de nouveaux passagers qui montent dans le véhicule. Toutes les places sont occupées et le nouveau cap est mis sur Piéla en passant par Dargo. Les deux arrêts furent à leur tour respectés.
La sérénité rompue
Après Boulsa, environ une trentaine de kilomètres de route, nous apercevons en pleine brousse, de façon inattendue, des hommes en tenue postés sur le côté de la route. Ils sont à peu près cinq avec des armes bien visibles au bord de la route au point que leur apparition a produit un effet dans le car. Les causeries à deux ou à trois s'estompent, certains qui étaient décontractés sur leurs sièges se redressent brusquement. Certains ont cru voir des braqueurs avant de se ressaisir. Il s'agit bel et bien de forces de sécurité, vraisemblablement des gendarmes en patrouille. Notre car continue sa route et la conversation revient à l'intérieur après la minute de silence observée. C'est un nouveau sujet de conversation qui relance la causerie autour de nous dans le car. Un jeune qui est monté dans le véhicule à partir de Boulsa raconte qu'il y a eu un braquage dans la journée à Boulsa. Selon le témoignage de ce dernier, des individus sont venus à Boulsa le même jour aux environs de 9H30. Ils ont braqué un boutiquier qu'ils ont pris en otage et ils sont restés à l'intérieur de la boutique. Les clients qui arrivaient dans la boutique étaient également pris au piège, obligés de se coucher. Ils sont ensuite dépouillés de leurs biens. Ces bandits camouflés dans la boutique ont ainsi eu le temps de prendre ce qu'ils voulaient, à commencer par la liquidité et après ils se sont soustraits non pas discrètement, mais en crépitant une arme à feu en l'air. C'est à moto que les braqueurs ont quitté la ville.
Plusieurs témoignages concordants ont expliqué plus tard que ce braquage en plein jour a concerné plutôt la caisse populaire de Boulsa. Pour ce qui est de la boutique, les faits tels que décrits par le passager se sont effectivement produits dans la nuit qui a précédé le braquage de la caisse populaire. La présence des forces de sécurité sur la route se justifiait donc en partie par ces deux attaques successives qui se sont produits en moins de 24H dans la même localité. La province du Namentenga serait victime de son voisinage avec la province de la Gnagna. Le grand banditisme qui sévit dans la Gnagna se déverse souvent sur ses voisins. Dans le véhicule qui nous conduisait à Bogandé, la majorité des passagers sont des habitués de cet axe. Le témoignage du jeune homme sur le braquage de Boussé ressemblait à une conférence publique vu l'attention qui lui a été accordée par les autres passagers. A la fin de son récit, certains passagers sont visiblement dépités. C'est le cas d'une passagère qui fait un « tchrrrrrr » plein d'anxiété, avant de serrer fortement son enfant contre elle. Et pour terminer, elle adresse en mooré une prière à l'entourage, « Wend na guudi tondo», « que Dieu nous préserve ». C'est dans cette ambiance de demie sérénité que le voyage va se poursuivre jusqu'à destination finale, Bogandé. C'est à 16H que nous foulons le sol de la ville de Bogandé, après 7 heures de route.
Cédric Kalissani
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Histoire d'un braquage
«Mon premier jour dans la Gnagna»
«Je n'oublierai jamais mon premier jour dans la Gnagna», déclare BC. C'était quand ce premier jour?« Le 03 octobre 2011», répondit-il instantanément avant d'ajouter, « c'était un lundi ». Le 03 octobre 2011, une date apparemment gravée à jamais dans un coin de sa mémoire de jeune fonctionnaire qui commence sa mission dans des conditions les moins souhaitables. Pour des raisons de sécurité, nous avons décidé de nommer notre interlocuteur par les initiales BC. Dans son récit, il répète avec insistance qu'il se souviendra encore longtemps de son premier jour dans la Gnagna. C'est son 11 septembre à lui. Les coupeurs de route lui ont administré ce jour un mauvais souvenir. Quand il raconte sa mésaventure, c'est avec précisions. Et pourtant, les faits remontent à 2011. Jeune enseignant nouvellement sorti de l'Ecole nationale des enseignants du Primaire (ENEP), BC a été affecté pour son tout premier poste, dans la province de la Gnagna dont le chef-lieu Bogandé est à environs 130 kilomètres de Fada, le chef-lieu de la région de l'Est. Il était affecté précisément à Samou, un village situé à 45 kilomètre de Bogandé. Il était plutôt enthousiaste et sans a priori sur son lieu d'affectation. « J'avais déjà entendu dire qu'il y a l'insécurité dans la province, mais je ne craignais pas parce que je ne pouvais imaginer que ça pouvait arriver aussi facilement ». Le lundi 03 octobre 2011, se souvient-il, il se rendait à Bogandé pour la prise de service. C'est pour des raisons pratiques, dit-il, qu'il avait choisi de faire la route Fada-Bogandé au moyen de sa moto de marque crypton nouvellement achetée. « Je roulais tranquillement et subitement un monsieur a sauté sur la route avec une arme pointée sur moi ». Il se retrouvait nez à nez avec un agresseur armé qui lui fit signe de s'immobiliser impérativement. Il s'exécuta et on lui ordonna de couper son moteur et de pousser sa moto dans la brousse. Il quitta donc la voie pour la brousse et derrière un buisson, il découvre qu'il n'est pas seul. D'autres voyageurs qui passaient au même endroit avant lui étaient déjà dans les mains des braqueurs. Couchés sur le ventre, ils subissaient une opération de fouille minutieuse. Combien étaient-ils les agresseurs ? La victime est certain d'avoir vu quatre braqueurs avec des armes à feu et de machettes. « Je ne sais pas s'ils étaient seulement quatre parce qu'ils m'avaient interdit de les regarder et même de regarder autour. Tout le monde devait se coucher». Le braqueur qui lui a coupé la route et l'a conduit dans le buisson était court et trapu. Il portait une kalachnikov qu'il avait attachée avec une corde nouée autour de sa ceinture. A son tour, BC est passé aux fouilles. « Ils ne m'ont rien laissé, jusqu'aux jetons, ils ont introduit leurs doigts au tréfonds de mes poches et ont enlevé jusqu'à la dernière pièce de 5f». Après avoir fouillé tout son corps, sa valise a été vidée et tout le contenu a été minutieusement examiné comme s'ils étaient à la recherche d'une minuscule pépite d'or. Les coupeurs, en plus de l'argent, ont pris ses tenues d'habillement qu'ils ont trouvées à leur goût. Avant toute chose, c'est son téléphone portable qui a été premièrement retiré. Toutes les personnes qui ont été arrêtées ont été maintenues sur le lieu, le temps que les braqueurs finissent de fouiller leur dernière victime. Pendant qu'il subissait la fouille, d'autres personnes sont arrêtées et conduites dans le même buisson. L'équipe des braqueurs se partagent les tâches. Deux braqueurs fouillent les personnes arrêtées, une personne, bien armée, surveille l'opération. La quatrième personne s'occupe de la route. Ce dernier, embusqué dans la brousse, surveille les mouvements au niveau de la route qui est juste à côté et c'est celui-ci qui, lorsqu'il sent un passant venir, surgit et coupe la route. Dans 90% des situations, le passager est surpris et cueilli sans défense. Certains tombent carrément de leur monture avant de se relever. Cependant, ce 03 octobre, une personne a pu échapper aux bandits. Selon notre témoin, deux motocyclistes venaient ensemble et au moment où le coupeur a sauté au milieu de la route avec arme au poing, le deuxième motocycliste a eu le temps de faire un demi-tour et rebrousser le chemin. A cause de ce raté qui risquait fort d'alerter d'autres personnes, notamment les forces de sécurité, les braqueurs étaient obligés d'accélérer. Quand tout le monde a été fouillé et le butin mis de côté, les braqueurs ordonnent à chaque victime de refaire sa valise, c'est-à-dire ramasser les effets qui leur restent pour remettre dans le sac avant de repartir. Tout cela s'est passé sous la menace d'une arme bien tenue. Les braqueurs se parlent très peu entre eux. Et quand ils sont obligés de se parler, ils utilisent un seul nom pour s'interpeller mutuellement. La fouille a duré environ 30mn et après les victimes sont sommées de faire vite et de disparaitre. «Hé Karamssamba mane toto (c'est-à-dire Hey l'enseignant fait vite)», c'est ainsi qu'un des braqueurs interpelle BC de se dépêcher pour ramasser ses effets. « Même quand ils finissent de vous fouiller, Ils ne quittent pas le lieu avant vous. Ils craignent que nous voyons la direction qu'ils vont prendre ». Ils mettent la pression sur les victimes afin qu'elles partent ensemble avant que eux-mêmes ne se sauvent après. Le braquage a eu lieu à une soixantaine de kilomètres de Fada, entre les villages de Botou et Sekouantou. Après avoir quitté le lieu de leur calvaire, certaines victimes se sont arrêtées au premier village, Sekouantou, pour remettre un peu d'ordre et reprendre leurs esprits. « C'est à Sekouantou qu'une femme m'a donné 1000F, me disant de prendre pour boire de l'eau». Il n'avait pas une somme importante sur lui. Il avait eu peur surtout pour sa moto qu'il venait d'acheter, mais les braqueurs ne se sont pas intéressés aux engins. Voilà comment ce jeune enseignant a commencé son service de fonctionnaire. Depuis 2011, il est toujours à son poste. Les attaques n'ont pas cessé, mais le concernant, il estime qu'il a beaucoup de chance que son chemin n'a plus croisé celui des braqueurs. D'autres citoyens continuent de souffrir des agissements de ces bandits qui écument la province.
Cédric Kalissani