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Corruption au palais de justice : Le greffier, le jeune commerçant et les 300 000 FCFA

| 27.06.2014
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Corruption au palais de justice : Le greffier, le jeune commerçant et les 300 000 FCFA
© DR / Autre Presse
Corruption au palais de justice : Le greffier, le jeune commerçant et les 300 000 FCFA
Manifestement, certains acteurs de l'institution judiciaire burkinabè sont incorrigibles. C'est à se demander parfois s'il ne faut pas désespérer de cette Justice. Comme si les récurrentes critiques, dénonciations et autres condamnations n'avaient aucune prise sur eux, ces adeptes de la courte échelle poursuivent allègrement leur sport favori, dans le silence des couloirs du palais. Au grand dam de l'institution, plus que jamais discréditée et décriée. Le parcours de ce jeune commerçant en quête de justice, après avoir été victime d'une arnaque de la part d'un agent public, est très illustratif de cet état de fait.

L'histoire de Daouda Kouraogo, jeune commerçant domicilié à Ouagadougou, est à la fois pathétique et révoltante. Exerçant dans le domaine de la papeterie et du matériel de bureau, il avait sa petite boutique au centre-ville de Ouagadougou, à proximité du siège de la SONABEL. Un matin, un agent de cette société, un certain monsieur Bonkoungou, l'accoste pour lui dire qu'il a un ami qui est l'intendant du lycée municipal de Koudougou. Ce dernier serait sur le point de passer une importante commande de matériel informatique pour son établissement et si Daouda Kouraogo le souhaite, il pourrait le mettre en contact avec lui afin qu'il ait le marché. Naturellement, le jeune commerçant dit être intéressé. Et voilà l'intendant, Moumouni Zéba qu'il s'appelle, qui débarque à sa boutique un matin avec 2 bons de commande. Des imprimantes, des disques durs, des tubes d'encre, des serveurs, des graveurs, etc. le tout pour un coût total de plus de 9 300 000 FCFA. C'est ce que l'intendant veut que le commerçant lui livre. Mais celui-ci dit ne pas être dans la possibilité de trouver tout le matériel sur-le-champ. Il demande à son client un délai de 72 heures pour réunir le matériel. Le 2 février 2009 précisément, Daouda Kouraogo réussit à réunir tout ce que l'intendant voulait. Ce dernier arrive de Koudougou avec un véhicule double cabine, embarque le matériel. Pendant que le commerçant s'attendait à un paiement en espèces, l'intendant lui remet plutôt 2 chèques Trésor, conformément aux 2 bons de commande. Daouda hésite pour prendre les chèques mais le compère de l'intendant, le nommé Bonkoungou de la SONABEL qui, étant présent, le rassure qu'il n'a rien à craindre. C'est ainsi qu'il prend les chèques et l'intendant s'en va avec le matériel.

Ticket pour l'enfer !

Daouda venait ainsi de prendre un ticket pour l'enfer. Lorsqu'il se présente quelques jours plus tard au Trésor de Koudougou avec les chèques pour être payé, on lui fait savoir dans un premier temps que le compte n'a pas de provision. Il patiente quelques temps et retourne dans l'espoir de voir ses chèques payés. Grande sera sa surprise. Lorsqu'il présente les chèques au guichet, on le conduit à l'étage, dans le bureau d'un responsable de l'institution. Il s'entendra dire que les chèques en sa possession sont des faux. La signature du proviseur du lycée municipal n'est pas conforme. Manifestement, l'intendant a concocté l'opération d'achat sur la base de faux documents, à l'insu de son premier responsable qu'est le proviseur. Dans l'entrejeu, Daouda apprend que l'intendant est porté disparu. En plus de cette affaire de matériel informatique, il aurait commis plusieurs autres impairs avant de prendre la poudre d'escampette. Dès cet instant, Daouda se rend compte qu'il est dans de beaux draps. Que faire ? Le hic c'est que tout le matériel n'appartient pas à Daouda seul. Il a dû prendre une partie chez certains de ses camarades commerçants à qui il avait promis de remettre l'argent dès paiement. Quelle explication donnée à ces derniers dont certains commençaient déjà à montrer des signes d'impatience ? Daouda réalise qu'il n'a plus qu'un seul recours : la Justice. Il jette son dévolu sur celle-ci en tant que seule voie pour rentrer dans ses droits. Mais grande sera sa désillusion là aussi. 5 ans après, Daouda est loin, même très loin du bout du tunnel. Plutôt que de voir son problème se résoudre, il s'est davantage complexifié. Ses dettes se sont accrues. Près d'un million FCFA. C'est ce qu'il aura dépensé dans les couloirs de cette Justice, entre honoraires d'avocat et autres pots de vin. Sans que sa cause n'avance d'un seul iota.

Un avocat ?

D'abord, il s'est attaché les services d'un avocat. Un certain Me Bouyain. Ce dernier lui exige la somme de 275 000 FCFA, qu'il doit lui verser avant de commencer quoi que ce soit. L'infortuné a beau expliquer qu'il est endetté jusqu'au cou et qu'il supplie l'avocat de bien vouloir défendre sa cause et qu'il lui payera ses droits dès qu'il aura récupéré son argent, ce dernier refuse catégoriquement de marcher. Finalement, Daouda est obligé d'aller contracter une fois de plus une dette. Il réussit à réunir 200 000 FCFA qu'il remet à l'avocat tout en promettant de lui verser le reste dans les brefs délais. C'est à partir de cet instant seulement que l'avocat accepte de s'intéresser au dossier. Il initie le 28 octobre 2009 une requête afin d'injonction de payer auprès du président du Tribunal de grande instance de Ouagadougou. A travers ladite requête, l'avocat exige « que soit rendue à l'encontre de l'Etat du Burkina Faso, pris en la personne du ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, représenté par l'Agent judiciaire du Trésor (AJT), une ordonnance portant injonction de payer la somme de 9 378 000 FCFA. Il demande par ailleurs que « cette ordonnance d'injonction soit revêtue de la formule exécutoire dans les conditions prévues aux articles 16 et 17 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution du 10 avril 1998... ». Le Tribunal de grande instance de Ouagadougou examine favorablement la requête. Le 3 novembre 2009, le vice-président dudit tribunal, Pascal Compaoré, rend effectivement l'ordonnance N°245/2009. Comme demandé par l'avocat, il enjoint à « l'Etat du Burkina Faso pris en la personne du ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique représenté par l'Agent judiciaire du Trésor, de payer à Monsieur Kouraogo Daouda (...) la somme de 9 383 000 FCFA ». Dès le 12 novembre 2009, cette ordonnance est notifiée par voie d'huissier à l'agent judiciaire du Trésor. Celui-ci a un délai de 15 jours pour faire opposition. Le 25 novembre 2009, l'Agent judiciaire du Trésor réagit.

Moi l'Etat ici ? Jamais !

Par acte d'huissier, il signifie à l'avocat de Daouda Kouraogo et au greffe du Tribunal de grande instance de Ouagadougou que « l'Etat burkinabè s'oppose formellement à l'ordonnance N°245/2009 rendue le 03 novembre 2009 par Monsieur Pascal Compaoré, vice-président du Tribunal de grande instance de Ouagadougou(...), tant pour les nullités qui peuvent s'y trouver que pour les tords et griefs que lui cause ladite ordonnance ». Il invoque, entre autres, la violation de l'article 2 de l'Acte uniforme suscité. Selon cet article, poursuit-il, « pour qu'une créance certaine, liquide et exigible puisse donner lieu à une procédure d'injonction de payer, elle doit avoir une origine contractuelle ou émaner d'un engagement résultant de l'émission ou de l'acceptation d'un effet de commerce ou d'un chèque dont la provision s'est révélée inexistante ou insuffisante ». Or, dans le cas d'espèce, remarque l'AJT, aucun contrat ne lie l'Etat burkinabè au sieur Kouraogo et qui pourrait justifier l'origine contractuelle de la prétendue créance ayant fait l'objet de l'ordonnance d'injonction de payer en cause. Naturellement, l'Etat ne reconnaît pas une telle créance. Soutient son représentant. A tout point de vue, constate l'AJT, c'est le lycée municipal ou à tout le moins la commune de Koudougou qui est redevable au sieur Kouraogo et non l'Etat burkinabè qui du reste, n'a rien à voir avec la gestion des lycées municipaux. Par conséquent, la créance dont se prévaut Daouda Kouraogo à l'égard de l'Etat n'a aucun fondement légal et l'ordonnance délivrée à cet effet encourt purement et simplement annulation. Une audience est programmée le 16 décembre 2009 au TGI de Ouagadougou pour statuer sur le différend. Après quelques renvois, le Tribunal finit par trancher.

La désillusion !

Par un jugement rendu le 21 avril 2010, il déboute Daouda Kouraogo de sa requête afin d'injonction de payer comme étant mal fondée. Le jeune commerçant est désemparé. La démarche de son avocat est décriée. Pourquoi a-t-il laissé le lycée municipal et la commune de Koudougou pour diriger son action directement contre l'Etat burkinabè ? Se demandent plus d'un observateur. Mais l'avocat ne s'arrête pas là. Il dit à son client qu'il va faire appel de la décision de justice. Pour cela, raconte le client, il lui exige la somme de 400 000 FCFA. Ce sont les frais d'appel. Aurait-il dit. Daouda Kouraogo a beau dire à son avocat qu'il n'a plus de ressources financières, il ne parviendra pas à toucher la sensibilité de ce dernier. Une fois encore, Daouda se voit obligé d'aller s'endetter. 200 000 FCFA, c'est ce qu'il réussira à réunir pour l'avocat. Et c'est seulement après cela qu'il déposera, apparemment sans grande conviction, un acte d'appel le 3 mai 2010. Puis par la suite plus rien. Les semaines et les mois passent. Daouda ne voit rien venir. Aucune audience en perspective. Lorsque Daouda se réfère à son avocat, pas grand-chose qui transparaît. Après moult relances, explique-t-il, l'avocat finit un jour par lui lancer cette phrase assassine : « On te dit de payer l'argent, tu ne payes pas cash et tu me fatigues... ». Le jeune commerçant ne sait plus à quel saint se vouer. Déboussolé, tout se passe comme si le ciel lui tombait sur la tête.

Un greffier pas comme les autres

C'est dans cette situation de confusion mêlée de déception et de désespoir que Daouda, par l'intermédiaire d'un ami, fait la connaissance d'un certain Me Valéa, greffier à la Cour d'appel de Ouagadougou. Lorsqu'il raconte sa mésaventure au greffier, ce dernier ne manque de compatir à son triste sort et se propose de l'aider. Il promet notamment de faire de son mieux pour faire programmer le dossier à une audience. Pour cela, il lui demande de faire une « proposition ». Le jeune commerçant, croyant avoir là une belle opportunité de voir sa cause avancer, fait une alléchante promesse au greffier. Si l'affaire arrive à connaître un dénouement judiciaire et qu'il a gain de cause, sur les 9 millions qu'il entend percevoir, le greffier aura 1 million. Le greffier marque son accord. Il demande immédiatement au jeune commerçant d'aller retirer son dossier chez son avocat pour le lui remettre. Quelques temps après, le greffier dit à Daouda que son chef demande de verser 300 000 FCFA en liquidité. Il faut absolument trouver cette somme en urgence pour remettre au chef en question. Faute de quoi, l'affaire risque de foirer. Une fois encore, Daouda s'échine pour réunir la somme qu'il remet au greffier. 4 jours après, le greffier l'appelle et lui remet une clé USB qu'il lui demande d'aller remettre à un certain Me Traoré, huissier de Justice à Ouagadougou. Et ce dernier de lui exiger 77 500 FCFA. Que s'est-il passé exactement ? Dans la clé USB, le greffier a rédigé une assignation en référé que l'huissier a juste mis en forme et transmis au Tribunal de grande instance de Koudougou. A travers celle-ci, il assigne la mairie de Koudougou, représentée par le maire, en la personne de Jérôme Zoma, à comparaître le 6 juin 2013 devant le juge des référés. Il entend ainsi voir le juge conclure « à l'existence d'une créance non contestée entre Monsieur Kouraogo Daouda et la mairie de Koudougou, à la situation de trouble illicite et le dommage imminent provoqués par le non-paiement ainsi que l'urgence que nécessite la prise de mesure conservatoire pour les faire cesser ». Il entend par ailleurs voir le juge ordonner à la mairie de payer une provision de 4 500 000 FCFA à Douda Kouraogo. Enfin, il entend voir le juge assortir sa décision de l'exécution provisoire et une astreinte de 50 000 FCFA par jour jusqu'à complet paiement du montant de la provision.

Et la galère continue...

Après plusieurs renvois, pendant lesquels Daouda Kouraogo fera la navette entre Ouagadougou et Koudougou à ses frais, le juge finit par vider sa saisine. La désillusion de Daouda sera encore plus grande. Au détour d'un bref entretien dans le bureau du juge en présence des deux parties, explique le jeune commerçant, on lui apprend qu'il n'est pas la seule victime de l'intendant Zeba. Ensuite, la mairie aurait fait valoir l'argument selon lequel le différend étant lié à un marché public, il devrait d'abord faire l'objet d'une conciliation au niveau de l'Autorité des marchés publics (ARMP), avant toute action en contentieux. Toute chose qui aurait convaincu le juge. Et revoilà Daouda à la case départ. Trop d'argent dépensé. Trop de dettes contractées. Résultat, aucune avancée. Ses créanciers lui mettent la pression. Il ne sait plus où mettre la tête. Il se retourne vers le greffier. Celui-ci, dit-il, lui avait promis qu'en payant les 300 000 FCFA, il aurait gain de cause. Maintenant que les choses ne se sont pas passées ainsi, que son argent lui soit restitué. Mais désormais, pour revoir le greffier, c'est la croix et la bannière. Lorsqu'il parviendra à lui mettre la main dessus, l'intéressé consent à lui rembourser son argent. Mais quand ? Jusqu'à ce jour, l'infortuné poursuit vainement son argent. Nous sommes rentrés en contact avec le greffier. Il ne nie pas avoir pris l'argent de Daouda Kouraogo. Seulemnt, il conteste le montant. Au lieu de 300 000 FCFA, il dit avoir reçu de la part de Daouda seulement 200 000 FCFA. Cette somme représente selon lui les « frais de conclusion ». Il dit avoir voulu aider le jeune commerçant. Il reconnaît aussi avoir promis de lui rembourser son argent. Seulement, il dit ne pas être en mesure de le faire pour le moment. Cette affaire, raconte le jeune homme meurtri dans l'âme, a totalement détruit sa vie. Son activité a été anéantie. Ses relations professionnelles et même sociales en ont pâti. Il a dû brader sa parcelle pour faire face à certains de ces créanciers. Lui et son épouse ont dû se séparer au plus fort de la tempête. Sa fille en est décédée. Et son calvaire se poursuit....

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Moumini Zeba, une triste réputation !

Manifestement, pour un agent indélicat, Moumini Zeba, l'ex-intendant du lycée municipal de Koudougou, en était vraiment un. L'affaire du matériel de Daouda n'est pas sa seule prouesse. Avant de prendre la fuite au mois de mars 2009, il avait réussi à inscrire à son sombre palmarès plusieurs autres hauts faits. Il avait encaissé les frais de confection des tenues scolaires de plus de 300 élèves du lycée qu'il n'a jamais réalisées. Cela avait occasionné, se rappelle-t-on, des mouvements d'humeurs des élèves, afin d'exiger que leur soient livrées leurs tenues ou à défaut, que le lycée rembourse les frais encaissés. Mais il n'y a pas que ça. Il aurait aussi fait main basse sur les frais de vacation de certains enseignants. Soient plusieurs millions FCFA qu'il a ainsi subtilisés pour disparaître impunément jusqu'à ce jour.

BYL

Source:reporterbf

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