Pissy, quartier populaire à l’ouest de la capitale, est réputé pour les actes de criminalité qu’il enregistre. Mais Pissy, c’est aussi un quartier incommodé par des gaz toxiques que les usagers inhalent chaque soir de retour du travail. Plus d’un demi-siècle après, l’exploitation du gisement granitique du secteur n° 27 de Ouagadougou se poursuit. Un gisement rattrapé aujourd’hui par l’extension de la ville. Considéré comme l’une des carrières les plus anciennes du Burkina Faso, la roche granitique a servi depuis le temps colonial dans la construction du chemin de fer Ouagadougou-Abidjan. Situé entre le camp militaire Sangoulé Lamizana et le siège de la SONABHY (Société nationale burkinabè d’hydrocarbures), le site exploité de façon traditionnelle présente un gouffre de plus d’une vingtaine de mètres de profondeur. «L’exploitation manuelle et artisanale du site par les populations a débuté en 1990, après le départ de l’entreprise française», indique Souleymane Korgo, président de l’Association des travailleurs de la roche de Kadiogo. Le site, qui s’étend sur une superficie d’environ 300 m de long et plus de 70 m de large, constitue une source de revenu pour de nombreuses familles de ce quartier. En revanche, l’exploitation purement artisanale fait de cette providence une redoutable menace pour l’environnement, mais également pour la santé des populations riveraines. Classé dans la famille des roches très dures, le granite est utilisé dans le bétonnage et la construction de bitumes. Son extraction artisanale à Pissy contraint les exploitants à l’utilisation des méthodes peu recommandables et très polluantes. Implanté au cœur de la ville et très proche des habitations, le site n’offre aucune possibilité à l’usage des explosifs. L’alternative de l’incinération. Dans le géant tombeau à ciel ouvert, s’échappent des émanations de fumée provenant de brûlures de pneus. La chaleur produit par les brûlures, apprend-t-on des exploitants, provoque la déchirure du granite qui devient facile à fendre à la main. Elle facilite l’extraction des diamètres recommandés par les clients. «C’est pour pouvoir enlever des cailloux plats à un certain diamètre. Pour brûler, on couvre les pneus avec des filets, on met l’argile là-dessus et on allume pour que la fumée ne s’échappe pas. La fumée provoque la déchirure du granite», précise M. Korgo. Les cailloux plats sont destinés à l’habillage des bâtiments. La technique d’extraction consiste chez les exploitants à poser les pneus sur la roche, les couvrir de fibres et du «banco», puis les enflammer pendant au moins trois jours. Au bout de ce temps, le granite se fend et les exploitants achèvent de le casser à l’aide de marteaux. Le granite fendu, de taille large et léger, sert de matériau de construction, à l’instar de briques pour des personnes nanties. Les gros morceaux sont destinés au concassage par les femmes.
Mort à petit feu dans la carrière
Guidés par l’instinct de survie, les ouvriers de la carrière n’ont aucun répit pour leur santé. C’est sans protection qu’ils accomplissent leur tâche quotidienne, ingurgitant poussière et gaz toxiques. «Les gens ne veulent pas porter les masques. Les raisons du refus, certains soutiennent qu’avec la chaleur, ils n’arrivent pas à bien respirer», confie Souleymane Korgo. A longueur de journée, ils exposent leur santé aux infections pulmonaires et autres maladies respiratoires telles que la silicose ou la tuberculose dues à la poussière, mais aussi aux gaz toxiques émanant de l’énorme fumée qui s’échappent de la brûlure des pneus. Inconsciemment, inéluctablement, la mort à petit feu se dessine. Plus d’une vingtaine d’années, c’est le calvaire d’un environnement pollué que vivent les populations du quartier Pissy. La pollution est énorme. «Ce sont des gaz très toxiques», déclare la directrice de l’assainissement et de la prévention des risques environnementaux, Mme Watta Ouédraogo. Les riverains du site ne disent pas le contraire. «Le désagrément perceptible, c’est le moment où on y brûle des pneus pour ramollir la roche, notamment en fin de journée. En ce moment, ça ne fait pas bon à respirer, si quelqu’un se trouve encore dans les environnants», constate Hilaire Kaboré, directeur du département de l’exploitation de la SONABHY. A la carrière de Pissy, ce ne sont pas seulement des gaz toxiques, le chargement du gravier et du sable fin issus du concassage dans les camions ou charrettes crée un phénomène de poussière. A vue d’œil, la carrière s’étend et s’approfondit. La psychose s’installe peu à peu dans les esprits des riverains. «En cas d’éboulement, on ne sait pas jusqu’où cela peut aller », se préoccupe M. Kaboré. Monique Nacoulma, une riveraine, soutient que l’exploitation de cette carrière rocheuse cause d’énormes désagréments aux habitants des lieux. «On sent des odeurs. Lorsque nous sortons pour aller dans les toilettes, on remarque qu’elles sont devenues noires à cause de la fumée. Nous passons tous les jours à respirer cette odeur, à la longue, notre santé est menacée», fait-elle savoir. Et Eric Bonzi de renchérir : «Nous respirons l’odeur tout le temps ici. Cela nous gêne, mais on ne peut pas se plaindre, parce que nous sommes venus les trouver».
Au prix de mille efforts
Selon le chef des travailleurs de la roche, le site compte 1 200 hommes et 1 700 femmes. Il s’agit de concasseuses et de fendeurs de la roche. En cette matinée du 4 juin, nous abordons le périple de la descente dans le grand trou. Gêne respiratoire soudaine, puis le chemin se poursuit. La fumée qui s’échappe çà et là, remplit l’atmosphère d’odeur âcre. Des coups de marteaux retentissent. Les échos métalliques tintent et rythment l’ambiance dans la vaste cavité. Les exploitantes et exploitants, ployant sous le poids du soleil, s’acharnent avec détermination sur les blocs de granite. Pour se protéger des rayons solaires, les concasseuses ont dressé de petits abris couverts en haillons et vieilles nattes. Un peu partout, des pneus d’engins à quatre roues usés par leur usage sur les voies et des collines de fibres pneumatiques exposés. Dans un mouvement de va-et-vient incessant, des femmes, qui ruissellent de sueur, transportent des blocs de granites de l’intérieur du trou vers l’extérieur. Le transport est périlleux. Difficile de grimper les pistes serpentées, surtout muni de charges. A la carrière de Pissy, la pitance s’acquiert au prix de mille efforts pour les femmes. Aminata Kabré est issue d’une famille peu nantie. Elle travaille dans le site depuis une dizaine d’années. Agée de 21 ans, son travail consiste à transporter les blocs de granite de l’intérieur du grand trou vers l’extérieur. Un travail dégradant, mais peu rémunérateur. «Par jour, si je grouille, je peux avoir 500 F CFA. Par exemple, trois plats de petits granites transportés font 100 F CFA. Pour transporter hors du trou, ce n’est pas du tout facile», confesse-t-elle essoufflée. Comme le travail n’est pas facile, poursuit-elle, il y a parfois des maladies telles que des problèmes de cœur, des blessures.
Désœuvrement
L’exploitation de la carrière rocheuse de Pissy pose aujourd’hui des problèmes environnementaux et de santé, mais aussi des problèmes d’emploi et de gagne-pain des exploitants. Contraints par le chômage, de nombreux travailleurs du site déclarent être obligés d’exercer ce travail. Germaine Kouala travaille dans la carrière depuis l’âge de six ans. A dix-huit ans aujourd’hui, elle transporte et concasse le granite. Elle dit travailler sur ce site, par manque d’un autre moyen de subsistance. Quoique difficile pour elle, elle soutient que le travail lui permet de gagner un peu d’argent pour subvenir à ses besoins. Poko Compaoré est vieille. A 64 ans, elle vient passer ses journées dans la carrière aux fins de se frotter aux gens, même si ses forces ne lui permettent pas d’abattre grand-chose. «Par jour, je ne peux même pas finir de concasser un plat de granite. J’ai perdu mon mari, cela vaut maintenant 40 ans. J’ai des enfants, mais elles sont toutes des filles. Comme elles sont toutes mariées, je vis seule. Je n’ai pas quelqu’un à la maison pour me soutenir», confie-t-elle, l’air dépité. Ce travail est difficile, souligne la sexagénaire, mais je n’ai pas une autre activité à exercer. Je viens rester sur le site de la carrière, des gens pourraient avoir pitié de moi et me donner de l’argent. Cela vaut mieux que d’aller mendier sur les voies.
Les autorités presque indifférentes
Le code de l’environnement du Burkina consacre le droit à un environnement sain aux populations. Il stipule que les collectivités territoriales prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer la qualité du cadre de vie des populations de leur ressort…Elles assurent en outre la lutte contre les nuisances sonores, les odeurs incommodantes, les émissions lumineuses vives, les fumées, lorsque celles-ci sont de nature à porter atteinte à la qualité de la vie des populations et des usagers des lieux (art. 85). Cependant, dans la carrière de Pissy, le code n’a pas droit de cité. La situation de la pollution est préoccupante chez les habitants riverains de la carrière. Mais les autorités du pays ne s’en émeuvent pas. D’une source bien instruite du dossier, la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY) aurait écrit une fois au maire de la commune de Ouagadougou qui était, en son temps, Simon Compaoré, ainsi qu’au ministère de l’Environnement et du Développement durable. Mais aucune suite n’a été donnée. «Simon même n’a pas pu les (ndlr: les exploitants) déloger», confie la source, qui ajoute que le site en extension a même touché une partie du terrain de la SONABHY. Pourtant, les autorités communale et gouvernementale n’ignorent pas les risques environnementaux et de santé que pose l’exploitation du site aux populations de Pissy. Sans une remise en état, l’espace restera un terrain inexploitable. Des ONG y viennent pour sensibiliser les gens sur l’exploitation du site. Les autorités en charge effectuent souvent des visites. «Nous nous sommes déplacés sur les lieux. Nous avons vu ce qui se passe là-bas. C’est un travail harassant, humiliant, dégradant. Lorsque j’ai vu ces femmes qui cassent du granite avec des enfants au dos, qui respirent la poussière, j’ai été vraiment choqué et meurtri. Je suis allé les rencontrer pour leur dire qu’ils ne pouvaient pas continuer d’exploiter ce site-là, parce qu’il y a un risque environnemental. Le trou ne fait que s’agrandir et on ne sait pas ce qui peut se passer dans l’avenir, en matière d’inondation, d’éboulement et même de sécurité, parce que la SONABHY est à côté», indique le ministre en charge de l’Environnement, Salif Ouédraogo.Pour le ministre, la protection de l’environnement incombe d’abord aux collectivités territoriales, notamment les mairies. «C’est le rôle des autorités locales. On a décidé de faire la décentralisation, de responsabiliser des comités à la base. Il y a des gens qui sont élus pour cela. Il faut que déjà, dès la base, des gens tirent la sonnette d’alarme pour résoudre ce qu’ils peuvent résoudre. J’ai l’impression que tout le monde constate et accepte la situation. Même s’il faut lutter contre la pauvreté, il faut que le travail soit décent pour soi-même et pour l’environnement», martèle le ministre qui estime, par ailleurs, que la question de la carrière de Pissy devra être une action conjuguée entre son département et les ministères en charge de l’emploi, de la promotion de la femme, de l’administration territoriale et de la sécurité sociale.Précédemment sous tutelle de la mairie de Boulmiougou, la carrière granitique de Pissy relève.
Bakary SON