Pour qui connait les environs du siège de L'Observateur paalga et le grand-marché Rood-woko, l'atmosphère qui y régnait en ce matin du mercredi 16 avril 2014 avait quelque chose d'inquiétant. Déjà, pas d'embouteillage dans la rue Ousmane Sibiri Ouédraogo qui mène au doyen des quotidiens ; aussi, les rues quadrillant le marché, quasiment désertes, laissent passer aisément les usagers de la route. Les moteurs des fameux tricycles ronronnent à peine. Les charretiers, désœuvrés et constitués en petits groupes assis sur leurs «m'meng la
bouanga» (ndlr : «c'est moi-même l'âne» en référence aux charrettes à traction humaine plutôt qu'asine), «chôment». Les quelques rares boutiques ouvertes assurent le «service minimum». Un détour du côté de Rood Woko, et l'on s'aperçoit de l'ampleur du silence. Les parkings sont vides. Sous le hall de la porte principale n°4, excepté quelques vendeurs ambulants s'abritant des rayons
incendiaires du soleil, deux vendeuses de «zoom koom» cherchent désespérément de la clientèle. L'ambiance est morose. Rood Woko, qui habituellement grouille de monde, est désert. Les grilles des boutiques et banques alentours sont baissées. Sur chaque portail du marché est attaché un ruban noir. Le signe est clair : c'est le deuil. Point besoin de rappeler le film de l'événement macabre : un accident de la circulation survenu dans la nuit du 14 au 15 avril dernière sur l'axe Lomé-Ouaga a fait 48 victimes dont 24 Burkinabè.
C'est d'ailleurs le sujet au cœur des débats des groupuscules çà et là autour du grand marché. Nous voilà devant l'immeuble «Bangrin» sis côté Est de Rood Woko. Un jeune commerçant nommé Ousséni Kafando, d'un air grave, déclaré : «Ce qui s'est passé est vraiment affligeant, et nous en sommes profondément affectés. Ils étaient allés à la recherche de la pitance de leur famille, mais ils ne reviendront jamais».
Le doyen du groupe, Ousmane Tiendrébéogo, avec sa barbe blanche, embouche la même trompette : «Ce tragique accident qui a coûté la vie à plusieurs de nos enfants de retour de Lomé nous laisse sans voix». Le moins qu'on puisse dire est que la triste nouvelle n'a pas laissé indifférents les responsables des marchés et yaar de la capitale, Ouagadougou. En effet, ils ont décrété «marché mort» dès 15 heures le jour du drame et toute la journée du 16 avril.
Tous ceux qui ont été interrogés sur ce sujet s'accordent sur le fait que la fermeture du marché traduit une volonté de rendre hommage aux victimes et de compatir à la douleur de leurs proches. Une décision «informelle» prise par les responsables associatifs des commerçants qui ont amené la Régie autonome de gestion des équipements marchands (RAGEM) à fermer officiellement tous les marchés placés sous sa gestion. Selon Bruno Yetta de la RAGEM, cette mesure procède de la sécurisation des biens des commerçants.
La fermeture officielle concerne les marchés Rood Woko, Pag-la-yiri, Wogdog-naab-yaaré (10-yaar), Mankougoudougou, Nabi-yaar, Paas-panga, Baskuy, Zabré-daaga, Sankariaré et les «boutiques rue des écoles». «Nous sommes tristes et compatissons à la douleur des commerçants. Aussi, nous présentons nos sincères condoléances aux familles éplorées et souhaitons prompt rétablissement aux blessés. Puisse Dieu nous épargner de tels événements», n'a pas manqué d'ajouter M. Yetta.
Si la plupart des boutiques dans les environs du grand marché ont fait portes closes, certaines étaient quand même ouvertes à l'image de celle d'Alidou Kiemdé, sise côté Ouest du marché. Mémoire en défense : «Nous sommes tous attristés par ce qui s'est passé. Nous avons ouvert mais nous ne vendons pas ». Puis il fait un plaidoyer : «Notre souhait est que les autorités revoient les prix des billets d'avions à la baisse. Cela permettrait à bon nombre de commerçants de faire les trajets Ouaga-Lomé-Accra-Nigeria en toute sécurité».
Ousséni Kafando et Ousmane Tiendrébogo, précédemment cités, pensent pour leur part que ces accidents ont généralement pour cause les excès de vitesse. Pour ce faire, ils exhortent les conducteurs à plus de prudence. Le premier martèle : «Puisqu'un commerçant ne peut pas s'empêcher de voyager, j'invite les chauffeurs à rouler avec prudence de sorte que les voyages se passent toujours sans drame». Le second d'ajouter: «Certes, on ne peut pas prédire la survenue d'un malheur, mais si les transporteurs évitaient l'excès de vitesse et respectaient le code de la route, bien d'accidents ne se produiraient pas».
La fermeture de Rood Woko a tout de même surpris plus d'un. Kady Ouédraogo, vendeuse de riz et de haricot à proximité du marché, l'a appris à ses dépens. «Habituellement, à cette heure (ndlr : 11h 15) tout est fini et on s'active à amener le repas de midi. Mais jusque-là, je peine à liquider le stock du matin», a-t-elle expliqué avant d'implorer la clémence de Dieu pour les victimes ainsi que sa consolation pour leurs proches. Tout comme Kady, bien des clients repartiront bredouille.
C'est par exemple le cas de ces deux jeunes filles poussant une moto JC et venues faire des achats dans une boutique de textile. Devant les stores baissés, elles n'ont pas voulu se prêter à nos questions. En outre, de grandes surfaces telles que Marina Market centre ville, Scimas et Kastoupri ont baissé leurs grilles.
Selon Inoussa Kaboré, membre de l'Organisation Syndicale des Commerçants du Burkina (OSCB), une délégation, composée des membres de la coordination des mouvements syndicaux, des membres des familles des victimes et du ministère de l'Administration territoriale et de la Sécurité, se rendra très prochainement sur le lieu du drame pour constater de visu ce qui s'est passé. Cette sortie permettra de mieux connaître les identités des disparus. Le mouvement semble avoir gagné l'intérieur du pays, puisque, selon nos sources, le marché de Bobo sera fermé ce jeudi.
Lévi Constantin Konfé
& Jean-Aimé Zougmoré
(stagiaires)
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Encadré
Odyssée pour une liste
Quand un drame de ce genre survient, ce que beaucoup de gens attendent de savoir, c'est l'identité des victimes. Au lendemain de l'accident, aucune liste des victimes n'était disponible. Comme nous avons pu nous en rendre compte à
l'issue d'une odyssée de toute une journée qui nous a conduit de la gare de l'Est à l'aire d'embarquement du car d'El Hadj Ali Segda (propriétaire du véhicule accidenté) sise non loin du palais du Moogho Naaba en passant par le ministère
de la Sécurité et le service d'information du gouvernement (SIG). En vain. Finalement selon nos informations, une délégation du gouvernement, conduite par le ministre délégué chargé des Transports, Baba Diéné, a été dépêchée au Togo. Elle a donc précédé celle des différentes associations et structu-res syndicales des commerçants, qui doit bouger en principe aujourd'hui.
Trop de photos, pas de photo
Tout comme la recherche de la liste des victimes, celle des images de l'accident s'est révélée aussi harassante qu'infructueuse. En témoigne la dizaine de photos différentes des unes des autres trouvées sur la toile et supposées être celles du drame. D'ou notre incapacité à vous en proposer pour l'instant.