Présidence à vie : La tentation du coup d’Etat

| 21.12.2013
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Blaise Compaoré - Président du Faso
© DR / Autre Presse
Blaise Compaoré - Président du Faso
Un coup d'Etat est-il envisageable dans les prochains mois au Burkina Faso ? Cette interrogation devient aujourd'hui légitime au regard du blocage de la situation politique. Certains protagonistes proches du pouvoir, exaspérés par l'échec de la mise en place du sénat, cachent à peine leur préférence pour cette solution inconstitutionnelle pour résoudre la crise. Mais le scénario est très difficile à réaliser et contient surtout beaucoup d'incertitudes.

Les partisans du maintien coute que coute de Blaise Compaoré au pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel (qui prend fin en décembre 2015) ont plusieurs scénarii dans leur agenda politique d'ici l'année 2015. Plusieurs coups de force contre l'ordre constitutionnel sont à l'étude.

Le premier scénario envisagé fait du président Blaise Compaoré l'acteur principal du coup de force, en utilisant des artifices légaux à sa disposition. En effet, un habillage légal serait nécessaire pour masquer la réalité du coup d'Etat. C'est pourquoi, certaines prérogatives constitutionnelles du président pourraient être appelées au secours pour opérer la manœuvre. Dans ce scénario, le président dispose de deux options. La première, l'usage de l'article 50 de la constitution pour dissoudre l'Assemblée nationale. Celui-ci stipule en effet que « Le président du Faso peut, après consultation du Premier ministre et du Président de l'Assemblée nationale, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale... » Mais la mise à bas de l'Assemblée nationale ne suffirait pas pour bloquer le fonctionnement des institutions. Le même article 50 de la constitution ne donne pas toutes les cartes au président du Faso. « En cas de dissolution, les élections législatives ont lieu trente jours au moins et soixante jours au plus après la dissolution. Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections... » Comme on le voit, la simple dissolution de l'Assemblée nationale ne suffit pas parce qu'elle appelle forcément à de nouvelles élections dans les deux mois qui suivent. Or, ce n'est pas l'effet recherché. Pour rendre difficile l'organisation des élections, on ne peut que paralyser les autres institutions comme le Conseil constitutionnel et la Commission électorale.

Provoquer la paralysie des institutions

Pour le Conseil constitutionnel, la révocation de son président pourrait être envisagée. En vertu de l'article 153 de la constitution, celui-ci est nommé par le président du Faso et son mandat n'est pas déterminé contrairement à ses pairs nommés pour un mandat unique et non révocable de neuf (9) ans. Le président de l'institution garante du respect de la constitution se trouve donc dans une position inconfortable, à la merci de celui qui l'a fait roi. On se rappelle qu'en 2009, le président Compaoré avait usé de ses prorogatives pour congédier le président Drissa Traoré. Aujourd'hui encore, il peut rééditer son geste car la réforme constitutionnelle de juin 2012 n'a pas changé le statut de vulnérabilité du président du Conseil constitutionnel. Elle a juste augmenté le nombre de conseillers en octroyant entre autres le pouvoir de nomination au président du sénat.

En démettant le président du Conseil constitutionnel sans en nommer un autre, il paralyse l'institution qui a besoin de son quorum entier pour fonctionner. Pour la Commission électorale, il suffirait simplement qu'une de ses composantes (les représentants de la mouvance présidentielle par exemple) claque la porte pour la rendre inopérante. En neutralisant le fonctionnement du Conseil constitutionnel et de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), on peut se passer de toute élection à brève échéance. Cela laisse le temps de dérouler tout le scénario. Le président ayant joué sa partition, il va transmettre le relais aux forces politiques qui lui sont favorables.

La solution par une structure ad'hoc ?

Le « Front républicain » en gestation lui sera dans ce cas utile. Pour Etienne Traoré, enseignant de Philosophie politique et morale à l'université de Ouagadougou et membre du bureau politique du Parti pour la démocratie et le socialisme/Parti des Bâtisseurs (PDES/Metba), c'est Blaise Compaoré qui a inspiré ce " Front Républicain " qui est maintenant en pleine structuration. L'ex-député croit savoir que « de ce Front pourrait bien sortir un " Gouvernement d'Union nationale" et une " Assemblée Constituante". En tout cas les parties prenantes à ce Front viennent de déposer sur le bureau du Président du " Groupe parlementaire CDP" leurs différentes propositions. » Lancé par le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti au pouvoir) après l'échec de sa marche du 6 juillet dernier, ce Front républicain avait été abandonné entre temps au vu de l'ampleur de la contestation contre le sénat et de son agenda « peu diplomatique ».

Le secrétaire exécutif du CDP, Assimi Kouanda, et les mouvanciers de l'Alliance pour la majorité présidentielle (AMP) avaient en effet commis l'erreur de déclarer urbi et orbi qu'ils voulaient « bâtir un front plus large autour du Sénat et de la relecture de l'article 37 de la Constitution ». Cette profession de foi avait refroidi certains alliés politiques qui avaient déjà ouvertement exprimé, même si c'est de manière timide, leur rejet de la modification de l'article 37 de la constitution. Il s'agit notamment de l'ADF/RDA (qui était à l'époque en quasi dissidence) et des « refondateurs » tels l'UNDD, l'Autre Burkina/PSR du ministre de l'Action sociale Alain Zoubga et du PITJ de Soumane Touré. Cet impair passé et l'accalmie retrouvée, l'UNDD et le PITJ vont ressusciter le Front, de manière séparée.

C'est d'abord le parti de Hermann Yaméogo, l'Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) qui, le 2 novembre dernier, dans son fief de Koudougou, appelle à la constitution du Front en ces termes : « Loin de se présenter comme un succédané de la mouvance présidentielle, le Front Républicain est la résultante d'une vision républicaine et d'un effort d'acceptation de l'autre et de ses idées. Il est une volonté d'innovation des modes de représentation et d'expression politique, notamment par l'indexation forte des offres politiques et sociales sur les enjeux complexes et interférents de la société burkinabè. » Comme on le voit, l'UNDD ne veut pas qu'on considère son Front comme celle déjà exprimé par la mouvance présidentielle. Pour ce parti, le Front sera le creuset où chacun viendra exposer ses idées et son projet de société. Exprimé de la sorte, on ne perçoit pas aisément l'agenda de ses initiateurs. Mais on peut retenir de l'exposé fait par le député de l'UNDD, Benjamin Yaméogo, lors de la conférence de presse du 2 novembre à Koudougou, que le Front envisagé par l'UNDD milite pour la mise en place du sénat ou à défaut la mise à plat de toutes les institutions par la convocation d'une Constituante.

Cette dernière fait partie des revendications de l'UNDD depuis le refus de son président de se présenter à la présidentielle de 2005. Rejointe en 2008 par d'autres partis, l'UNDD a temporisé sur cette revendication pour mettre plus en avant des réformes politiques dans le cadre constitutionnel en place. Aujourd'hui, cette formation politique est la seule dans la faune politique, avec le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) à vouloir d'une Constituante avec des modes opératoires et des contenus certainement différents, voire opposés.

Hermann Soumane

Tandis que le PCRV fait confiance à ses militants pour renverser l'ordre constitutionnel en vigueur pour instaurer de fait sa Constituante, Hermann Yaméogo et ses camarades comptent, eux, sur la volonté de Blaise Compaoré pour parvenir à leur fin. Entre ces deux visions, Soumane Touré du PITJ apporte sa nuance en proposant un Front républicain plus consensuel, à ses yeux, en convoquant l'histoire politique du pays, notamment la période incluse entre le 8 Février 1974 (le coup d'Etat constitutionnel du président Lamizana) et la mise en place de la commission chargée de rédiger une nouvelle constitution. Pour barrer la route à l'instauration d'un régime à parti unique, partis politiques, syndicats et confessions religieuses avaient notamment formé un Front commun. Soumane pense que le temps est venu de faire de même : « Nous invitons (...) toutes les organisations politiques, syndicales, les organisations de la société civile, toutes les composantes du peuple à venir actualiser cette plate-forme de 1975 en y inscrivant toutes les préoccupations de l'heure pour réussir un après Blaise Compaoré, une transition pacifique, républicaine et démocratique.Cette démarche que nous proposons est dénuée de tout calcul politicien ou électoraliste. », déclare Soumane dans Le Pays du 13 novembre dernier. Les différents « promoteurs » des Fronts ont tenu une réunion en mi-novembre dans un hôtel de la place pour harmoniser leurs points de vue sur les missions à assigner au Front consensuel qu'ils espèrent mettre en place. Mais la rencontre n'a pas accouché d'un consensus car certains ont quitté la salle avant la fin de la réunion. C'est encore la question de l'article 37 qui a bloqué les débats. Les avis étaient très divergents sur la question, du moins sur les méthodes de le contourner. Il y en a qui ont prôné le référendum et d'autres qui ne veulent pas du tout que la question figure dans l'agenda du Front.

Le référendum est justement la deuxième option plus ou moins légale envisagée pour passer en force. Mais comme au Niger en 2009 lorsque le président Tandja a cru s'en servir pour assouvir son dessein de proroger son bail, le référendum s'avère inefficace à court ou moyen termes. C'est une option qui cristallise davantage les positions, braque l'opinion internationale contre ses initiateurs et ouvre les voies à l'intervention « messianique » des officiers « courageux » de l'armée.

Diendéré sauvera-t-il Blaise ?

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« Blaise Compaoré avait un plan A, c'était la modification de l'article 37. Maintenant que le peuple et la communauté internationale ont dit non, il prépare un plan B ». C'est l'une des phrases du long discours introductif de Soumane Touré lors de la rentrée politique du PITJ le 30 mars 2012. Cette année, lors de sa rentrée politique, Soumane a défendu bec et ongle la mise en place du sénat qui n'a d'autre but que le déverrouillage de la limitation des mandats présidentiels. On sait depuis les deux démonstrations de force de l'opposition dans les rues de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso le 29 juin et le 28 juillet dernier que la mise en place du sénat est en veilleuse. Cette situation contrecarre les plans des stratèges du pouvoir. Ils sont aujourd'hui très coincés. Ils n'ont plus beaucoup de cartes entre leurs mains. L'échéance de la fin de mandat de leur mentor s'approche inexorablement. Pressés par cette donne, certains n'hésitent plus à prôner un coup d'Etat militaire. Ils auraient approché le général Diendéré pour le sonder. En fin stratège, Diendéré se serait contenté d'écouter, sans plus.

Ceux qui connaissent l'homme pensent qu'il ne marcherait pas pour ce projet, même si son « patron » le lui demandait ouvertement. Tout simplement parce qu'il pourrait penser à une manœuvre pour l'écarter « légalement » du pouvoir en le jetant en pâture à l'opinion publique. Diendéré sait que ses plus farouches « ennemis » se recrutent parmi les officiers du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP), ceux-là qui ont construit, sous sa direction, la garde prétorienne de Blaise Compaoré. Il sait aussi que depuis que ce dernier est à la tête du pays, il a installé une forme de dyarchie pour sa sécurité. Diendéré assure le commandement du régiment, mais la garde rapprochée du président est confiée à une autre personne, généralement sous les ordres du petit frère François Compaoré. Il en a été ainsi avec Hyacinthe et Marcel Kafando. Aujourd'hui, l'augmentation du nombre de soldats commis à la sécurité du frère cadet suscite des interrogations au sein de la grande muette en général et au sein du RSP en particulier. Des dizaines, voire près d'une centaine d'hommes, selon les sources, ont été mis à la disposition du « conseiller spécial ». Dans cette ambiance de suspicion, Diendéré prendrait-il le risque de s'amuser à faire un « faux coup d'Etat » qui se muera vite à un « vrai coup d'Etat » contre sa personne et ses partisans ? Sans oublier qu'une tentative de coup d'Etat pourrait être interprétée par le reste de l'armée comme une seconde mise sous tutelle ? Dans ce cas, personne ne peut prédire la réaction des autres corps de l'armée. C'est cette incertitude qui paralyse Kossyam, plongeant tout le pays dans l'expectative. Finalement, peut-être que le statu quo actuel est la bonne solution. Blaise Compaoré se contente de réaliser son programme présidentiel de 2010 et laisse les appareils politiques se choisir librement leurs candidats pour la présidentielle de 2015.

Abdoulaye Ly

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