Un chef de guerre, une fois le pouvoir conquis, peut-il se servir dans la caisse de l’Etat comme il veut ?

| 25.05.2017
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Un chef de guerre, une fois le pouvoir conquis, peut-il se servir dans la caisse de l’Etat comme il veut ?
© DR / Autre Presse
Un chef de guerre, une fois le pouvoir conquis, peut-il se servir dans la caisse de l’Etat comme il veut ?
Personne ne semble s’en offusquer. A côté de chez nous, il y a un président qui a pris le pouvoir par les armes. Pour encourager ces soldats avant le combat final, on leur a promis de grandes sommes d’argent. Ces soldats ont conquis le pouvoir pour leur chef. Lui, par la suite, il les a oubliés pendant plusieurs années – jusqu’à ce qu’ils prennent leurs armes et fassent un peu de bruit dans les villes autour de leurs casernes. Il panique, et leur promet de tenir parole. Et c‘est l’Etat qui les paie.

A mon avis, c’est du vol. La conquête du pouvoir était une affaire privée – les fonds utilisés pour s’acquitter de la dette qu’il a encourue en faisant la promesse à ses soldats-rebelles doit être remboursée avec son propre argent.

Alassane Dramane OuattaraAlassane Ouattara en 2016 avec son ex-chef, Michel Camdessus, 1987-2000 directeur du FMI

Il était une fois un homme puissant qui s’appelait Alassane Ouattara. Après des études d’économie il a fait carrière au Fonds Monétaire International (FMI) et à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Mais il ciblait plus haut. Et le président-fondateur & dictateur à vie Félix Houphouët-Boigny faisait de lui son (dernier) premier ministre. C’était de 1990 à 1993.

Ouattara voulait plus, il voulait le trône. Mais là, il n’était pas le seul. Et on lui a mis des bâtons dans les roues. Il serait d’origine étrangère, ne serait pas un vrai ivoirien. Ouattara était la raison pourquoi l’idéologie dégueulasse de l’ivoirité a percé, c’est pour l’empêcher de régner qu’on l’a tellement promue. Et Henri Konan Bédié a eu gain de cause – pour quelques petites années, c’est lui qui était chef suprême. Cette «ivoirité» a beaucoup fait souffrir les burkinabè et les malien(ne)s immigré(e)s qui, pour une bonne partie, vivaient en Côte d’Ivoire depuis plusieurs générations – et contribuaient beaucoup à cette production nationale ivoirienne dont tout le monde faisait (et refait aujourd’hui) les éloges.

Commune YopougonYopougon, avec 2 million d’habitants la plus grande commune d‘Abidjan – et c‘était pro-Gbagbo. En 2000 le «charnier de Yopougon» l’a rendu tristement célèbre.

Ouattara n’est pas quelqu’un qui abandonne, pas le pouvoir en tout cas. Mais pour attendre son temps, il est allé vivre ailleurs. Le FMI, pour lui édulcorer son exile, en a fait le directeur général adjoint en juillet 1994. N’oublions pas que le FMI, ensemble avec la Banque Mondiale, veille sur le système financier international, les aspects macros étant plutôt de la responsabilité du FMI et la Banque Mondiale étant un peu plus orientée vers le business. Dans le cadre du «consensus de Washington» (les deux ont leurs sièges là où réside le pouvoir politique des Etats-Unis), ces deux organisations ont, depuis les années 1980, imposé les PAS (programmes d’ajustement structurel) dans le monde entier. Ce qui revient à dire : On ne peut plus néolibéral.

Un néolibéral mué en chef de guerre

Après cinq ans au FMI, 1994-99, Ouattara revient en Côte d’Ivoire fin décembre 1999 – il flaire une chance parce que Bédié a été renversé à Noël par le général Robert Guéï. Mais, pour ce qui est des élections de mi-2000, Ouattara est encore une fois exclu. Le vainqueur, Laurent Gbagbo, par la suite oublie tout son «socialisme» et convertit à l’ivoirité, ethniciste lui-aussi parce qu’obsédé du pouvoir. Le 19 septembre 2002 suivra une tentative de coup d’Etat – de là jusqu’en 2011, le pays est scindé en deux. Les «rebelles» de Ouattara contrôlent la partie nord, les «soldats» de Gbagbo le sud, il y a une guerre civile plus ou moins larvée.

Quand Gbagbo refuse de reconnaître les résultats des élections organisées fin 2010 après beaucoup de pression de la «communauté internationale», la guerre devient ouverte. Et les troupes françaises présentes au pays se mettent ouvertement du côté de Ouattara.

Armoiries Cote DivoireArmories voiriennes. Photo: Prez001 2013

Justice des vainqueurs avec peu de réconciliation

Le 6 mai 2011, Ouattara y est enfin. Il prête serment au palais présidentiel d'Abidjan. Et puis l’économie s’envole – rien de surprenant à cela, c’est ce qui arrive après la fin de tout conflit ou de guerre. Mais Ouattara, il faut le reconnaître, est pour le Monde-Repu (FMI et investisseur étrangers en tête) le garant que rien de «mal» se passera, rien d’anticapitaliste.

Ce qu’on a entrepris en termes de réconciliation dans les six ans qui se sont écoulés depuis la prise de pouvoir de Ouattara, est plus que modeste. Laurent Gbagbo est devant la Cour Pénale Internationale (CPI) à La Haye et son fidèle «général de la jeunesse» Charles Blé Goudé aussi. Simone Ehivet Gbagbo, première des épouses de Laurent, a été acquittée fin mars 2017 de crime contre l'humanité lors de la crise post-électorale – mais elle purge déjà une peine de vingt ans de prison, prononcée en 2015 pour «atteinte à la sûreté de l'Etat».

Du côté des vainqueurs – surprise, surprise – personne n’a été accusé(e) de quoi que ce soit. Pourtant tout le monde sait qu’au temps de la guerre civile, les «com-zone» qui contrôlaient le nord (que deux d’entre eux furent brièvement inculpés fit beaucoup de bruit, mais il n’y avait aucune suite), que ces «com-zone» se souciaient peu des droits humains et régnaient souvent en maitres absolus...

Fidélité sélective

Quand Blaise, soutien et parrain de longue date de Ouattara, est chassé de son trône de dictateur burkinabè après 27 longues années, le président ivoirien lui reste fidèle. Il en fait tout de suite un citoyen ivoirien pour le protéger de toute poursuite légale burkinabè et il le fait résider dans une belle villa d’Etat, frais payés par les contribuables ivoirien(ne)s, bien sûr.

Les rebelles qui avec leurs armes l’avaient hissé sur le trône ivoirien, Ouattara les a traités tout autrement. On leur avait fait de grandes promesses, en cas de victoire. Après la victoire, tout ça est tombé dans l’oubli.

Ou presque.

General BakayokoDeux avant la prise de pouvoir: général Bakayoko inspecte les troupes des Forces Nouvelles

En janvier 2017 les ex-rebelles se révoltent. Y’en a marre ! Ils voulaient qu’on se souvienne d’eux. Et le pouvoir tremblait, paniquait. Ouattara tout propre ne pouvait plus prétendre qu’il n’était que démocrate super-correct et ne s’était jamais sali les mains. A refait surface que c’étaient les armes qui avaient fait de lui ce qu’il est aujourd’hui.

Ouattara se dépêchait et négociait.

Obtus jusqu’à où ?

Et il a promis beaucoup d’argent, on était fin janvier 2017. Douze millions de F Cfa pour chacun des 8.500 ex-rebelles intégrés dans l’armée. 5 de ces 12 millions étaient vraiment décaissés.

L’Etat ivoirien se trouve dans une mauvaise passe financière présentement. Les prix du cacao sur le marché mondial sont beaucoup plus bas que prévus. Et beaucoup de grévistes revendiquent des hausses importantes de leurs salaires. Payer les soldats-ex-rebelles leur dû n’arrangeait pas Ouattara. Il décida d’essayer encore une fois. Il faisait faire semblant de négocier avec les ex-rebelles – et à la surprise générale, le 11 mai, un soi-disant représentant des rebelles annonçait au nom de tous qu’ils s’excusaient beaucoup et qu’ils renonçaient aux sommes pas encore décaissées – quand-même 60% du total. Quel triomphe pour Ouattara !

Mais ça ne marche pas. Une deuxième fois qu’il ne tient pas parole. Et il essaie de feinter tout le monde, de leur forcer la main. Les par deux fois dupés se remettent à tirer dans l’air un peu partout, dans les rues d’Abidjan, de Bouaké surtout... Encore une fois, il y a quelques morts. Et encore une fois, Ouattara plie. Le 16 mai, le gouvernement promet de décaisser tout.

Voyons si cette fois ça tiendra. A-t-il appris la leçon ?

Venait ensuite le tour des démobilisés. Ils seraient 6.000 et chacun réclamerait 18 mio de F Cfa...

Ils se sont trompés de cible, de victimes

Bien sûr que les ex-rebelles en se rebellant n’ont pas bien ciblé. Leur adversaire tout au long était Ouattara, avec toute sa cour. Les habitant(e)s des villes qu’ils terrorisaient pendant quelques jours, n’étaient certainement pas les ennemis qu’il fallait combattre ou même effrayer.

Et comme d’habitude, ce n’étaient pas les coupables qui ont payé le tribut de sang.

La contribution combien précieuse de la «communauté internationale»

L’Union Africaine et diverses autres associations d’Etats sont tout d’abord, on le savait, des clubs de chef(fe)s d’Etat qui entreprennent tout pour qu’on ne diminue aucunement le pouvoir de ces mêmes chef(fe)s d’Etat.

Quand un certain Alain Marcel De Souza, président de la commission de la CEDEAO, le 15 mai 2017 à Abuja, publie une déclaration grandiloquente et lance un appel aux ex-rebelles «pour qu’ils recourent exclusivement aux voies pacifiques qui leur sont ouvertes par les plus hautes autorités de leur pays pour obtenir la satisfaction de leurs réclamations», alors fait-il dans la provocation ? En tout cas, c’est sans-gêne et insolent.

N’aurait-il pas mieux fait de dire exactement la même chose aux rebelles quand ils étaient sur le point d’utiliser leurs armes pour assurer que le pouvoir revienne à Ouattara ?

Photos:

1. Photo 1 par Koaci, 19 mars 2016 Alassane Ouattara et Michel Camdessus au palais présidentiel d'Abidjan

2. Photo 2: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Yopougon_pluie_-_panoramio.jpg

3. Photo 3: Prez001 2013; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Coat_of_arms_of_Ivory_Coast.svg

4. J’ai emprunté le «Monde-Repu» à Nazi Boni, Crépuscule des temps anciens, Dakar/Paris (Présence Africaine) 1962, p.16

5. Photo 4: Zenman, janvier 2009. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:FNCI.JPG?uselang=fr

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