La fière posture néo-libérale, affirmée et assumée par notre Chef de file de l'opposition, offre l'ultime opportunité de clarifier les prises de positions de la classe politique et suivant, de débusquer les incohérences et impostures intellectuelles inhérentes. Dans une chronique parue dans le New-York times du 7 mars 2013, Paul Krugman, Prix Nobel de l'Economie 2008, écrivait ceci à propos des tenants et économistes néo-libéraux : « What the bad predictions tell us is that we are in effect, dealing with priests who demand human sacrifices to appease their angry gods ». Ces deux postures que je rapporte ont le mérite d'être tranchées. L'une de notre nouvelle droite qui se dit néo-libérale, hypostasie la raison économique, surtout celle du plus fort, avec sa foi en la rigueur consistant à balafrer les lois sociales qui, jusque-là, protégeaient les travailleurs et les plus fragiles de la société, les contrats à zéro heure, la privatisation à tous vents des sociétés d'Etat ; cette foi béate en une croissance matérielle indéfinie des sociétés humaines, se veut désormais indépassable.
Le rêve que nous propose l'Honorable Diabré
C'est un oracle sacré : le coût humain, éducatif, environnemental, l'exigence de l'acceptation de sacrifices humains que dénonce Krugman ; ces offrandes, au surplus, sont à consentir de gré ou de force. Cette économie muée en théologie, comme on peut le constater avec Krugman, en retour, génère pour tous, des ghettos, des désocialisations exponentielles. L'Afrique fut la première à expérimenter ce « développement parachuté » de l'étage supérieur comme dirait feu le professeur Ki-Zerbo, par cette moulinette des progrès endogènes des peuples que sont les institutions de Breton Woods. Voilà, ramassé, le rêve que nous propose l'Honorable Diabré. Heureusement, nous avons, comme peuple, une longue mémoire. Monsieur Tollé Sagnon, syndicaliste, laissa entendre opportunément pourquoi la gouvernance néo-libérale, loin d'être un rêve, pourrait être un cauchemar innommable. Il faut en convenir que ce leadership-là cesse immédiatement d'apparaître plus désirable qu'hier. Les peuples sages- nous le sommes- ne reconduisent pas un programme synonyme, pour eux, de doloris ontologia. A contrario, ils cherchent à desserrer cette camisole de fer tissée des sempiternelles réformes néo-libérales, à visée humaine vide. Les Grecs et les Espagnols ne diront pas le contraire, pas plus que les Africains que nous sommes. Il faut se garder de laisser le système néo-libéral corrompre notre imaginaire collectif qui doit rester, exigence morale oblige, solidement arc-bouté sur notre condition de citoyens libres et égaux. Cette liberté et cette égalité sont les uniques souffles de la démocratie que nous voulons bâtir pour nous-mêmes et pour nos enfants. Il est possible, sans se nourrir de l'obsession de défense de l'Etat-providence, inspiré des valeurs d'égalité, de liberté et de solidarité, de concevoir le progrès des peuples sans le dépérissement nécessaire de l'Etat, dogme néo-libéral. Le rejet du Sénat par les néo-libéraux participe de cette sape et de ce recul exigé de l'Etat. Aux Etats-Unis comme au Burkina Faso, le recul de l'Etat, c'est-à-dire des services publics, des institutions jusque dans sa portion congrue, n'assure pas l'enrichissement mécanique de tous. L'égoïsme de chacun, contre Adam Smith, ne peut jamais assurer la prospérité de tous. Par exemple, nous savons chez nous que la société Lobi-Dagari est une société des égaux. Mais cette société ne s'est jamais mise au service de l'arbitraire et des égoïsmes mais plutôt, contre l'arbitraire au moyen du droit naturel de chacun à disposer de lui-même et de sa liberté pour mieux affirmer la fraternité, socle pérenne de la communauté.
Ce consensus social a, de facto, contribué à secouer le joug que le pouvoir colonial ou tout autre, par nature, impose au peuple et partant à rendre difficile, pour tout pouvoir de faire n'importe quoi aux individus. Les colons les appelèrent, avec mépris, sociétés anarcho-démocratiques. Mais au fond, leur édifice des droits et libertés reste le cœur du projet démocratique contemporain en ceci que les sociétés industrielles de l'Occident dominateur depuis seulement le XVIe siècle, cherchent, en ce moment, à se reconcevoir comme sociétés des égaux, au sortir des dégâts causés en termes d'inégalité par le système libéral. Par nos vécus sociaux, nous avons déjà expérimenté cette société des égaux qui est aussi celle des droits individuels, salvaveritate.
En brandissant le drapeau néo-libéral, le chef de file de l'opposition quitte la simple arithmétique électorale
Ceci ne devrait-il pas nous interpeller et nous prémunir contre les impostures que tentent maladroitement de cacher les néo-libéraux çà et là sur le continent ? Si ce que je décris est digne de créance, il importe alors de se demander ce que font les anciens du PAI comme Arba Diallo, des philosophes comme Etienne Traoré, et des révolutionnaires comme Bénéwendé Sankara et Norbert Tiendrebéogo, alignés derrière la figure, pas seulement emblématique mais assurément fière du système néo-libéral, franchise du Burkina Faso ? Est-ce le seuil franchi du défaitisme de la pensée et du courage politique dans notre pays ? Pouvez-vous argumenter que l'avidité et l'égoïsme que prônent le leadership néo-libéral en général et la transformation de la démocratie en outil de propagande aux mains du grand capital pour paraphraser Alain Badiou, sont des amplificateurs du progrès des peuples ? L'obsession néo-libérale réside dans une croissance que nous savons à visée humaine vide. La gauche démocratique, par principe, est hantée comme les enfants du peuple par la peur du chômage et la fonte du pouvoir d'achat. Comment allez-vous concilier d'aussi impossibles chiasmes : être accommodants avec les dogmes auxquels croit le fier néo-libéral et vivre, penser et proposer un programme émancipatoire et humain que réclament votre conscience, votre peuple et vos vrais alliés socio-démocrates du CDP qui vous attendent, depuis le 5 octobre, sur le perron de la Maison du peuple de Ouagadougou, fleurs à la main- hâtez-vous elles se fanent vite- pour renouer avec le dialogue, partager les idées novatrices et mettre tous les choix en débat ? Seules ces retrouvailles donneront un sens à la bipolarisation souhaitée et encouragée contre le cours normal de notre vie politique nationale par l'institution de la chefferie de l'opposition. En brandissant le drapeau néo-libéral, le chef de file de l'opposition quitte la simple arithmétique électorale pour fonder son institution sur l'idéologie. Il ne faut surtout pas rater ce virage. La décantation du paysage politique national est à ce prix. L'alternance pour l'alternance, surtout lorsqu'elle est mue par des thésaurisations de haine, de vindicte interpersonnelle, n'est point un programme. Ou alors, vous, gens de gauche en grande coalition avec les néo-libéraux, publiez votre programme commun de gouvernement. Le peuple souverain tranchera.
Mamadou Djibo, Ph.D.
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