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John Kerry en Afrique : Il tance le petit Kabila et va cajoler Dos Santos. C'est cela la « démocratie » USA ?

| 06.05.2014
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John Kerry en Afrique : Il tance le petit Kabila et va cajoler Dos Santos. C'est cela la « démocratie » USA ?
© DR / Autre Presse
John Kerry en Afrique : Il tance le petit Kabila et va cajoler Dos Santos. C'est cela la « démocratie » USA ?
Du mardi 30 avril 2014 au lundi 05 mai, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a momentanément tourné le dos à l'Europe de l'Est, avec ces vives tensions entre l'Ukraine ou ce qui en reste, et la Russie, pour effectuer une tournée en Afrique. Trois pays étaient au programme de mister John : l'Ethiopie, la République démocratique du Congo et l'Angola. Plus que les questions économiques qui ont été à l'ordre du jour, ce qui aura retenu l'attention, c'est la déclaration du chef de la diplomatie américaine lors de son séjour en République démocratique du Congo.

Sur la présidentielle prévue pour 2016, il a en effet fait la mise au point suivante : «Je crois que [le président Kabila] a clairement en tête le fait que les Etats-Unis d'Amérique sont intimement convaincus que le processus constitutionnel doit être respecté ...C'est ainsi que l'on renforce un pays. Je n'ai aucun doute sur le fait que l'héritage du président Kabila sera défini par les progrès qu'il a faits, en particulier l'année dernière, en vue de la résolution de la question sécuritaire dans l'est du pays, et sur le plan économique ...Les Etats-Unis d'Amérique pensent qu'un pays est renforcé et que son peuple éprouve du respect pour son gouvernement quand le processus constitutionnel est mis en œuvre comme il convient et qu'on s'attache à le faire respecter».

Sans doute, ces propos ont apporté beaucoup d'eau au moulin des Congolais opposés à une éventuelle révision de la Constitution, qui permettrait à Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, de briguer un troisième mandat. Sans nul doute que l'écho de l'appel de Kinshasa résonnera forcément dans les oreilles de dirigeants touchés par l'épidémie de tripatouillite aigüe à l'image de ceux du Rwanda, du Congo Brazzaville, du Burundi ou du Burkina Faso. L'on imagine que dans leurs palais, construits aux normes antialternance, ils doivent bien se sentir morveux, même s'ils ne veulent pas se moucher bruyamment. Même si d'aucuns arguent qu'il s'agit là d'une intrusion dans les affaires intérieures d'un Etat qui se veut souverain, beaucoup ont certainement jubilé, prenant John Kerry pour l'homme providentiel, la voix officielle, que dire, la voix du maître, qui a eu le courage de prévenir qu'il y a une ligne rouge à ne pas franchir.

Mais il n'est cependant pas sûr que l'actuel président congolais, comme du reste tous ceux qui sont adeptes de la philosophie de la tripatouillite, obtempèrent à l'injonction américaine. Cependant, il convient de relever que cette sortie John Kerry trahit un paradoxe typiquement américain. Car ceux-là mêmes - à commencer par les Etats Unis - qui prônent la démocratie à tout vent, ici, sont les mêmes qui font là-bas copain-coquin avec les dictateurs de tous poils. Dans une espèce de pragmatisme et de cynisme politique, ils savent souvent s'asseoir sur leurs principes quand leurs intérêts sont en jeu.

Après avoir critiqué le petit Kabila, n'est-ce pas le même secrétaire d'Etat américain, qui avait enfilé la tunique du parangon de l'alternance en RDC, qui est allé souper en Angola avec son président, Edouardo Dos Santo ? Ce dernier est aux affaires depuis «seulement» 35 ans, pour emprunter la célèbre formule de l'ancien président togolais Etienne Gnassingbé Eyadéma. Aujourd'hui, le chef de l'Etat angolais, comme ceux qui ont fait de vieux os au pouvoir, s'est spécialisé dans la gestion clanique du pouvoir, avec une de ses filles, Isabel dos Santos, qui est classée comme la femme la plus riche d'Afrique. Comble de paradoxe, pendant que son messager était à Luanda, Barack Obama recevait, à la Maison-Blanche, Ismaël Omar Guelleh, l'homme fort de Djibouti. Au pouvoir depuis 1999, ce dernier, toujours élu avec des scores nord-coréens, est lui aussi passé par la case réforme constitutionnelle en 2010 pour briguer un troisième mandat... Mais son pays abritant une base militaire américaine, il peut autant fouler le tapis rouge de la Maison-Blanche qu'aux pieds les principes démocratiques.

John Kerry a sorti la calculette, lui qui est allé en Angola pour «renforcer les investissements américains mais aussi féliciter Luanda, qui préside la conférence des pays des Grands Lacs, pour son rôle dans la résolution des conflits régionaux». Washington est en effet le deuxième partenaire économique de Luanda derrière la Chine. Le pétrole est passé par là. Et pour les Américains, le pays de Dos Santos est un allié «stable et en plein essor» sur le continent africain. Il va de soi que les 35 ans de pouvoir du président ne seront pas à l'ordre du jour. C'est dire que les injonctions de ces Occidentaux valent ce qu'elles valent, eux qui savent suivre le cours de leurs intérêts, même s'ils doivent pactiser avec le diable. L'alternance et la démocratie réelle peuvent toujours attendre. Les meilleurs alliés du Zaïre (du temps de Mobutu) et de l'Irak (de l'ère Saddam Hussein) ont été les Américains. Quand les liens sont rompus, l'ange devient monstre.

Issa K. Barry

 

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