Victime du régime Compaoré : Tondé Adama raconte sa mésaventure

| 03.01.2015
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Victime du régime Compaoré : Tondé Adama raconte sa mésaventure
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Victime du régime Compaoré : Tondé Adama raconte sa mésaventure
Tondé Adama se dit victime du régime Compaoré alors qu'il n'était qu'un activiste de la justice dans son village à Koubri. Exilé en Côte d'Ivoire depuis 2010, il nous raconte sa mésaventure et exprime sa soif d'une justice exemplaire au Burkina Faso.


« Je m'appelle Tondé Adama, je suis né dans le Ziro. J'ai fait mes études primaires à l'école primaire de Bohénou. Plus tard, c'est à Diébougou que j'ai fait la classe de 6è. Je suis arrivé à Diébougou en octobre 1987 et c'est là que j'ai appris l'assassinat de Thomas Sankara. J'ai connu Thomas Sankara, étant pionnier à l'époque. Sa mort nous avons beaucoup découragé.

En 1991, nous avons essayé des camarades et moi, d'empêcher le vote de la constitution qui était sur le point d'être adoptée. Notre action a été de demander aux gens de ne pas sortir voter. J'ai alors été arrêté par la police. A l'époque c'était le Dr Djè Etienne, l'ex-député de l'ODPMT. Je me souviens que Sidwaya et la presse avaient parlé de ce sujet. Après mon BEPC en 1992, j'ai alors pris la direction de Koubri. Là-bas, je me suis consacré au maraichage. Grâce au soutien du monastère, j'ai pu acquérir une moto-pompe qui m'a permis d'arroser mes plantes. Plus tard, j'ai enchainé avec l'élevage, puis une boucherie. Beaucoup de jeunes de Koubri sont passés par moi pour se lancer dans les affaires.

En 2006, un parti du nom de RDB avait présenté M. Félix Compaoré comme candidat à la mairie. Ce dernier avait promis au cours de sa campagne, de s'attaquer au problème de lotissement dans son programme. Rappelons qu'en 99, il y avait eu un lotissement qui n'avait pas profité à la population. Et Félix Compaoré avait promis un second lotissement s'il était élu. Son programme m'a convaincu et je me suis engagé à ses côtés. Nous avons battu campagne à son profit et nous avons gagné. Quand Félix Compaoré a été élu, il a tenu parole. Il avait commencé par un recensement qui a donné un résultat de plus de 2000 personnes. Mais à une semaine de la clôture du recensement, un Conseiller du CDP est venu avec des journalistes qui sont retournés écrire que ce recensement engagé est contesté par la population.

Empêcher les coups d'Etat des maires

Nous avons alors décidé d'organiser une marche de soutien au maire pour apporter un démenti aux écrits dans les journaux. Avant M. Félix Compaoré, cette mairie avait enregistré trois prétendants maires révoqués. C'était, ce que nous appelions à cette époque les coups d'Etat des maires. Tout maire qui n'était pas du CDP, était révoqué chaque fois qu'il y avait un problème. Pour éviter qu'on débarque notre maire, nous avons alors décidé de prendre le devant des choses à travers la marche de soutien. Nous avons sillonné les 20 villages afin que chaque village réunisse 20 à 30 personnes pour la marche. La marche s'est déroulée un samedi.

Mais la veille, le préfet a tenté d'interdire cette marche. Nous avons dû le dissuader de nous autoriser à marcher. Il a fini par accepter et nous avons donné des consignes fermes pour qu'il n'y ait pas de dégâts. A 22 heures, la veille de la marche, un Conseiller municipale du CDP m'a appelé et à demander à me voir. Je suis donc allé le voir, il m'a demandé de faire annuler la marche sinon qu'il allait me créer des problèmes. Je lui ai dit que les carottes étaient cuites et qu'il n'était plus possible de faire marche-arrière.

Nous avons eu plus de 2000 personnes à cette marche de soutien au maire. La presse en a rendu compte. La marche a été pacifique et a pris fin autour de 16 heures. Et nous nous sommes retrouvés à la place Naaba Kiba pour prendre un pot. Nous étions fiers de nous. Curieusement, le lendemain matin nous apprenons qu'un véhicule a été incendié lors de notre marche. Autour de 8 heures, une autorité de l'ancien régime était déjà sur les lieux et à procéder à l'enlèvement à l'aide d'un porte-char du véhicule brûlé. C'est là que nous avons tous appris que la voiture appartenait au Conseiller municipal du CDP qui m'a approché la veille de la marche. Ce dernier est allé sur des antennes de radios pour accuser les manifestants d'avoir incendié sa voiture.

Je me suis demande comment cette voiture a été brûlée et pourquoi sans aucune enquête on accuse les manifestants. Toute de suite j'ai vu venir des soucis. La même nuit, aux environs de 1 heure du matin, mon portail a été fracturé par la police. La police avec à sa tête le commissaire de Koubri sont venus jusqu'à chez moi pour m'arrêter. J'ai alors été menotté et amené sous les yeux de ma femme et de mes enfants.

Non loin de chez moi, nous avons retrouvé les 5 autres personnes avec lesquelles j'ai organisé la marche. Elles aussi, étaient menottées. Nous avons été conduits à Ouagadougou où nous sommes arrivés à 2 heures 30 mn du matin. Nous avons été séparés dans des cellules différentes. Le cinquième jour, j'ai aperçu de ma grille le maire Félix Compaoré accompagné de l'ex-ministre d'enseignement de base. Le sixième jour, les 5 autres ont été libérés sans procès. Je suis resté seul, pendant deux semaines. Puis le commissaire est venu un matin me dire que je suis en liberté. J'ai alors demandé s'il avait retrouvé le vrai coupable de l'incendie de la voiture. Le commissaire m'a dit que je suis un politicien et que la chance d'un homme politique c'est la prison sinon c'est la mort dans des cas pareils. «Ceux qui m'ont autorisé de t'arrêter, sont les mêmes qui m'ont autorisé à te libérer», m'a-t-il dit. Le commissaire m'a dit de partir parce qu'il ne souhaitait pas être affecté à Dori. Je l'ai compris et je suis parti parce que ce commissaire avait les mains liées. C'est ce même monsieur qui est aujourd'hui le commissaire central de Ouagadougou.

L'option de l'exil

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A mon retour à Koubri, j'ai été accueilli dans la joie. Mais, après deux semaines d'absence, sans irriguer ma plantation de banane et de papaye tout était gâté. La moto-pompe que j'avais acquis à 850.000 était aussi en panne. C'est le jour où le mécanicien devait venir la réparer que j'ai été arrêté. J'étais abattu de voir mon investissement détruit. Le découragement est parti de là.

J'ai alors voulu aller me plainte et raconte mon histoire à la presse. Je suis allé au commissariat deux fois pour dire que j'étais menacé verbalement par des gens. Je n'ai pas eu gain de cause. Sous l'ancien régime, pour être commissaire, préfet, ou autres, il fallait être CDP. J'étais menacé et la police ne pouvais rien faire, même la gendarmerie m'a dit que mon cas les embêtait beaucoup. C'est un gendarme qui m'a conseillé de m'éloigner de Koubri. C'est sous les conseils de ce dernier que j'ai jugé bon de quitter le pays momentanément.

En 2010, j'ai alors pris le chemin de l'exil vers la Côte d'Ivoire. Pour le dossier de l'incendie du véhicule, nous sommes allés même rencontrer Me Farama. Mais ce dossier est resté sans suite.

Je voudrais rappeler également que j'étais le Secrétaire général de l'association des parents d'élèves (APE) de Koubri. Pendant 2 ans, le bureau n'avait pas dressé de bilan. Au moment où je me battais pour que le président de l'APE fasse un bilan, le préfet a pris la décision de dissoudre ce bureau, sans motif. J'ai alors compris qu'il cachait quelque chose. Après la dissolution de ce bureau, ils ont mis en place un autre bureau provisoire composé de beaucoup de jeunes du CDP. La même année, ma fille a eu le BECP et a été chassée du lycée, de sorte que je ne sois plus lié à l'APE. J'ai dénoncé cela dans le journal Le Pays. Cette fille a eu le BAC en 2013 et est aujourd'hui à l'ENEP à Bobo Dioulasso.

J'avoue qu'à cette époque, j'avais honte d'être burkinabè. Parce que si tu n'étais pas CDP tu n'avais pas des droits. A preuve, deux semaines après mon départ en exil, le maire Félix Compaoré a été révoqué. Huit mois après, celui qui lui avait succédé a aussi été révoqué et finalement la mairie est revenue au CDP. De 2006 à 2008, le CDP est parvenu à prendre la mairie par des manœuvres dont ce seul parti avait l'art. Le Conseiller municipal dont la voiture a été brûlée s'est vu remplacer cette voiture par une Mercedes deux semaines après notre libération. Ce dernier m'a lancé cette boutade : «ramper autour d'une rivière vaut mieux qu'autour d'une montagne». Il se trouve être aujourd'hui le premier adjoint au maire de Koubri. Ce monsieur a pourtant travaillé aux impôts sans passer par un concours. Ce que ce monsieur a construit à Koubri même en étant ministre pendant 20 ans, vous ne pouvez avoir ses réalisations.

Ma joie de la chute de Compaoré

Le jour où Blaise Compaoré est tombé, j'ai dansé au point de me casser la jambe. Je rends hommage aux martyrs qui sont tombés pour la libération du peuple burkinabé. Si j'étais au Burkina à cette occasion je serais parmi les martyrs. Que Dieu divise les péchés de ces martyrs par le nombre de burkinabè et les laisser entrer au paradis. Ils ont libéré le Burkina. Je prendrais volontiers si cela était possible 10% des péchés de ces martyrs. Ils nous ont sauvés, ils ont sauvé le Burkina Faso.

Attention aux lionceaux

Aujourd'hui, c'est vrai que le lion Blaise Compaoré a été chassé de la forêt mais je crains qu'il y ait des lionceaux. Blaise est parti mais il a laissé derrière lui de nombreux lionceaux insoupçonnés. J'ai soif de la justice. Que ceux qui ont des comptes à régler avec la justice soient poursuivis et que ceux qui doivent être blanchis-le soient. Je crains pour le MPP, parce que ce parti va accueillir tous les rejetons du CDP et se croira obligé de les protéger. Que tu sois fonctionnaire, commerçant si tu n'étais pas CDP tu ne peux pas prospérer. Même si tu étais mendiant que tu n'es pas CDP tu n'auras rien. Le MPP s'est confessé avant la mort politique du CDP. Je pense que ce parti a 90% de chance de prendre le pouvoir en 2015. La campagne leur sera acquise parce que cette masse paysanne ne regarde pas toujours un programme de société avant de voter. Ce sont les tee-shirts et les billets de banque. Dans un pays où quand le chef du village choisit son camp tous les autres suivent, on ne peut pas parler de démocratie. Mais je crains qu'avec le MPP, l'on assiste au revenant du CDP.

Propos recueillis par Jean François Fall

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