Travail des enfants : Le mal caché des vergers du Kénédougou

| 23.08.2013
Réagir
Travail des enfants : Le mal caché des vergers du Kénédougou
© DR / Autre Presse
Travail des enfants : Le mal caché des vergers du Kénédougou
La commune urbaine de Orodara est située dans le bassin fruitier du Burkina Faso qui comprend les régions des Hauts-Bassins et des Cascades. L'arboriculture fruitière constitue la principale source de revenus de sa population et la mangue représente la production fruitière la plus importante. Mais, autour de la mangue est né un phénomène qui gagne du terrain : le travail des enfants dans les vergers. Pour mesurer l'impact de ce phénomène qui défraie la chronique, ces dernières années, nous avons rencontré les différents acteurs intervenant dans la filière mangue.

Il est 8 heures, un jeudi matin à Orodara, ville de production fruitière par excellence au Burkina Faso, d'où son appellation de « verger du Burkina ». En ce mois de juillet 2013, l'hivernage bat son plein. La veille, une grosse pluie est tombée sur la cité. La quasi-totalité de la population est préoccupée par les travaux champêtres.
Dans la ville, un calme plat règne, à l'exception de la zone commerciale. C'est dans cette ambiance morose que les enfants vaquent à leurs occupations quotidiennes, notamment la cueillette et le ramassage des mangues dans les vergers. Une pratique ancienne à Orodara.
Dans la province du Kénédougou, la commune urbaine de Orodara n'est pas la seule à vivre ce phénomène. Il y a aussi les communes de Koloko, Kourinion, Samogohiri et Kangala. En effet, ils sont nombreux, les enfants de 6 à 14 ans, à se livrer à cette activité pendant les vacances. Elève en classe de CE1, Ibrahim Traoré et ses amis ne vont pas au champ pour aider leurs parents. Ils ont en projet d'aller cueillir et ramasser des mangues dans un verger pour se faire un peu d'argent. Ils signent donc un « contrat » avec un commerçant de mangues, du nom de Hamidou Bélem.
Le marché est conclu, et c'est à la place du marché que la vingtaine d'enfants embarquent dans un camion-remorque. Dans un recoin du véhicule, sont entassés des paniers en feuilles de rônier, qui serviront au ramassage des mangues. Le cap est mis sur Fôn, un village situé à quelques encablures de Orodara. Malgré le mauvais état de la voie, le voyage se déroule bien et le véhicule arrive à destination, après seulement 30 minutes de route. Dans un français approximatif, le commerçant explique que le travail de ces enfants consiste, non seulement à cueillir les mangues, mais aussi à les ramasser pour les charger dans le camion.

1000 et 2 500 FCFA par jour

A combien sont-ils payés ? Selon M. Bélem, il n'y a pas un montant fixe. Il ajoute que les enfants peuvent toucher quotidiennement entre 1000 et 2 500 FCFA. Mais, d'autres témoignages révèlent que les sommes perçues par les enfants sont dérisoires par rapport au travail qu'ils abattent sur le terrain. Dans le temps, a-t-on appris, certains d'entre eux percevaient entre 500 et 750 F CFA. Le 18 juillet 2013, des enfants de la ville de Orodara (des filles et garçons en bas âge), tous des scolaires, ont été interceptés à Banfora, dans la province de la Comoé, par la police. Ils se rendaient à Sindou, dans la province de la Léraba, pour le ramassage des mangues et voyageaient à bord d'un camion non approprié. Le travail des enfants dans la filière mangue est donc une véritable préoccupation. Les provinces voisines, telles que la Comoé et la Léraba, ne sont pas non plus épargnées par ce phénomène qui repose sur les valeurs et les pesanteurs socioculturelles.
Les raisons économiques, notamment la pauvreté des parents, sont la principale cause avancée pour justifier une telle pratique. Les enfants sont exploités dans les vergers, en vue d'augmenter les revenus de leurs parents, ou tout simplement, pour se prendre en charge parce que les parents sont si pauvres qu'ils ne peuvent pas s'occuper d'eux. La plupart des enfants interrogés évoquent ainsi, le besoin d'argent. Nafissatou Traoré, 8 ans, souligne que l'argent qu'elle gagne est remis à ses parents pour les besoins de la famille. Quant à Ibrahim Traoré, 11ans, il dit acheter des habits neufs et des fournitures scolaires avec sa paye Selon l'association « SOS enfants », plus de 60% des enfants qui travaillent dans la filière mangue à Orodara ont au moins 14 ans, et 40% d'entre eux sont des filles. Ces enfants sont convoyés dans les vergers dans des gros camions, des tricycles et même sur des charrettes. Ils travaillent souvent jusque tard dans la nuit. Outre la pauvreté, certains enfants affirment mener cette activité par simple plaisir. C'est une sorte de passe-temps pour eux. Et le fait de voir leurs camarades aller dans les vergers, leur donne envie de les suivre.

Exposés à toutes sortes de risques

Les enfants qui travaillent dans les vergers vivent des conditions effroyables. Ils sont exposés à de nombreux risques : accidents de la circulation, piqûres d'abeilles, de scorpions, et morsures de serpents. Agé de 11 ans, Issa Koné raconte qu'il lui arrive parfois de passer un, deux, voire trois jours en brousse. « La nuit tombée, nous dormons à la belle étoile, sans aucune protection. Les uns à même le sol et les autres sur les mangues cueillies ou sous des camions », affirme-t-il.
De son côté, Lassina Barro précise que certains employeurs leur apportent à manger et à boire. Mais à défaut de nourriture, les enfants sont obligés de s'empiffrer de mangues, d'où de fréquents maux de ventre chez certains d'entre eux. Lassina Traoré, un autre enfant indique qu'en cas de pluie, ils sont sans abri. A cela s'ajoutent le froid et les embourbements de véhicules, en pleine brousse et souvent tard dans la nuit. « C'est un véritable calvaire quand il y a embourbement, parce que nous déchargeons toutes les mangues contenues dans le véhicule embourbé et nous les transférons dans un autre camion. Et à la fin, lorsque nous exigeons d'augmenter notre salaire pour une double prestation, on refuse. En ce moment, nous faisons recours à la police ou la gendarmerie qui nous aide à entrer en possession de notre dû », raconte Lassina Traoré. Certaines sources indiquent également que les enfants, notamment les filles, sont souvent victimes d'abus sexuels.
A en croire un commerçant de mangues de la place qui a requis l'anonymat, "les enfants constituent une main-d'œuvre facile et moins chère". En outre, il avance que "les enfants ne sont pas très exigeants comme les adultes". Mamadou Ouattara, qui joue le rôle d'intermédiaire dans la filière fruits à Orodara, est contre l'utilisation des enfants. Selon lui, ces derniers ne sont pas aptes physiquement, à accomplir la tâche à laquelle ils sont soumis.
Par ailleurs, le phénomène a des répercussions négatives sur leur scolarité. Et ce n'est pas Antoine Nyampa, directeur de l'école « C » de Orodara, qui dira le contraire. Il soutient en effet qu'il arrive que des élèves désertent les classes, pour aller ramasser des mangues ou charger des camions. Toute chose qui entraîne l'abandon des classes et aussi la baisse du rendement scolaire. Au mois d'avril 2013, raconte M. Nyampa, à l'école ''C'', et plus précisément dans la classe de CM1, la maîtresse a constaté huit absences. Interpellés, les parents ne savaient même pas où étaient allés leurs enfants. C'est par la suite que l'on a appris qu'ils étaient à Kankalaba, une localité située dans la province de la Léraba, pour y ramasser des mangues.
A l'école Benkady, c'est le même son de cloche, affirme le directeur Gnazé Sessouma. Dans cette école, révèle-t-il, les absences et la baisse de rendement scolaire sont légion pendant la période des mangues. A en croire M. Sessouma, les parents sont en partie responsables de cette situation. En effet, certains enfants disent avoir été autorisés par leurs parents à mener cette activité.
Les conséquences liées à cette situation, selon Babou Nagalo, chargé de projets à l'association « SOS Enfants » de Orodara, sont désastreuses, parce que les élèves se voient obligés d'interrompre ou d'abandonner leurs études, pour se retrouver ensuite dans la rue. Le point focal de l'ONG « Voix de femmes » à Orodara, Philomène Kaboré, se souvient même d'une tragédie survenue sur la route de Sérékéni, il y a quelques années de cela. Un camion, raconte-t-elle, était allé en brousse pour charger des fruits. Au retour, il est tombé avec tout son contenu, notamment des fruits, des enfants et du fumier. Le bilan faisait état de pertes de vies humaines et de blessés graves.

Un mal nécessaire ?

Malgré l'interdiction des pires formes de travail des enfants, le mal persiste. Comment y mettre fin ? La question fait l'objet de nombreux débats au niveau des acteurs de la filière. Pour sa part, Kalifa Traoré, un producteur de mangues, pense que c'est une chose difficile, car cette pratique permet à certaines familles de subsister. Patrice Traoré, un habitant de la cité du Verger, est du même avis : « C'est une pratique que nous sommes nés trouver. Il est difficile d'y mettre fin. Même moi, je suis passé par là », soutient-il. Cependant, d'autres personnes estiment qu'il faut purement et simplement l'interdire. C'est le cas de Zessouma Millogo : « Je suis contre le travail des enfants dans les vergers, et je souhaite qu'on y mette fin », a-t-il déclaré.
Au regard de la complexité de l'ampleur et de la sensibilité du sujet, le directeur provincial de l'action sociale et de la solidarité du Kénédougou, Drissa Dao, se dit impuissant, à cause du manque de moyens. « L'objectif pour nous n'est pas d'éradiquer définitivement le phénomène, mais plutôt de travailler à permettre aux enfants victimes de rentrer dans leurs droits », a-t-il souligné. Pour ce faire, il propose de sensibiliser les producteurs, les commerçants de mangues, ainsi que les intermédiaires, à ne plus recruter mineurs. Pour Babou Nagalo de l'association « SOS Enfants », on ne doit pas combattre toutes les formes de travail des enfants dans la filière mangue. Il a cité le cas d'un enfant qui travaille aux côtés de son père, dans le verger familial. Selon lui, la participation des enfants à certains travaux de famille joue un rôle dans l'éducation de ces derniers. Toujours est-il que des initiatives ne manquent pas pour dissuader les enfants à abandonner l'école.
En 2004, par exemple, l'association « SOS Enfants » de Orodara, en collaboration avec « Aide à l'Enfance-Canada » et le Centre de solidarité Internationale, a mis en place une librairie communautaire, afin de permettre aux enfants indigents de se procurer les fournitures scolaires à moindre coût. L'Association des mères éducatrices (AME) de l'école Benkady a également entamé depuis un certain temps, dans les salles de classe et dans certaines familles, une campagne de sensibilisation aux grossesses indésirées en milieu scolaire et au travail des enfants dans la filière mangue. Ce qui a valu à sa présidente une attestation de reconnaissance de la part du Ministère en charge de l'éducation nationale et l'UNICEF. Le phénomène est aussi connu des responsables chargés de la sécurité au niveau provincial. « Les enfants viennent vers nous lorsqu'ils ont des problèmes d'argent avec leurs employeurs. Aussitôt saisis, nous faisons appel aux parents et à l'employeur pour une résolution à l'amiable, afin que les enfants entrent en possession de leurs droits », déclare le commissaire Boureima Sawadogo, directeur provincial de la police nationale du Kénédougou. Habituellement, lorsque ses éléments aperçoivent des enfants dans les véhicules qui vont pour le ramassage des mangues, ils les font descendre. Pour sa part, le premier adjoint au maire de Orodara, Nazaire Konaté, propose une meilleure organisation des acteurs de la filière mangue, afin d'éviter tous ces problèmes.

Apollinaire KAM
(AIB/Kénédougou)

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité