Tenkodogo : Les raisons d’un conflit historique qui a failli dégénérer

| 01.10.2013
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Tenkodogo : Les raisons d’un conflit historique qui a failli dégénérer
© DR / Autre Presse
Tenkodogo : Les raisons d’un conflit historique qui a failli dégénérer
Le calme est revenu dans la cité de Tenkodogo depuis le dimanche 29 septembre 2013, après les événements malheureux observés la veille, entre les partisans de Sa Majesté Naaba Saaga, roi de Tenkodogo, et ceux du Naaba Kokobré, chef de Samandin de Tenkodogo, suite à une intronisation de six chefs coutumiers dans six villages Bissa par ce dernier. Cet incident a occasionné trois blessés légers et l'interpellation de 17 personnes qui ont toutes été libérées. Afin de mieux comprendre les raisons de cette querelle coutumière qui semble n'être pas une première dans cette ville frontalière, nous avons approché les différents protagonistes. Lisez plutôt !

J'étais en train de terminer l'écriture de mon dernier reportage de la semaine et entre-temps, j'entends mon chef délégué en charge des reportages me lancer cette phrase : « Le soldat, désolé, y a personne. C'est finalement toi qui vas aller couvrir les événements de Tenkodogo ». Une heure après cette annonce, j'étais en gare pour le départ avec cette peur bleue au ventre de me retrouver dans cette ville sous tension et sous couvre-feu. Après 2 heures 30 minutes de route, je faisais mon entrée dans la ville de Tenkodogo, chef-lieu de la région du Centre-Est et de la province du Boulgou. Là, deux camps s'opposent, tous de la chefferie coutumière. A peine sorti de la gare routière, je constate une ville bouillante où les populations vaquaient paisiblement à leurs occupations. J'ai appris plus tard que le couvre-feu instauré par le haut- commissaire a été levé. Je pousse un ouf de soulagement car je pourrai faire sereinement mon travail de journaliste. C'est ainsi que dans la soirée, aux environs de 20h, par l'entremise du porte-parole du Naaba Kokobré de Samandin joint au téléphone, j'ai pu obtenir un rendez-vous avec Sa Majesté. Ce dernier, accompagné de quelques membres de la cour royale, a bien voulu se prêter à nos questions.

Le film des événements, selon le camp de Naaba Kokobré de Samandin

Gustave Lébéndé Kéré, porte–parole de Naaba Kokobré de Samandin, a été désigné par ce dernier pour parler en son nom. D'abord, Gustave Kéré précise qu'il s'agit plutôt d'un conflit entre la famille « Sorgho » et la famille « Bissa ». De l'historique fait par le porte–parole, cette mésentente remonte à décembre 1998 suite à l'intronisation du chef du village de Longa (localité située à environ 5 km de la ville de Tenkodogo) en la personne de Raoul Kéré, gendarme de formation, désigné par feu Naaba Wamdé Sanga, papa de l'actuel roi de Samandin. Cette intronisation a été contestée par feu Naaba Tigré, père de l'actuel roi de Tenkodogo, qui voulait en lieu et place introniser Oscar Kéré, militaire de formation. Cette tension va perdurer entre les deux grandes familles jusqu'en 2000. C'est ainsi que le 10 juin 2000, surgit l'affaire Mahamoudou Kéré, commerçant de son état, qui avait trouvé la mort dans la cour royale du défunt roi, Naaba Tigré. Laquelle affaire a connu une instruction judiciaire à Ouagadougou, assortie de condamnation pénale et pécuniaire. Toutefois, la famille Kéré s'estimant insatisfaite de ce verdict au motif que la condamnation pécuniaire n'a jusqu'aujourd'hui pas été exécutée, alors que le défunt Mahamoudou Kéré aurait laissé derrière lui quatre femmes et près de 24 enfants. Suite à cette situation, des médiations ont été entamées pour réconcilier les deux familles par des religieux et feu l'ancien ministre, Mathias Sorgho. Des médiations restées infructueuses suite à la position tranchée de feu Naaba Tigré, selon Gustave Kéré. Laquelle position, dira le porte-parole de Naaba Kokobré de Samandin, a poussé la famille Kéré et ses frères Bissa de la province à se démarquer du pouvoir du roi de Tenkodogo qui, de coutume, intronisait des chefs Sorgho dans les villages Bissa. Se référant à la Constitution burkinabè qui dispose qu'il n'y ait plus de chefs de village mais des responsables coutumiers, le porte-parole soutient qu'un Sorgho ne doit plus être intronisé dans un village Bissa, ce d'autant que les coutumes diffèrent. Voilà pourquoi, il précise que chaque communauté intronise ses responsables coutumiers issus de ses propres rangs. C'est dans cette logique, à en croire le porte-parole que six villages Bissa que sont : Zabo, Koama, Wendnagou, Boura, Silmiougou et Lokma ont demandé l'intronisation de leurs chefs coutumiers. Et la date convenue pour cette intronisation était le samedi 28 septembre 2013. Le jour J, aux environs de 9h, au moment où le Naaba Kokobré de Samandin présidait la cérémonie d'intronisation, les envoyés de Sa Majesté « munis d'armes blanches et à feu », selon Gustave Kéré, sont venus intimer l'ordre de mettre fin à ladite cérémonie. De l'avis de Gustave Kéré, le pire a été évité grâce à la vigilance et à la promptitude des forces de l'ordre. Dans le souci de prévenir d'éventuels affrontements, le haut- commissaire de la province du Boulgou a été amené à prendre une circulaire instaurant un couvre-feu allant de 19h à 5h du matin. Lequel couvre-feu a été levé le lendemain au regard de l'accalmie observée dans la ville. Tout en appelant l'autre camp à s'inscrire dans les règles régissant la république, à savoir le droit de chaque communauté à désigner ses propres responsables coutumiers, Gustave Kéré a confié que les intronisations vont se poursuivre au profit des villages Bissa. « En réalité, il y a des problèmes sérieux. Il y a eu un mort en la personne de Mahamoudou Kéré. Ce qui reste à faire, c'est la paix, et la solution ne va pas se faire seulement dans le dos de la famille Kéré. Pour qu'il y ait la paix, il faudrait qu'on construise cette paix ensemble. Il faut des excuses et des débats francs et directs. C'est à partir de ce moment qu'il peut y avoir la paix. Mais vouloir à chaque fois s'imposer sur les autres ne marchera pas », a confié Gustave Kéré.

L'omerta du camp de Sa Majesté le Naaba Saaga, roi de Tenkodogo

Dans le souci d'équilibrer l'information, nous nous sommes rendus le lundi 30 septembre 2013 à 8h passées dans la cour royale de Sa Majesté Naaba Saaga, roi de Tenkodogo, afin d'avoir sa version des faits sur les événements du samedi 28 septembre dernier. C'est à l'entrée du palais royal situé au sein de la cour que nous avons été reçus par son Premier ministre, le Daporé Naaba. Après avoir décliné l'objet de notre visite, le Premier ministre nous a fait savoir que Sa Majesté ne pourra pas nous recevoir. Pour lui, nous aurions dû demander au préalable une audience à Sa Majesté par une lettre écrite. Malgré notre insistance le Premier ministre a refusé.

Un petit rappel historique sur les deux familles

« Les Sorgho sont venus trouver les Kéré à Tenkodogo. Nous avons collaboré et nous les avons aidés à s'installer. Vous savez que la chefferie ne fait pas partie de la culture bissa. Les Sorgho étaient nos amis, bref nous les avons adoptés jusqu'à ce que tous les villages bissa acceptent leur règne ».

Source : Extrait de l'interview accordée par Gustave Kéré

Quatre questions au gouverneur de la région du Centre–Est, Allahidi Diallo

Est-ce que le calme est revenu après cet incident malheureux ?

Je rassure la population de Tenkodogo ; je crois qu'elle-même le constate parce que depuis hier tout le monde vaquait tranquillement à ses occupations en ville. Rien de façon superficielle n'indique que nous sommes dans une ville sous tension, à part la présence des forces de sécurité ; ce qui est tout à fait normal et compréhensible dans de pareilles circonstances. Je puis rassurer la population de Tenkodogo, l'ensemble de la population de la région du Centre–Est et l'opinion nationale que le calme est revenu à Tenkodogo.

Est-ce que vous pourriez revenir sur les événements du samedi 28 septembre dernier dans votre ville ?

C'est une contradiction autour des questions coutumières qui a failli occasionner un affrontement entre les partisans des deux camps. Fort heureusement, la diligence et surtout le professionnalisme des forces de sécurité nous ont vraiment permis d'éviter que les deux camps ne s'affrontent et que cela ne puisse provoquer des choses dommageables pour tout le monde.

Que faire pour que cette situation ne se répète plus ? On sait que ce n'est pas la première fois. Est-ce que les deux familles ont été approchées pour une éventuelle réconciliation ?

Je préfère ne pas parler de querelles entre deux familles. Moi, je dis ce que je sais. C'est un problème résultant d'une contradiction autour de la question coutumière. Qu'est–ce qu'il faut faire pour résoudre ce problème ? C'est ce que nous faisons de façon quotidienne, c'est-à-dire chaque fois, nous essayons de recourir à des personnes-ressources, à tous les ressorts sociaux dont nous disposons dans notre culture pour tenter autant que faire se peut de ramener le calme et la cohésion sociale et travailler à ce que les choses ne dégénèrent pas.

Quel est le bilan de ces évènements ?

Il nous a été signalé trois blessés légers, même très légers, parce que ce sont des gens qui, dès qu'ils ont été reçus dans les formations sanitaires, sont immédiatement repartis chez eux. C'est pour dire que c'est vraiment des blessures légères. En termes de bilan sur les interpellations, il faut préciser qu'il y a deux types d'interpellations : ceux qui ont été interpellés pendant le feu de l'action et ceux qui ont été interpellés pendant l'heure du couvre-feu. Deux personnes ont été interpellées sur le terrain. La première s'est retrouvée dans un milieu hostile et il a fallu que les forces de sécurité travaillent à l'extraire ; la deuxième personne détenait des armes blanches et a refusé d'obtempérer aux ordres des forces de sécurité ; elle a même tenté de franchir le cordon de sécurité. Ces deux personnes ont été relâchées dès que les conditions de sécurité le permettaient. Quant aux 17 personnes qui ont été arrêtées pendant le couvre–feu, elles ont toutes été relâchées immédiatement le lendemain matin, c'est-à-dire le dimanche 29 septembre 2013.

Ambèternifa Crépin SOMDA et Welman GUINGANI (Correspondant)

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