Silly /l’argent «des Blancs» oppose le maire aux enseignants

| 22.07.2014
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Silly /l’argent «des Blancs» oppose le maire aux enseignants
© DR / Autre Presse
Silly /l’argent «des Blancs» oppose le maire aux enseignants
Une crise menace de sonner le glas d'une coopération «fructueuse» entre la commune rurale de Silly, dans la province de la Sissili et Veirnheim, une ville allemande. La pomme de discorde entre les autorités municipales et le corps enseignant : la gestion des financements générés par ce partenariat et destinés à soutenir la scolarisation des élèves.

Le personnel de l'éducation et le conseil municipal de la commune rurale de Silly, dans la province de la Sissili, se regardent en chiens de faïence. Et pour cause, la gestion d'un fonds alloué annuellement par une association allemande, du nom Freundschaft Offenheit Cooperation Unterstuzung Für Satonévri (FOCUS) et destiné à soutenir la scolarisation des enfants des écoles primaires publiques de trois villages : Sadouin, Tonon et Névri, en abrégé « Satonévri », en référence aux initiaux des villages concernés. Mais depuis le mois de février 2014, les autorités communales et les enseignants sont à couteaux tirés. Le maire de Silly, Batien Bénao, veut avoir un droit de regard sur toutes les actions menées dans sa commune.

Constatant qu'aucun rapport sur la gestion des fonds satonévri n'est adressé à la mairie, il accuse les enseignants d'«une gestion opaque et occulte » des financements. Il est catégorique : l'absence d'un bilan de la gestion de l'allocation à la mairie, ou à la préfecture, est inacceptable et révèle une certaine opacité. «C'est le préfet qui a signé l'acte de jumelage en son temps. Pourquoi n'y a-t-il pas de traces à ce niveau », se demande-t-il ? Pour M. Bénao, le manque de documents justificatifs auprès des autorités locales est une faute grave qui entrave la bonne marche du partenariat.

«On ne peut pas donner à manger sans se lécher les doigts »

Dans sa logique, il est inadmissible, sinon inconcevable que des fonds aussi importants (environ 26 millions par an au volet éducatif) soient alloués aux écoles et que les autorités qui sont à l'origine du jumelage ne soient pas regulièrement informées de la gestion. Or, justifie le bourgmestre, la commune a besoin de ces informations pour pouvoir remercier les donateurs, à travers des décorations et autres reconnaissances au niveau national. Pour le maire, les acteurs-clés du comité école, à savoir les parents d'élèves ont aussi été écartés de la gestion.

Dans ce climat de suspiçion dans lequel grèves et autres manifestations paralysent les cours, les responsables des écoles incriminées s'en défendent. Selon les acteurs de l'éducation incriminés (enseignants et président de l'Association des parents d'élèves), conformément aux principes de leurs partenaires allemands, le compte-rendu des dépenses doit être adressé à l'association FOCUS, donatrice des fonds pour appréciation. Par conséquent, aucune pièce justificative détaillant la gestion n'est présentée au maire. Le directeur de l'école primaire publique de Névri, Géoffroy Bado, indique que l'aide est multiforme et que c'est le volet cantine et matériels scolaires qui relève de la compétence des directeurs. L'argent de cette ligne, dit-il, est viré dans une caisse locale à Tonon, sur demande des partenaires. Selon lui, les présidents des Associations de parents d'élèves (APE) participent au décaissement. Les rapports détaillés que le maire sollicite ne font pas partie des clauses du jumelage, précise-t-il. « On ne fait pas de rapport à la mairie, parce qu'il ne nous est pas fait obligation de rendre compte aux politiques ». Il rassure cependant, qu'aucun fonds ne va dans les poches du directeur. Certes, il existe des activités parallèles, explique M. Bado, comme la prise en charge des cantinières qui préparent le repas pour les élèves, le carburant pour les déplacements, mais cela n'est qu'une cuisine interne qui accompagne le processus. « Mais l'actuel conseil, sans chercher à comprendre davantage les mécanismes du partenariat, a commencé à dire que les directeurs détournent l'argent des partenaires, et il y a un climat de méfiance qui s'est installé entre nous », dénonce-t-il. Paulin Bazié, directeur de l'école de Sadouin, par ailleurs secrétaire général du Syndicat des enseignants dans la localité, lui aussi, nie toute mauvaise gestion. Il rejette plutôt tous les malentendus sur les autorités municipales. Et de nuancer : « On ne peut pas donner à manger à un enfant, sans se lécher les doigts ».

Très vite, la collaboration est mise à rude épreuve et menace de fragiliser sérieusement, les assises du partenariat. A la visite des partenaires dans la commune, le maire va plaider pour que le bureau du Comité communal de jumelage (CCJ), placé sous la tutelle du conseil municipal, participe à la gestion des fonds, ce, d'autant plus que le jumelage va s'étendre bientôt à d'autres villages de la commune. Pour le président du bureau du CCJ, Béli Bénao, les populations sont restées aphones face à une gestion opaque de l'allocation des fonds. Et la raison : «l'association FOCUS a décidé que les enseignants gèrent les dons, en collaboration avec le président des parents d'élèves ». Ce sont ces pleins pouvoirs des enseignants qui ne semblent pas être du goût des habitants de Silly. Ils y voient d'alléchantes faveurs faites aux instituteurs et qui leur permet de faire la pluie et le beau temps. Selon le président du CCJ, au regard de la situation, les partenaires auraient demandé à ce que la gestion revienne désormais, à la mairie. Une allégation que la première responsable de FOCUS, l'Allemande Helga Winkenbach, que nous avons eue au téléphone, n'a pas confirmée. Comme une poudre nocive qui gagne peu à peu les villages de la commune, les responsables provinciaux de l'enseignement finiront par découvrir le pot-aux-roses sur information du maire.

Un règlement de comptes ?

La Directrice provinciale de l'éducation nationale et de l'alphabétisation (DPENA), Jeanne Bouré/ Tiono, qui dit avoir été informée par lettre écrite du maire de Silly, va chercher à comprendre davantage cette situation qu'elle qualifie d' « extrême». De son avis, le problème fait croire à un règlement de comptes. «La procédure fait penser à des préalables entre le maire et les enseignants de sa commune », insinue-t-elle. Selon Mme Bouré, l'édile de Silly aurait dû approcher les acteurs locaux et non le ministère comme elle l'a constaté sur la liste des ampliataires de sa lettre. Elle a souligné en outre, qu'à sa prise de service, dans la province, personne de la commune ne lui avait fait cas d'un quelconque jumelage. Il a fallu sa tournée de reconnaissance et de supervision dans la zone pour en être informée. « J'ai constaté, au cours de ma supervision, dans une école que je venais de visiter que les enfants étaient en uniforme ». « Mais comment se fait-il que des élèves d'une école primaire publique soient en uniforme », s'est-elle interrogée? C'est de là que l'inspecteur, selon la directrice, lui aurait fait comprendre que l'école en question est en partenariat avec une ville allemande. Et ce faisant, ce sont les Allemands qui font la dotation de tenues et autres matériels scolaires. Et dès lors, poursuit Mme Bouré, ni l'inspection, ni l'association FOCUS n'a informé la direction provinciale du comment les fonds sont gérés, ni produit le moindre

rapport sur les activités du jumelage.

« Le rôle de l'enseignant est d'enseigner »

« Donc pour moi, tout va bien. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, pourvu que les bœufs soient bien gardés», indique Mme Bouré. Tout compte fait, avec la correspondance de la mairie, la DPENA dit avoir demandé à l'inspecteur de répondre à la demande du maire avec la plus grande courtoisie possible, car explique-t-elle, « il s'agit d'une autorité. De ce fait, si elle désire comprendre davantage sur le partenariat, elle est dans son droit ».

Mieux, la directrice provinciale a invité le maire à faire preuve de compréhension et de pardon, si toutefois il y avait des manquements, afin que tout se passe bien et que des issues heureuses soient trouvées pour consolider les bases du jumelage. Craignant le pire, la DPENA va mettre en garde son inspecteur sur cette situation dont les odeurs étaient déjà fétides. « Je lui ai fait comprendre que le rôle premier de l'enseignant n'est pas d'aller gérer des fonds, mais de dispenser des cours», rappelle-t-elle au patron de la Circonscription de l'enseignement de base (CEB), Henri Sankara. Au passage, elle affirme avoir signifié à l'inspecteur, en guise de mise en garde, qu'il ne serait pas bon que le corps enseignant soit indexé à cause de la gestion de ce fonds, même si en partie, les enseignants ont un droit de regard sur les allocations.

Grâce à ce jumelage, deux enseignants de Satonévri ont effectué, sur invitation des partenaires en mars 2014, un voyage en Allemagne, à l'insu de la DPENA. « Ce n'est qu'à l'heure où les choses ont commencé à tourner au vinaigre que le maire a informé l'inspection de ce voyage clandestin, en se plaignant du fait que les enseignants auraient abandonné leur poste pour se rendre en Allemagne », explique Mme Bouré. Interrogé par la DPENA, l'inspecteur Sankara n'a pas nié le voyage, mais se défend et fait savoir que les classes n'ont pas été vacantes pendant l'absence des enseignants. Furieuse, la directrice provinciale estime que ce déplacement ne devrait pas se faire, à l'insu de la hiérarchie, encore moins en pleine année scolaire.

Pour l'inspecteur Henri Sankara, tout n'est qu'« un montage et une manigance » du conseil municipal via son premier responsable qui était lui-même au courant du déplacement de ses protégés. « Les enseignants sont victimes de calomnie et de maltraitance, et tout est fomenté par le maire », déclare-t-il.

Aucune insuffisance dans la gestion

L'association « FOCUS », explique l'inspecteur, est une structure qui accompagne à travers le jumelage, la commune dans plusieurs domaines dont l'éducation. Au niveau éducatif, l'aide concerne les tenues scolaires, la cantine, la formation d'enseignants, le matériel pour les élèves et les enseignants, etc. Les directeurs d'école commis à la gestion des allocations sont chargés, en début de rentrée scolaire, de faire le point des besoins des établissements qu'ils envoient aux partenaires, explique-t-il. Mais les responsables de l'association ont vite fait comprendre, à en croire M. Sankara, qu'ils sont libres et indépendants. C'est pourquoi, pour la gestion, ils ont choisi leurs partenaires qui sont les acteurs à la base, à savoir les enseignants et les parents d'élèves. Un principe clair et irrévocable, selon ces «Blancs», d'après l'inspecteur. Il précise que durant le début de ce jumelage, les partenaires n'ont jamais déploré une mauvaise gestion. L'inspecteur pense que les enseignants sont bien placés pour désigner les écoles vulnérables qui ont besoin de soutien, puisqu'ils connaissent mieux le terrain que le conseil municipal. Toute chose qui s'est révélée comme un affront à la mairie, voire une usurpation de pouvoir. « Il y a une crise de confiance », déplore l'inspecteur. « Nous sommes vraiment déçu du comportement de l'actuel maire qui refuse le dialogue », a ajouté le responsable de la CEB.

Au téléphone depuis l'Allemagne, Helga Winkenbach, membre du comité école du bureau de FOCUS, soutient que le travail des enseignants est impeccable. Elle déclare que les rapports soumis au bureau ne souffrent d'aucune insuffisance. « Nous avons une totale confiance aux enseignants et nous ne leur reprochons rien à propos de la gestion de l'aide, depuis le début du partenariat», martelle l'Allemande. Elle confirme également qu'à l'origine, il n'était pas fait obligation aux directeurs de rendre compte aux autorités locales.

La CEB se vide de son personnel

«L'association existe dans plusieurs villes, à travers le monde et son objectif est de soutenir librement les populations démunies avec l'accompagnement des autorités des pays bénéficiaires du jumelage », informe Helga Winkenbach.

Dans ce bras de fer entre le personnel éducatif et le conseil municipal, ce sont les scolaires qui risquent de payer le plus lourd tribut. Déjà plus de la moitié des enseignants de la CEB cherchent à quitter la circonscription. Et le motif, selon l'inspecteur: « difficile collaboration avec le maire ». D'aucuns déclarent ironiquement : « Nous quittons la commune, mais pas la CEB » comme si les deux découpages administratifs étaient différents, confie M. Sankara. « Aujourd'hui, nous sommes en train de réfléchir sur la manière dont il faut ôter le fardeau car depuis l'arrivée du conseil municipal actuel, la collaboration entre le monde de l'éducation et la commune a pris un grand coup. J'en veux pour preuve la soixantaine de demandes d'enseignants qui souhaitent quitter la commune ». Il dit savoir que cette crise ne se résume qu'à des problèmes d'individus, qui filent de fausses informations au maire qui, « à son tour, sans vérification, jalouse les instituteurs ».

Au regard de cette situation qui met à mal tout le corps éducatif de la commune, les enseignants semblent ne plus être prêts à continuer cette gestion litigieuse des biens du jumelage. Pour sauver la commune de cette crise, Géoffroy Bado, pense qu'il va falloir que les partenaires redéfinissent les modalités du financement et de la gestion des fonds de Satonévri. « Et ce serait mieux d'inclure la mairie, pour que nous ayons la paix, sinon nous sommes frustrés et cela joue sur les compétences des agents », fait-il remarquer. Son collègue de l'école de Sadouin, Paulain Bazié, ajoute que contrairement aux dires du maire, les enseignants n'ont jamais poussé les élèves à une manifestation. La grève qui a eu lieu dans la commune, le 18 janvier 2014, était, selon lui, une marche nationale et non une manifestation contre la mairie comme le stipule le bourgmestre de Silly. Et de poursuivre, en précisant que la sortie qui était dirigée contre la mairie a eu lieu le 25 février 2014, quand les enseignants ont marché sur la mairie pour réclamer leur cartable minimal (une dotation étatique de matériels aux enseignants). Les fonds font beaucoup de bruit. Les populations étiquettent les enseignants et leur reprochent de « bouffer » l'argent de leurs «Blancs ». A tort ou à raison, étant donné qu'il n'existe pas de bilan fait aux populations. Quoi qu'on dise, les populations sont stoïques.

La solution, muter tous les directeurs !

A l'heure où le jumelage ambitionne d'étendre ses gracieuses branches à toute la commune, l'occasion est belle pour que la mairie ait un droit de regard sur la gestion des fonds de FOCUS. Aussi, le président du conseil municipal indique que sur le plan éducatif, la performance des élèves a régressé. Convaincu de la gestion « opaque et non transparente » des financements comme il l'a signifié dans sa correspondance à l'inspection, le maire veut faire un « nettoyage ». C'est-à-dire il va mettre de l'ordre dans ce qu'il qualifie « de désordre et de mafia organisée» en mutant tous les enseignants de Satonévri. « Je vais faire affecter tous les enseignants qui sont impliqués dans cette affaire », déclare le maire.

Des instituteurs frustrés et fatigués

Fatigués des reproches généralisés dont la corporation d'enseignants des écoles parrainées est victime, certains instituteurs souhaitent que les directeurs se désengagent de la gestion de la cantine au profit du conseil municipal. C'est le cas de Delphine Kanko, institutrice à Tonon. Selon elle, les enseignants sont mal à l'aise. La collaboration avec les populations est difficile, voire impossible. «Je suis complexée parce qu'on nous indexe de toute part. Et je ne voudrais pas qu'à cause d'un sac de riz, ou d'un bidon d'huile, un paysan se foute de moi. Je me vois très mal en tant que fonctionnaire, être la risée des populations par la faute de certains responsables », prévient l'enseignante. Selon elle, l'ingérence de la mairie dans la gestion des fonds est légitime : « le maire doit savoir combien de francs est envoyé aux écoles afin de pouvoir remercier les partenaires », explique-t- elle. Dans un environnement où le refrain au quotidien est : « ces enseignants bouffent l'argent de nos Blancs », Mme Kanko n'est pas la seule à s'indigner. « On peut dire qu'il y a un club de puissants qui est face à des faibles. Et ce sont eux qui ont accès à ces fonds. Ils les gèrent à leur guise et ne font ni bilan ni rapport à personne, mais s'il y a un problème, c'est nous tous qui écopons les pots cassés », ajoute l'instituteur Mandi Georges de Tonon. Salifou Kaboré, directeur adjoint de l'école de Sadouin, et porte-parole des enseignants de l'école, lui, déplore le fait que d'autres enseignants de la commune se laissent embobiner et affirment que : « nous faisons le dos rond avec l'argent du jumelage ». Pour mettre fin à ces préjugés, il dit souhaiter que les partenaires reviennent sur leur décision et que la population soit informée des procédures. L'indignation est aussi perceptible chez certains villageois, comme le signifie Boumai Nigna, ex-membre du bureau APE de Sadouin qui déclare que les directeurs se sont accaparés de tout. « Sur toute la ligne budgétaire, ce sont les enseignants qui posent problème », dit-il.

Le chef de terre de Tonon, Korou Nignan, relève le manque de dialogue. Aussi souligne-t-il que depuis le début du problème, aucun enseignant n'a approché les chefs coutumiers. « Les rumeurs fusent de partout, mais par la voie officielle, chaque directeur est resté dans son coin comme si de rien n'était », regrette l'octogénaire. La crise a déjà fait couler beaucoup d'encre et de salive. Et aujourd'hui, la question de savoir qui du corps enseignant ou du comité communal de jumelage doit gérer les financements demeure.

Wanlé Gérard COULIBALY

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