Et le seul tort de ces victimes et de tous ces nombreux Burkinabè sortis ce jour-là, a été d'avoir manifesté leur ras-le-bol de ce régime qui, à leurs yeux, se refusait à appliquer franchement les règles de la démocratie. Le dimanche 3 octobre 2014, le peuple burkinabè, sentant que l'armée voulait lui ravir sa révolution, est encore sorti pacifiquement dans la rue, bravant, une fois de plus, les risques de subir le courroux de l'armée burkinabè. La suite, on la connaît : un mort sur le carreau, dans l'enceinte de la télévision nationale.
Cette comptabilité macabre montre à quel point notre armée a failli. Elle a failli d'autant plus qu'elle avait en face d'elle un peuple certes déterminé, mais aux mains nues et qui n'avait pour seule arme que sa volonté de prendre son destin en main.
Cette attitude de l'armée burkinabè écorne grandement son image, elle qui est supposée être républicaine et donc censée protéger le peuple et regagner ensuite les casernes. Par ailleurs, elle aurait intervenu dans une situation où la défense du territoire national était menacée, qu'on aurait compris. Or, on n'en était pas là.
Seulement, on est au Burkina Faso où, comme dans bien des républiques bananières, l'armée est plus au service des gouvernants que des peuples. On peut être en tout cas quasi certain que le bilan aurait pu être encore plus lourd, si l'occupant du palais de Kosyam de l'époque n'avait pas pris la décision de prendre la route de l'exil.
Les responsabilités doivent être situées
Cela dit, des rumeurs persistantes ont fait état de la présence de soldats togolais au Burkina, venus prêter main forte aux soldats de la garde présidentielle. Vrai ou faux ? Si l'information est avérée et si effectivement ces militaires étrangers ont ouvert le feu sur les manifestants, alors qui a donné l'ordre de tirer à balles réelles sur les croquants ? Que l'armée ne vienne pas dire qu'elle n'y est pour rien. Elle assume, quoi qu'on dise, la responsabilité morale des tueries.
Et puis, pourquoi utiliser des balles réelles ? Les gaz lacrymogènes, les matraques et les canaux à eau froide auraient suffi à disperser ces manifestants. A ce qu'on sache, le Burkina n'était pas face à une agression extérieure !
En tout cas, les responsabilités doivent être situées. Le peuple burkinabè a le droit de savoir qui a ôté la vie à ces Burkinabè.
Autrement, on aura l'impression que l'impunité s'installe à nouveau, dès les premières heures de l'après-Compaoré.
Et puis, quid de la police et de la gendarmerie nationales ? Elles seules auraient pu gérer l'affaire avec beaucoup de professionnalisme et d'humanité.
Croisons les doigts pour que plus jamais ce genre de situations ne se reproduise au pays des hommes intègres. En attendant, l'armée burkinabè devrait avoir pour souci de contribuer, aux côtés de la justice, à faire la lumière sur ces faits hautement graves, plutôt que de se cramponner à sa volonté de gérer une transition qui est loin de rencontrer l'assentiment d'une grande partie du peuple, lequel a le sentiment qu'on veut lui ravir sa révolution.
Ben Issa TRAORE