En cette soirée du mercredi 12 novembre 2014, je ne suis pas une personne comme les autres. Je vais défier la nuit glaciale en ce début d'harmattan, en patrouille dans les ruelles de la capitale burkinabè. Bien que Ouagadougou soit sous couvre-feu, je n'ai pas peur. Je serai en compagnie des éléments de la gendarmerie nationale. Même si l'heure du « chaud » est fixée à minuit, à 22 heures, je suis déjà à leur état-major, à Paspanga. A l'entrée: « bonsoir, je suis journaliste et je viens pour le couvre-feu », dis-je précipitamment à l'agent assis sur une chaise l'air étonné. « Vas en face, tu verras un plateau, c'est là-bas qu'a lieu le rassemblement», répond le pandore. Tout inspiré, j'empoigne ma mobylette, traverse juste le bitume, et me voilà au camp Paspanga. Là, quatre gendarmes sont assis à la guérite. Même exercice encore de civilité, mais comme dans tout service bien organisé, je présente ma pièce d'identité qu'un jeune gendarme enregistre dans un cahier. «Voilà, vous pouvez aller », dit-il, après m'avoir remis ma pièce. A l'intérieur, il y avait déjà un groupe de journalistes. Il est 22 heures 15 minutes. Minute après minute, le groupe de reporters grossit. Nous sommes désormais une trentaine. 20 minutes plus tard, le chargé de communication de la gendarmerie, le capitaine Guy Hervé Yé, fait son apparition. "Il va certainement nous faire un briefing de l'opération", me dis-je. Tout sourire, il nous lance un bonsoir. « C'est une patrouille armée. Nous allons prendre vos noms afin de vous préparer des laissez-passer, comme cela, lorsque vous rentrerez, vous ne serez pas arrêtés », dit-il tout confiant. Cette information donnée, des rires éclatent dans le groupe. « Ah, c'est mieux hein, si on vous suit pour faire le tour et en rentrant on tombe dans les filets de vos hommes, ce sera compliqué», ironise un journaliste. Il est 22 heures 50 minutes.
Des consignes pour couvrir le couvre-feu
L'heure s'approche et des agents, bien armés font leur entrer dans le camp. Le capitaine Yé, nous invite à venir suivre le rassemblement afin de comprendre comment tout fonctionne avant le terrain. Un coup d'œil sur ma montre, il est 23heures. Sur le plateau, des hommes en tenue, sont bien alignés par équipe. Nous remarquons la présence de trois types de corps : l'armée, la police et la gendarmerie. « Tous les chefs de groupe, approchez!», ordonne le lieutenant Landry N'Do, chef de la mission de patrouille de la nuit du 12 au 13 novembre. Aussitôt, ses hommes, kalaches en main avancent vers leur supérieur, visages renfrognés. Les consignes du lieutenant N'Do sont fermes : « Le but de la mission est de sécuriser la ville de Ouagadougou et ses environnants. Si vous rencontrez des personnes qui sont dans des besoins, portez leur assistance. Vous devez veiller à la sécurité des personnes et des biens. Il faut que toutes les personnes sans pièces ou suspectes soient immédiatement conduites dans le commissariat le plus proche ». Cette nuit, la zone d'intervention, est celle du Nord de Ouagadougou. Le chef de mission fait comprendre à ses troupes qu'il y aura quatre zones subdivisées comme suit : la première zone, c'est Nioko 2, Kossodo, Somgandé et Wayalghin. La zone 2 comprend Tanghin, Tampouy et Kilwin. La zone 3 concerne Paspanga, Dapoya, Ouidi, Larlé et Nemnin. Dans la zone 4, on note Pissy, Boulmiougou, Gounghin, Hamdallaye, Nonçin et Rimkièta.
«Comme coordination, je demande à tout chef de groupe de me rendre compte chaque une heure de temps de l'évolution de la patrouille. Si vous rencontrez d'éventuels évènements, rendez-moi compte immédiatement. Nous avons les postes radios que chacun a eus. Mon indicatif, c'est Cobra. Le groupe 1, cobra 1, le groupe 2, cobra 2, le groupe 3, cobra 3 et le groupe 4, cobra 4. Le premier point de stationnement, ce sera au grand rond-point de Kossodo, près de la zone industrielle. La zone 2, vous irez vous stationner au rond-point du ciné Tampouy. La zone 3, vous allez au carrefour Shell à la cité An III. La zone 4, nous allons nous stationner au niveau de la RN1, en face de la mairie de Boulmiougou », ordonne véhément le Lt N'Do. Avant de demander : « Tous les chefs de groupe, est-ce qu'il y a des questions ?». Après avoir répondu aux questions posées par ses éléments, c'est le départ. Il est 23 heures 30 minutes. Le lieutenant N'Do laisse entendre que pour la nuit, une équipe de 160 personnes est mobilisée.
« Ya fohie, on passe... »
Cette équipe est divisée en deux, de telle sorte que 120 se rendent sur le terrain et 40 restent en réserve. Comme indiqué, tous les véhicules de patrouille (pick-up, cargos, 4X4, motos) s'ébranlent sur la route nationale 1. Les motards s'échauffent sur leurs engins. «Montez, montez! Positionnez-vous comme ça», entend-on de part et d'autres, comme dans un film de guerre hollywoodien. « On est dans le même groupe non ? », demande un pandore sur une moto à son collègue dans un pick-up. Dans ce tintamarre, nous sommes transportés à bord de deux minibus de la gendarmerie nationale, d'autres grimpent avec les soldats dans les véhicules 4X4. A 23 heures 55 minutes, la patrouille stationne devant la mairie de Boulmiougou. Les motards font des va-et-vient sur le goudron, les pick-up sont stationnés sur les deux côtés du bitume. Des gendarmes marchent sur le goudron, d'autres, toujours avec leur Talkie-walkie, prennent les informations avec les autres groupes postés dans les coins indiqués. Quelques noctambules, à la vue du cortège, accélèrent, conscients de l'heure du couvre-feu. 00h, pile ! Un taximan en provenance du centre-ville se présente à l'horizon. En pleine vitesse, il bifurque tout d'un coup à sa droite. Il l'a échappé bel. Sa réaction fait rire aux éclats toute l'équipe. Les noctambules qui les aperçoivent de loin, font demi-tour et s'éclipsent dans les « six mètres ». « Il a fait demi-tour, il va aller dormir où ?», se demande une journaliste. Dix minutes plus tard, un motocycliste en compagnie d'une jeune fille, âgée d'une trentaine d'années est arrêté. « Vous avez quitté où ? Vos pièces d'identité » ; tout effrayé, le jeune homme présente ses papiers et est autorisé à passer. Le lieutenant explique qu'avant minuit 30, ils peuvent tolérer les contrevenants. Mais l'agent lui fait savoir qu'il se fait tard et que ce n'est pas prudent. Un autre couple, sur une moto ''apache'' tombe dans les filets à son tour. La jeune fille derrière, l'air d'une personne, visiblement pas inquiète lance : «ya fohie, on passe ». Après quelques échanges avec les gendarmes, il est autorisé à partir. C'est probablement l'un des leurs. Deux autres jeunes arrivent à moto. «Halte! », somme l'agent. Il demande à vérifier les pièces. L'un détient une photocopie non légalisée de sa pièce. Mais son ami, lui n'a aucun document, de même que pour la moto. Ils affirment être descendus du boulot et se rendent chez eux, à Pissy. Conformément aux consignes, ils seront conduits à la gendarmerie la plus proche en attendant le lever du jour. Quelques minutes après, une dame est arrêtée. Taille fine et le teint clair, elle transportait des bagages. Elle soutient d'une voix haletante avoir quitté Bobo-Dioulasso. Le cœur battant fort, elle donne un coup de fil pour informer qu'elle a été arrêtée. Elle est surveillante au lycée Bethesda. Fort heureusement, le lieutenant, décide de la libérer après avoir vérifié son identité. Peu de temps après, un camion citerne s'approche. Un gendarme, torche en main, fait du geste au chauffeur de s'arrêter. « Halte ! Coupez le moteur ! Vous venez d'où ?», lui demande-t-il. « Je viens de Cotonou », répond le chauffeur Dembélé. Il soutient qu'il se rend à Bamako au Mali. A la question de savoir s'il savait qu'il y avait un couvre-feu, il répondit par la négative. Ses papiers contrôlés, le chef de la patrouille ordonne à un motard de le conduire à la gendarmerie de Boulmiougou.
Ouagadougou, ville morte!
A minuit 57 minutes, les hommes du lieutenant N'Do se convergent vers la Patte d'Oie en empruntant le goudron en face de la SONABHY à Pissy. Les commerces et les maquis, sont tous fermés. Silence de mort sauf quelques chiens qui aboient devant des concessions. Il est 01 heure du matin et l'équipe bifurque au rond-point de la Patte d'Oie en direction de l'échangeur de Ouaga 2000. Arrivée au rond-point en face de la SONABEL à côté de la résidence Alice, elle trouve la police qui y est positionnée. Dans leur cargo, deux individus (une jeune fille et un jeune homme) sont assis. Le policier nous confie que la dame dit être sortie avec un homme qui l'a abandonnée. Quant à l'autre, il prétend être un gardien, mais les policiers l'ont trouvé suspect parce qu'il ne sait pas où se trouve son service. Pire, il détenait une machette. A 1 h 37 mn, les soldats entrent dans le quartier Katr-Yaar et sillonnent partout. Longeant la route menant à l'échangeur de l'Est, un collègue de la Radio liberté est arrêté, mais, comme il avait un laissez-passer presse, il est autorisé à rentrer chez lui. A 2 heures, la patrouille se trouve sous l'échangeur de l'Est où l'armée est postée. Quelques hommes descendent des véhicules et entrent à pied, kalaches en main, dans le quartier Wayalghin qu'ils fouillent de fond en comble, sans trouver le moindre individu. Lorsqu'ils regagnent le bitume, 35 minutes plus tard, quelques hommes de média et des gendarmes profitent pour prendre du café, préparé pour la circonstance. Après cette pause de cinq minutes, le cap est mis à 2 heures 40 sur l'avenue Kwamé N'Krumah, au centre-ville. Là-bas aussi, « pas de lézard», selon leur jargon. De cette avenue, l'équipe entre à Dapoya. Aucune âme dehors, hormis quelques femmes de la brigade verte, qui balaient les rues. Elles ne sont pas inquiétées. Certaines éclatent de rire au passage des véhicules et des motos. De Dapoya, les patrouilleurs de nuit se dirigent vers Tanghin. En dehors des chiens et chats qui se baladaient sur l'asphalte et dans les « six mètres », il n'y a personne. Il est 3 heures 27 minutes, fin de la tournée pour les journalistes. Nous sommes de retour au camp Paspanga. Mais, les hommes en tenue, eux doivent respecter l'heure du couvre-feu qui s'étend jusqu'à 5 heures. Pour le lieutenant Landry N'Do, le constat est que les populations ont compris l'intérêt de leur travail et respectent les heures. Il se dit satisfait du déroulement de la mission et appelle les citoyens à collaborer afin d'éviter que des délinquants profitent pour les agresser. Cependant, il affirme que même avec le couvre-feu, les gens peuvent sortir s'ils ont des motifs qui les obligent. Ces motifs doivent être d'ordre sanitaire ou social. Il est 03h 40 mn, le capitaine Yé remet à tout un chacun, un laissez-passer. Aussitôt, j'enfourche ma mobylette, pour rejoindre mon domicile... Patrouille achevée pour un scribouillard.
Gaspard BAYALA
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.