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Burkina Faso. Une nuit d'horreur

| 18.01.2016
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Burkina Faso. Une nuit d'horreur
© DR / Autre Presse
Burkina Faso. Une nuit d'horreur
Au lendemain du raid jihadiste contre un hôtel et un restaurant de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, des rescapés ont raconté leur nuit terrible au milieu des rafales de kalachnikov et des cadavres.


« On ne savait pas si on pourrait s'en sortir. On a essayé d'appeler nos familles pour leur dire qu'on n'était pas sûr qu'on allait se revoir », a raconté la voix tremblante Suzanne Songa-Ouédraogo, une des rescapées de l'attaque jihadiste qui a fait 29 morts à Ouagadougou dans la nuit de vendredi à samedi. Opérée samedi après-midi à l'hôpital, cette artiste peintre burkinabè a reçu une balle dans le bras et est restée enfermée dans le noir, dans une des salles de réunion de l'hôtel Splendid, un des sites attaqués, de 19 h 45 à 3 h du matin, baignant dans son sang et entendant les assaillants crier et tirer à quelques mètres d'elle. Lucien Trabi, manageur artistique originaire de Côte d'Ivoire, était, lui, attablé au Taxi-brousse pour boire un verre quand les jihadistes sont passés. « La patronne a dit : " c'est quoi cette manière de s'habiller ". Ils portaient des gants. On a vu une kalach dépasser. Ils nous sont passés devant et sont allés jusqu'au Cappuccino. Là, soudain, ils ont commencé à mitrailler tout le monde. Ils cherchaient surtout les expatriés. »

Nez à nez avec un jihadiste

« Nous, on s'est réfugiés dans l'immeuble en hauteur. On voyait les jihadistes. Ils tiraient. Dans la nuit, ils criaient " Allah Akbar ". » Au petit matin, alors que les tirs ont cessé, Lucien Trabi commet l'imprudence de vouloir se soulager et tombe nez à nez avec un jihadiste. « C'était un jeune. 19 ans comme ça. Il m'a fait signe de venir. Je croyais que c'était fini...

J'ai poussé un casier de bière sur lui et j'ai fui. Il a tiré " Tatatata ", et j'ai plongé. Je me suis fait mal au genou et j'ai rampé. Ce n'est qu'après que j'ai senti que j'avais reçu une balle » dans le dos au niveau de l'épaule. « J'avais du sang partout. Plus tard, la Croix-rouge (en fait les services de santé de l'armée) nous a emmenés. Quand on est passés devant le Cappuccino, j'ai vu quatre cadavres dont deux femmes blanches. C'était pas joli. J'ai eu de la chance », raconte Lucien. Le Cappuccino, endroit très fréquenté par la communauté expatriée, est sans doute le lieu où il y a eu le plus de victimes, selon plusieurs témoins.
Trois victimes d'une entreprise française

À l'hôtel Splendid, la situation n'était pas moins désespérée, comme le raconte Suzanne. « On a entendu des coups de feu, on a d'abord cru que c'était des pétards. Mais, ensuite on s'est enfermés dans la salle de réunion et on a éteint les lumières. Ils ont tiré, cassé la porte et ils ont rafalé dès qu'ils sont rentrés. Ils ont mitraillé tout le monde », se souvient-elle. Sur quatorze personnes présentes, cinq ont été touchées. Avant d'être sauvé, le groupe a « vécu dans la frayeur, raconte-t-elle. On les entendait parler dans leur langue. On ne comprenait pas, ça tirait partout. C'était un cauchemar ». L'attentat à Ouagadougou aura coûté la vie à 29 personnes, dont trois personnes travaillant dans la même entreprise française. Un employé portugais d'une société de transports du Val-d'Oise a en effet été tué, samedi, aux côtés de ses deux collègues français.

La force militaire impuissante face au terrorisme

Tout le monde le sait, les militaires et les politiques les premiers : on ne protège pas du terrorisme une société ouverte en déployant des soldats. L'attaque de Ouagadougou, au Burkina Faso, comme celle de Bamako (Mali) voici moins de deux mois, illustrent parfaitement cette stratégie du massacre ciblé, également mise en oeuvre en France à deux reprises l'an dernier. Mais on aurait garde d'oublier les autres actions terroristes qui se sont produites ces derniers jours en Indonésie, en Syrie et en Somalie, entre autres. Ces opérations sont d'une simplicité déconcertante, puisqu'il suffit pour les conduire de candidats au suicide armés d'explosifs bricolés et de fusils en circulation libre sur toute la planète. Les militaires sont faits pour conduire des opérations, frapper des cibles et comme c'est le cas avec l'opération Barkhane, empêcher que des États plus ou moins stables sombrent dans le chaos le plus absolu. Mais pourquoi les militaires français réussiraient-ils à empêcher en Afrique des carnages qu'ils ne sauraient éviter en France ?

Assaillants déterminés

On sait que les armées africaines, à quelques rares exceptions près, sont peu aguerries et surtout intéressées par leurs prébendes et la conquête du pouvoir. On l'a vu à Ouagadougou : l'armée burkinabé est si peu performante qu'elle a dû appeler les forces spéciales françaises et américaines à la rescousse pour conduire l'assaut. Mais quand bien même auraient-elles été à la hauteur, elles n'auraient pas été en mesure de bloquer des assaillants déterminés. Sauf à transformer une ville en citadelle, et encore, dès lors que personne ne peut envisager de placer une sentinelle devant chaque entrée d'immeuble. Ecrivons-le tout net : le terrorisme ne sera pas vaincu par des moyens militaires. Et les armées n'empêcheront pas de nouveaux attentats, en France ou ailleurs. Le renseignement, les politiques, les diplomates portent, eux, cette responsabilité. Mais objectivement, ont-ils les moyens de stopper rapidement cette marée de violence ? Ce n'est pas sûr.

Avec Le Télégramme

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