Produits vétérinaires prohibés : des tueurs en silence

| 18.12.2014
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© DR / Autre Presse
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Spécifiquement réservées aux docteurs et auxiliaires vétérinaires, la vente de produits et la médecine vétérinaire ont connu ces dernières années, toutes sortes d'infiltrations, mettant en péril, l'économie du pays, la santé des consommateurs, mais aussi, celle des animaux. Bobo-Dioulasso, la capitale économique du Burkina Faso, est réputée être le "royaume" de ces produits vétérinaires non homologués. Un tour d'horizon d'une nébuleuse situation qualifiée par les experts de la santé, de "problème de santé publique".


Octobre, l'un des derniers mois de la saison pluvieuse dans l'Ouest du Burkina Faso. Cette partie du «pays des hommes intègres» regorge de nombreux atouts, notamment l'élevage. Bobo-Dioulasso, capitale économique du Burkina Faso est un pôle urbain et industriel situé dans cette zone.

En effet, les usines d'égrainage installées dans la ville offrent des Sous-produits agro-industriels (SPAI) bon marché. La nature, aussi généreuse, est favorable à l'élevage. La plupart des habitants n'hésitent pas à s'adonner à cette activité. Ainsi, dans les concessions, on trouve de petits et/ou de gros ruminants, de la volaille et bien d'autres animaux aux bons soins des propriétaires. Pour M. Alphonse Sanou, éleveur installé à proximité de l'abattoir frigorifique de Bobo-Dioulasso, cette activité d'élevage, bien que rentable, est plus coûteuse que l'entretien de sa famille selon lui. «Aujourd'hui, pour un sac de 50 kg de tourteaux, il faut débourser environ 11 000 F CFA. Or, le même kg de sac de riz, l'on peut aussi l'avoir au même prix ou à 10 000 F CFA», affirme-t-il. Un coup d'œil dans ce qu'il qualifie d'étable (hangar) et l'on constate l'état piteux de ses animaux. Eternuement, écoulement nasal, toux et amaigrissement sont les signes cliniques observés chez certains animaux. Curieux, nous avons voulu avoir plus de précisions sur la prise en charge sanitaire des animaux. Mais le silence observé par celui-ci fait planer le doute sur l'origine du prestataire. Avec nos multiples interrogations, il finit par lâcher : «en cas de maladie, je commence moi-même le traitement et lorsque je me rends compte qu'il n'y a pas d'amélioration, je fais appel à un ''vétérinaire'' (Ndlr : comprenez par vétérinaire, toute personne portant une blouse». Sylvain Sanou, éleveur à Bama, dit avoir du mal à s'attacher les services d'un technicien : «C'est seulement les samedis que je peux lui faire appel, sinon, je suis obligé de faire face au problème, personnellement».

Un traitement anarchique

Pour comprendre l'ampleur du phénomène, nous nous sommes rendus au cœur d'un quartier bobo, plus précisément, le quartier Sakabi où nous avons rencontré un ''vétérinaire'' hors du commun. Après les salutations d'usage, place à la causerie. Eleveur de son état dans un centre par des sœurs religieuses, M. Sanou affirme avoir appris la médecine vétérinaire sur le tas, mais aussi, à travers les formations dispensées par les services vétérinaires. «Excepté la vaccination de la volaille, je suis à mesure de faire toutes les prestations, même la castration», nous relate-t-il fièrement. Chose que le Pr. Zékiba Tarnagda, docteur vétérinaire et maître de recherche à l'Institut de recherche en science de la santé (IRSS), qualifie de dramatique car, «dans le temps, la médecine vétérinaire était respectée». Ce traitement anarchique, le président de l'Association professionnelle des agents techniques d'élevage pour le développement rural (APATE/DR), Habib Ouattara, pense qu'il est surtout favorisé par le nombre insuffisant du personnel au niveau des postes vétérinaires et le manque de structures privées de soins vétérinaires dans les départements. Le Pr. Tarnagda fait remarquer à ce sujet que selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la santé animale, il faut au Burkina Faso, mille (1 000) docteurs vétérinaires pour assurer la couverture sanitaire nationale en matière de santé animale. Or, dit-il : «nous sommes encore loin d'atteindre ce nombre et dans la Fonction publique, ils sont moins d'une centaine». Pour le Directeur de la santé publique vétérinaire et de la législation (DSPVL) à la direction générale des services vétérinaires, Dr. Adama Maïga, cette automédication des animaux est en grande partie liée à l'impunité et l'incivisme. «Chacun se permet d'acheter les produits où il veut et il vient faire lui-même ses traitements ou se loue les services de m'importe quel technicien», faut-il savoir. Il déplore également le manque de professionnalisme des agents sur le terrain. Mais ce développement de l'élevage dans la zone rime aujourd'hui, avec un nouveau genre de commerce, celui des produits vétérinaires prohibés.

Des produits bon marché

Si la majorité des éleveurs rencontrés prétend se procurer les produits dans les officines vétérinaires autorisées, c'est à l'abattoir et au grand marché de Bobo-Dioulasso que nous avons trouvé la "nielle" de ce trafic. La complexité de ce commerce nous oblige à garder l'anonymat sur les noms et les numéros des boutiques. Mais ce qui est certain, la journée du mercredi 15 octobre 2014, reste gravée dans nos mémoires. En effet, après plus d'une heure de négociation au téléphone, B.O., un imposteur grossiste, consent à nous faire visiter sa boutique. Le rendez-vous ''calé'', un jeune vînt pour nous y conduire. Arrivé au grand marché, celui-ci nous conduisit dans une quincaillerie. – Voilà, c'est ici ! Non, ce n'est pas cette boutique, mais plutôt celle où sont les produits vétérinaires, lui avons-nous dit. D'un air étonné, il soutient que son grand-frère n'a plus une autre boutique. Et d'ailleurs, qu'il a abandonné la vente des produits, il y a des années de cela. ''Foutaise'' ! Car selon nos sources, au moment où nous négocions la visite de la boutique, B.O. était en route pour un pays voisin afin de se ravitailler en produits. Mais il en faut plus pour nous décourager. Le lendemain jeudi, sous un soleil de plomb, nous revînmes déterminés à découvrir la ''cave d'Ali Baba'' des commerçants véreux qui sont tapis dans l'ombre. Cette fois-ci, la discrétion est de mise. Pour cela, nous nous sommes fait passer pour des acheteurs potentiels.

Notre périple commence à l'abattoir frigorifique de Bobo. Installé sous un hangar, I.B., un jeune d'environ 35 ans, expose sa ''marchandise'' composée de produits vétérinaires et humains de provenance inconnue, sous le soleil. Sait-il que la pratique est interdite ? Apparemment, cette interrogation n'a jamais effleuré son esprit. Il semble être dans son droit. – Tout souriant, il avoue : «on m'a dit que ce sont des antibiotiques, que ça soigne toutes les maladies». Cette révélation montre sans doute les risques qu'encourent les utilisateurs et prouve que I.B. est un petit maillon de la chaîne. Nous décidâmes de voir autrement le phénomène. Après plusieurs renseignements, nous voici au cœur du grand marché de Sya. La place grouille de monde, un ''sabari, sabari'', "pardon" en langue dioula est nécessaire pour se frayer un chemin. La cacophonie règne, le parfum des légumes se mêle à l'odeur piquante des épices, chacun est pressé pour ses affaires. C'est au milieu de ce désordre que nous tombâmes sur un quinquagénaire. Son grand intérêt pour notre présence nous laisse croire qu'il est plus intéressé par le profit qu'il pense tirer de nous. (Ndlr : le pourcentage sur le client). - "C'est en gros ou en détail que vous voulez ?", lance-t-il. A cette épreuve, une mauvaise réponse de notre part réveillerait les soupçons sur l'objet de notre visite en ces lieux. - Détail ! Répondons-nous. Aussitôt, nous sommes conduits à quelques mètres de là. Cette fois, nous sommes au bon endroit. La majeure partie des boutiques qui s'y trouvent sont bondées de produits vétérinaires, tous labels confondus (laprovet, vétoquinol...), mais également, des produits pour la santé humaine. Ici, tout s'achète, tout se vend. Le seul maître-mot est : «quelle quantité voulez-vous ?».

O.T., un des responsables de la boutique visitée, confie que sa clientèle est variée . Comment ces produits ont ''atterri'' dans ces boutiques ? Difficile de répondre. Mais la différence de prix parle d'elle-même (2 000 F CFA pour 10 sachets de vitamines pour volailles, 18 000 F CFA les 12 flacons de 20% d'antibiotique contre 2 600 F CFA et 27 000 F CFA dans les officines conventionnelles). Pourtant, Dr. Maïga soutient qu'au Burkina Faso, l'importation des médicaments vétérinaires est réservée aux docteurs vétérinaires installés en clientèle privée. Et ce sont eux qui sont chargés de vendre en gros avec les cliniques et les cabinets de soins vétérinaires. Ceux-ci à leur tour, vendent en détail, soit à des professionnels, soit à des éleveurs lorsqu'il s'agit des produits qui sont sans danger ou sans toxicité pour l'utilisateur ou encore pour les denrées alimentaires qui seront en contact avec ces produits.

Des frontières poreuses

La mise sur le marché des produits vétérinaires est conditionnée par un contrôle de qualité opéré par une commission composée d'experts de la santé animale, mais aussi, de la santé humaine. Ce contrôle a pour objectif de déceler d'éventuels problèmes qui peuvent survenir pendant l'utilisation. Mais certains produits échappent à ce contrôle grâce à des circuits illicites. Cet état de fait, le Pr. Zékiba Tarnagda le justifie par la porosité des frontières. «Un produit que l'on trouve aujourd'hui au Mali, deux jours plus tard, on le retrouve à Bobo-Dioulasso et vice versa», explique-t-il. Mais selon toute vraisemblance, la réglementation dans le secteur reste difficile. Situation que le Directeur général (DG) d'Afi-med, Dr. Moussa Tiendrébéogo, qualifie de catastrophique car ce ''marché noir'' des médicaments vétérinaires occupe les 2/3 du marché dans la vente des produits, avec un manque à gagner qui se chiffre à des milliards de francs CFA. Il signale au passage que le pays paie un lourd tribut de ce commerce illicite. «Economiquement, le pays perd, car en plus d'apporter des produits de qualité pour les producteurs, nous payons les impôts et nous créons de l'emploi», indique le Dr. Tiendrébéogo qui estime que dans ce système, "il y a un œil qui regarde là où il ne faut pas." «Ces gens exercent en toute impunité la profession et c'est nous qui sommes harcelés par les contrôles», s'insurge le DG d'Afi-med. Selon le Pr. Tarnagda, la gestion du secteur qui, logiquement incombe à l'Ordre des vétérinaires, apparaît ici comme un organe de conseil, mettant ainsi le Ministère des Ressources animales (MRH) face à ses responsabilités. «C'est lui qui a le dernier mot pour dire qui doit faire quoi pour assainir ce marché», martèle le professeur. Afin de permettre une libre circulation des médicaments vétérinaires dans la sous-région, l'Union économique et monétaire ouest- africaine (UEMOA) a émis une directive d'enregistrement communautaire des médicaments. Pour cela, la commission a demandé aux pays membres de transposer cette directive dans leur corpus législatif pour prendre en compte le niveau communautaire. Seulement, le Dr. Moussa Tiendrébéogo rappelle qu'au Burkina Faso, cette directive n'est pas appliquée. «En principe, avec cette directive, lorsqu'un produit est enregistré dans un pays membre de l'espace UEMOA, il peut circuler librement dans l'espace. Ce qui n'est pas le cas chez nous», relève-t-il. Dans le but de lutter contre la fraude, la contrefaçon et la circulation anarchique des médicaments vétérinaires, le ministère des Ressources animales pense mettre en place une centrale d'achat de médicaments vétérinaires. Chose que Dr. Tiendrébéogo considère comme un recul car, «la privatisation a été faite depuis plus d'une vingtaine d'années et dans tous les pays, on suit cette voie de privatisation». Il croit qu'il faut plutôt assainir le terrain pour les privés qui sont aujourd'hui à mesure d'accompagner la production avec des médicaments de qualité et à des prix défiant toute concurrence. Le Pr. Tarnagda, quant à lui, voit dans cette lutte, la mise en place d'une bonne police avec l'ensemble des services concernés. Car dit-il, ces produits peuvent être des dangers pour la santé animale et humaine.

Un problème de santé publique

En effet, la consommation de certains médicaments vétérinaires, même à faible dose, a des conséquences néfastes sur l'organisme humain. Pour minimiser les risques, il est toujours indiqué sur les boîtes et les flacons des produits à usage vétérinaire, une période à observer (après administration des médicaments) avant toute consommation des produits animaliers. Il s'agit du ''délai d'attente''. Ainsi, on peut lire sur certains produits, un délai d'attente : viande 7 jours, œuf 3 jours, lait 5 jours, etc.

A ce sujet, M. Edouard Sanou admet de façon voilée que la pratique est courante ; «Ce qui est sûr, ils sont informés qu'ils ne doivent pas consommer la viande avant le délai prévu». Donc, pas question de détruire cette viande ''savoureuse''. M. Alphonse Sanou, lui, préfère vendre cette viande impropre aux dolotières. Pourquoi les dolotières ? M. Sanou, lui-même, justifie sa pratique. «Je ne vends pas avec les bouchers parce que cette viande peut se retrouver dans mon plat ou dans le plat d'un de mes proches», a expliqué cet éleveur. Quel cynisme !

«La médecine vétérinaire est née à un moment où les docteurs de la santé humaine ont compris qu'il y a beaucoup de maladies communes à l'homme et aux animaux», fait remarquer le Pr. Zékiba Tarnagda.

Cette similitude a permis la mise au point des antibiotiques, des anthelminthiques et des anti-inflammatoires dont la seule différence est la mention ''usage vétérinaire'' inscrite sur les produits vétérinaires. Le Pr. Tarnagda affirme que la consommation de ces médicaments vétérinaires à travers les produits animaliers crée des résistances dans l'organisme humain. C'est pourquoi, «vous verrez que certains antibiotiques de première et de deuxième génération ne sont plus efficaces face à certains germes», précise-t-il. Le Dr. Seydou Nébié, directeur des succursales de Afi-med de Bobo et de Gaoua, fait cas de certaines maladies du foie, mais également des insuffisances rénales.

A entendre le Dr. Adama Maïga, ce sont des résidus qui empêchent ces organes de jouer leur rôle de filtre dans l'organisme et, «l'accumulation des déchets va provoquer la mort».

En tous les cas, le phénomène de résistance est devenu mondial à telle enseigne que l'Organisation mondiale de la santé animale, l'Organisation mondiale de la santé, l'Organisation mondiale du commerce et un certain nombre d'organes tirent la sonnette d'alarme et il appartient à la communauté internationale de prendre les mesures nécessaires pour combattre l'anti-bio-résistance. En attendant, le Burkina Faso gagnerait à entamer sa lutte contre ce comportement dévastateur.

Donald Wendpouiré NIKIEMA
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