En affirmant dans les colonnes de L'Observateur paalga du mercredi 28 mai 2014 que le juge Salifou Nébié, dont il était l'ami, était contre le référendum et la modification de l'article 37, Germain Nama, directeur de publication de L'Evénement, a peut-être apporté de l'eau aux moulins de ceux qui pensent que le magistrat a été une autre victime du régime.
Et la lenteur toute relative dans la conduite du dossier a conforté davantage cette thèse aux yeux de certains. Ont-ils été chauffés à blanc par cette opinion qui veut voir dans ce drame des mobiles politiques et qui exhume à souhait les nombreux cadavres que le régime aurait dans ses placards ? On ne saurait le dire.
En tout cas l'affaire du magistrat a pris des allures politiques. On s'attendait donc à une forte mobilisation lors des obsèques. Et ce fut le cas.
Lundi 9 juin 2014, dès 7h, la maison mortuaire commençait à se remplir de monde : hommes politiques (pouvoir comme opposition), militants des droits de l'homme, autorités judiciaires, magistrats et auxilliaires de justice (avocats, greffiers, etc.), tous étaient présents pour rendre un dernier hommage au défunt.
9h. Les magistrats forment une haie d'honneur et une dizaine d'entre eux transportent le cercueil jusqu'au corbillard.
Pendant ce temps, le Mouvement Brassard Noir (MBN), le Balai citoyen et d'autres organisations qui avaient apparemment bien préparé leur affaire, donnaient de la voix pour exiger que la lumière soit faite sur cette mort atroce et « suspecte ».
Le cortège s'ébranle vers le cimetière de Gounghin en passant par l'avenue de l'Indépendance, le... rond-point du 2-Octobre, celui de la Bataille du rail et l'échangeur de l'Ouest.
Tout au long du trajet, les jeunes scandaient des slogans hostiles au régime et s'en prenaient au président du Faso, Blaise Compaoré, responsable à leurs yeux de l'assassinat du juge constitutionnel.
Plus l'on s'approchait du lieu de l'inhumation, plus la tension montait.
Sur place, il y avait un monde fou. Certains y étaient déjà pour l'enterrement d'Antoine Ouédraogo, ancien international et sociétaire de l'EFO décédé le 4 juin dernier.
D'autres avaient devancé le cortège de Nébié. La foule était si compacte que le corbillard a marqué un long arrêt à l'entrée du cimetière avant d'avancer vers le tombeau.
Comme c'est le cas en pareille circonstance, des oraisons funèbres ont précédé la descente du cercueil de Nébié pour le repos éternel.
Mais à peine les premières pelletées de terre ont commencé à recouvrir le corps que des manifestants ont jeté des projectiles sur les autorités politiques et judiciaires, notamment le président du Conseil constitutionnel, Dé Albert Millogo, qui a dû être exfiltré dare-dare sous les huées et les projectiles des croquants.
C'est le sauve-qui-peut. Dans la confusion, des personnes ont été blessées, mais il y a eu plus de peur que de mal.
Adama Ouédraogo Damiss
Stéphane Ouédraogo
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Les à-côtés
La grande famille judiciaire mobilisée
L'ensemble de la grande famille judicaire était exceptionnellement au grand complet à l'occasion des obsèques du grand juge Salifou Nébié. Avocats, magistrats, greffiers, notaires, huissiers, gardes de sécurité pénitentiaires... ont fait le déplacement pour accompagner l'ex-membre du Conseil constitutionnel à sa dernière demeure. Les cours et tribunaux ont dû fonctionner au ralenti hier matin. Les juges, aussi bien au domicile du défunt qu'au cimetière, ont formé une haie d'honneur en hommage à leur défunt collègue.
Vous avez dit «Outrage à magistrat» ?
«Outrage à magistrat», voilà un grief qui dans les conditions normales de «physique et de chimie», pour paraphraser l'autre, aurait pu vous valoir une comparution immédiate devant un tribunal correctionnel. Dieu seul sait pourtant combien des magistrats, et pas des moindres, ont été outragés à l'occasion des obsèques de Salifou Nébié. «Juges pourris, juges acquis, juges aux ordres», entndait-on scander. A l'arrivée du garde des Sceaux, ministre de la Justice au domicile familial, juste avant la levée du corps, on pouvait entendre çà et là : «Justice, justice, justice pour Nébié». Est-ce parce qu'il avait déjà senti le remue-ménage venir que Dramane Yaméogo ne s'est pas rendu au cimetière ? Allez savoir !
Albert Dé Millogo l'a échappé belle
Le président du Conseil constitutionnel peut souffler. Et ce ne serait pas exagéré pour lui de demander une messe d'action de grâce pour remercier le ciel de l'avoir échappé belle. Tout porte à croire que l'imposante foule sortie pour accompagner le juge en avait gros sur le cœur et, particulièrement, en voulait au Conseil constitutionnel, dont le regretté juge Nébié était membre et surtout à son président, Albert Dé Millogo. En effet, lorsqu'il a pris le micro pour prononcer l'oraison funèbre la foule a, de façon véhémente et ostensible, marqué sa désapprobation. En chœur, elle scandait : «démission, démission». Malgré, les appels au calme, rien n'y fit. Tout de même, le grand juge tenait à rendre un dernier hommage à son collaborateur. Son discours est alors littéralement couvert par la clameur de la foule. Il essuie au passage des injures mais reste imperturbable face aux propos désobligeants. La tension monte de plusieurs crans. Alors que le corps venait à peine d'être descendu dans le tombeau et avant même la mise en terre, les membres du Conseil constitutionnel ont commencé à se retirer, Jean Baptiste Ilboudo en tête, sous les quolibets de la foule et les insanités qu'elle proférait à leur encontre. Derrière eux, la dizaine d'agents de sécurité, ayant flairé le danger, entreprennent la périlleuse mission d'exfiltrer le président Albert Dé Millogo puisque la foule plus que jamais déchaînée ne se contente plus d'insulter : elle lance des projectiles sur le grand juge, des sachets d'eau d'abord, puis des cailloux. Certains proposent même que l'on déshabille les membres du Conseil constitutionnel qui étaient tous pourtant dans leurs tenues d'apparat. Les agents de sécurité sont débordés et la police municipale vient à leur rescousse en formant un bouclier autour de la personnalité. Finalement le président parviendra tant bien que mal à gagner le portail du cimetière et à s'engouffrer dans son véhicule déjà prépositionné qui démarre en trombe vers une destination inconnue. Les vitres du véhicule ont été brisées par les jets de pierre.
Aux dernières nouvelles, l'infortuné Millogo aurait été conduit en lieu sûr à la Gendarmerie nationale et un pandore aurait été, lui, blessé à la tête par un projectile.
Des ténors de l'opposition étaient présents
Quelques figures de proue de l'opposition politique étaient aussi à l'enterrement. Arba Diallo, Saran Sérémé, Nestor Bassière, Simon Compaoré et Roch Marc Christian Kaboré (considéré à tort ou à raison comme une des personnalités politiques les plus proches du juge Nébié) ont suivi de bout en bout les obsèques : depuis le domicile jusqu'au cimetière de Gounghin. Des membres du gouvernement tels Toussaint Abel Coulibaly, ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation, le ministre de la Justice, Dramane Yaméogo, et l'ancien garde des Sceaux Boureima Badini sont, eux aussi, venus rendre un dernier hommage au défunt au domicile familial avant la levée du corps.
La foudre
Certains comme cette dame, complètement affligée par la mort du juge Nébié, sont convaincus que cet assassinat, à l'instar des précédents commis au Faso, restera impuni. Afin que les meurtriers et commanditaires qu'ils ont déjà désignés ne continuent pas de courir, elle a préconisé que, comme au village, on mette la foudre à contribution pour désigner et punir chacun d'entre eux à la hauteur de son forfait.