Dès 8h, c'est un domicile archi-comble du juge Nébié que nous avons trouvé. C'est un événement malheureux qui a réuni un millier de personnes et comme chacun le sait déjà, Salifou Nébié a été arraché à l'affection de ses proches, suite à une mort brutale et tragique dans les encablures de Saponé, dans des conditions non encore élucidées.
En signe de deuil et pour témoigner leur compassion à la famille éplorée, des brassards noirs ont été portés par les uns et les autres. A l'intérieur de la cour, les cantiques musulmans résonnaient dans un rythme pathétique. Le sage du Conseil constitutionnel a été matérialisé dans les moindres coins et recoins de la cour, à travers des photos, pendant que lui-même reposait tranquillement, dans un cercueil, posé juste à l'entrée principale de son domicile familial, sous le regard de sa famille, des hommes et femmes venus pour la cause. Des honneurs lui ont été rendus par la famille judiciaire dans son ensemble. L'homme couché inerte dans son cercueil a eu droit à la haie d'honneur de ses collègues magistrats et mieux, à la prise d'arme des gardes de sécurité pénitentiaire. A l'issue de ces hommages, la dépouille mortelle a été transportée dans le corbillard. Après la levée du corps, les mouvements de jeunes, notamment Le Balai citoyen, le Mouvement Brassard noir, l'Association pour la promotion de la démocratie et la participation citoyenne et de nombreuses personnalités ont battu le pavé pour accompagner feu Salifou Nébié à sa dernière demeure.
Dans cette marche funèbre, des slogans très hostiles au régime en place venaient de partout. On pouvait lire sur les pancartes «Justice pour Salifou Nébié», «Qui a tué Salifou Nébié ?». Certains n'hésitent pas à citer nommément, le nom du président du Faso et de ses proches. Ainsi pouvions-nous entendre «Assassin, assassin !», accompagnés de certains noms de personnalités politiques du pays ou même «wouii, Blaise a encore tué». C'est une foule folle, étalée sur près de 1,5 km, qui a accompagné le juge et ce, à travers des cris de détresse et des sit-in spontanés, tout au long du trajet. Sur son passage, la foule n'hésitait pas à haranguer les services administratifs dirigés par les proches du pouvoir.
La Chambre du commerce a été un des exemples patents de cette vindicte. Juste après la Chambre du commerce, la foule, en majorité jeune, a fait un sit-in devant l'état-major général des armées, sous le regard des gendarmes qui y étaient, avant de scander le traditionnel héiii et entonner l'hymne national. Les marcheurs du jour suaient à grosses gouttes, du fait de la distance qui séparait le domicile du cimetière. A l'arrivée au cimetière, tout était fin prêt pour l'accomplissement du rituel funèbre (musulman et administratif). Notons que certaines personnalités ont vécu ce qu'il convient d'appeler la honte, car la parole a été refusée à certaines personnalités, alors qu'elles faisaient partie du chronogramme et d'autres ont été huées à la fin de leur allocution.
Des discours bien accueillis, on note ceux du SAMAB, des amis du défunt et de la représentante des enfants qui a été prononcé dans des pleurs et avec une voix balbutiante. Tous ont abondé dans le même sens, tout en louant la valeur intrinsèque de l'homme. Par exemple, les qualificatifs : «ce magistrat aimable, loyal, rassembleur» pour parler de Salifou Nébié. Le SAMAB, de par son allocution, a rassuré que la mort de Salifou Nébié ne restera pas impunie. La foule n'a pas du tout été aimable à l'endroit des magistrats, puisqu'elle ne manquait pas de leur proférer des propos très durs. Une personne de la foule, prise de colère, criait derrière eux, en mooré : «vous assistez à un enterrement synonyme de votre honte», «hier c'était non lieu, aujourd'hui c'est non élucidé»
Le président du Conseil constitutionnel et le ministre de la justice ont été hués à leur sortie du cimetière jusqu'au véhicule qui devait les transporter. La foule ne voulait pas laisser repartir les autorités pacifiquement. Toute chose qui a valu leur exfiltration de la part de la sécurité. Néanmoins, ils ont été aspergés d'eau venue des jets de sachets, avant de repartir avec les vitres de leur voiture cassés, du fait également des jets de pierre.
P. Asizi OUERMI
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Coulisses
· Le garde des sceaux pris à parti
Le ministre de la justice, Dramane Yaméogo, pris à parti par la foule. En effet, alors qu'il est entré au cimetière, il a été pris à parti. Finalement, il a été exfiltré du cimetière de Gounghin, pendant que l'enterrement du juge Salifou Nébié poursuivait son cours. A la porte, il s'est engouffré dans son véhicule où il continuait à essuyer des jets de sachets d'eau et des cailloux, et s'en est allé.
· Témoignage poignant du représentant des jeunes de Léo
Selon le représentant des jeunes de Léo, le juge Salifou Nébié serait venu à Léo. Il lui aurait confié que lui et le président du Faso se seraient manqués au sujet de l'article 37 et il craignait pour sa vie. Il aurait alors, payé 3 moutons qu'il a remis aux parents de l'aider (par des sacrifices) à sortir de cette situation.
· Le président du Conseil constitutionnel interdit de parole
Au cimetière de Gounghin, la population sortie nombreuse, a refusé que le président du Conseil, Dé Albert Millogo, prenne la parole pour l'oraison funèbre comme prévu. A l'annonce de son intervention, la foule a commencé à crier «On ne veut pas, justice». A bas les magistrats pourris !
· Les badauds ont été sensibilisés
Les riverains qui entendaient les cris, les slogans et qui sortaient pour satisfaire leur curiosité, ont été sensibilisés à la nécessité de sortir manifester pour réclamer justice. «Vous ne manifestez pas et vous nous filmez. Prochainement, c'est votre tour d'être assassinés. Personne ne sortira pour vous soutenir».
· Les personnalités venues présenter leurs condoléances
On a vu dans la famille mortuaire : Zéphirin Diabré, chef de file de l'opposition politique burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, président du MPP, Hama Arba Diallo, président du PPS/Metba, le ministre de la justice, garde des sceaux, Dramane Yaméogo, Saran Sérémé, le général Gilbert Diendéré. Tous ont défilé pour présenter leurs condoléances à la famille du disparu.
· Wenc. A lui parlé : le procureur général Wenceslas Ilboudo, a lui aussi essuyé des cris de la foule, lorsqu'il prononçait son oraison funèbre. Néanmoins, il a tenu et a pu le faire dans le brouhaha.
Propos dignes d'intérêt
· Smocky
«Nous sommes là ce matin, pour interpeller le gouvernement. Il faut qu'il prenne ses responsabilités, car c'est la énième fois qu'il y a eu crime non élucidé», Smocky.
«Après, les journalistes, c'est au tour des magistrats. En 1998, c'était Norbert Zongo, aujourd'hui, c'est le juge constitutionnel Salifou Nébié. Il faut que vous fassiez correctement votre travail».
· Antoine Kaboré, SG du SAMAB
«Je m'incline devant la mémoire du juge Nébié qui était un aîné, membre fondateur de notre syndicat. Je souhaite que les individus qui ont commis ce forfait soient appréhendés et jugés selon les lois en vigueur au Burkina Faso».
( Avec Aujourd8 au Faso )