Assétou Kaboré est vendeuse de légumes frais et d'épices à quelques mètres du marché de Gounghin. La quarantaine bien sonnée, cette commerçante, d'au moins 1m 70 détient deux étals de légumes et d'épices. Très loquace, elle raconte avec fierté sa réussite. « Au début(1987), j'avais juste une assiette et maintenant j'ai deux tables pour exposer mes produits et aussi un petit espace de stockage derrière», dit-elle avec un sentiment de satisfaction. Assétou Kaboré partage ce marché avec des centaines d'autres commerçants de marchandises diverses. Un marché situé au cœur des habitats, sur la rue 08/18 (ndlr: ancien découpage administratif). Ce petit marché qui jouxte le grand marché de Gounghin, animé essentiellement par des femmes, vendeuses de fruits, de légumes etc., est situé dans un quartier résidentiel. Il faut être très attentif pour ne pas mettre les pieds dans une marchandise, ou la renverser tout simplement. En plus des étals, la petite piste qui tient lieu de route, est encombrée par des jeunes commerçants ambulants qui avec des sachets, qui avec des allumettes dans les bras. Les visiteurs des habitations sont hélés au même titre que les potentiels clients.
Zénabou Bagaya, assise à quelques mètres de l'entrée d'une cour d'habitation ne trouve aucun inconvénient et pense que cette situation est même utile, car, elle permet à chacun d'avoir une place et sa pitance. Tout près, se trouve Yolande, vendeuse de zom kom (jus de petit mil). Elle est une occupante de cette cour commune, dont la porte est obstruée par des étals de légumes et fruits. Yolande a pour voisin une boutique d'articles divers. Le client ou visiteur est, tout de suite, envahi par une odeur pestilentielle. Cette odeur dégagée par une table infestée de mouche, de restes de poissons et dont la noirceur laisse deviner qu'il y a bien longtemps qu'une couche de savon y est passée. C'est dans cette atmosphère à vous couper le souffle qu'on accède à cette cour commune où vit Yolande, ses 3 enfants et d'autres locataires. Pourtant Yolande, dont la cour sert, notamment, de parking aux occupants du marché, semble plus préoccupée par sa situation sociale que l'encombrement de sa porte. « Puisque, je ne peux rien y changer, j'ai décidé de tirer partie de la situation en vendant du zoom kom (boisson de mil) », se justifie-t-elle.
Une situation intenable
Ses voisins, Alain et ses frères, eux, ne supportent pas la promiscuité avec les vendeuses. « Avec les vendeuses, assises de part et d'autre de la porte et le regard vers la maison, on n'a plus d'intimité. Elles sont au courant de tout ce qui se passe dans la cour, ils font partie de la famille, malgré nous », affirme Alain. Son petit frère Romuald, étudiant en médecine, indique qu'il a dû quitter la famille pour étudier dans la sérénité. « Il n'y a aucun répit au bruit. C'est impossible de pouvoir se concentrer sur ses cours. Car, dès 7h du matin le petit marché est animé jusqu'à 21h et ce, tous les jours », fulmine-t-il. C'est pour cette raison qu'il préfère payer le loyer d'une des deux pièces alors que sa chambre reste vide dans la cour. Pendant les échanges, son frère Windenso fait son entrée. Très athlétique, cet artiste-musicien soutient ses frères. Il est désabusé et fataliste. « Vous perdez votre temps. Vous ne pouvez pas aider ces gens, car les propriétaires sont souvent complices de cette anarchie», dit-il en s'empressant de remettre ses adresses pour un possible article de promotion de sa carrière. Leur mère, la soixantaine, confirme les propos de Windenso. En effet, elle précise qu'il y a aussi des avantages. « Il y a le pour et le contre; bien vrai que nos toilettes se remplissent vite, mais les gens se font de l'argent en louant le devant de leurs habitations », dit-elle, et s'éclipse rapidement comme, elle était venue. Effectivement, certains voisins ont su tirer partie de la situation en percevant des frais de location de boutiques qu'ils ont construites ou même de l'espace devant l'entrée. Justement, Mouni Nikiema, vendeur de friperie loue un magasin pour stocker sa marchandise dans la cour de Yolande et aussi une boutique pour les exposer. « Au départ, nous étions à l'intérieur du marché et progressivement nous avons évolué vers les devantures des maisons à cause de l'engorgement du marché. Les relations sont bonnes avec les propriétaires des maisons, ils comprennent que c'est l'engorgement du marché qui a entrainé tout cela», clame-t-il. Un avis qui n'est pas partagé par tous. Aboubacar Touré, le seul propriétaire à avoir une devanture inoccupée, témoigne qu'il a eu la « paix » au prix de multiples affrontements. La dernière en date, le 8 mars 2014, l'a opposé à deux grossistes de légumes qui ont garé leurs engins devant sa cour. Elle s'est soldée par de nombreuses blessures de part et d'autre. Mais Amadou Touré dit ne rien regretter. Depuis 1995, M. Touré a entrepris « une croisade » contre l'occupation de cette rue. « Je ne peux pas rentrer chez moi à moto et c'est carrément impensable en véhicule.
La solution doit être participative...
C'est pour cela, depuis 1995, j'ai tapé à toutes les portes pour qu'une solution soit trouvée, en vain pour le moment », ajoute-t-il. Pour manifester sa désapprobation, il a écrit plusieurs lettres à des autorités municipales, policières et gouvernementales.
De par le passé, la police municipale a pris possession du site durant une semaine. Rien n'y fit. Dès que les forces de l'ordre quittent les lieux, les commerçants reviennent. Est-ce cette inertie ou les différentes initiatives sans succès de déguerpir les commerçants qui a fait naître la lassitude chez les habitants ? Ainsi est rythmée la vie des habitants de la rue 08/18 depuis 1978. Cette situation ne peut plus perdurer. Il va falloir que toutes les parties concernées, les habitants, les commerçants, les autorités coutumières et administratives imaginent une solution à cette situation qui peut encore dégénérer à tout moment. La construction, en 2008, du marché de Mankoudougou a été envisagée comme solution par la municipalité. Malheureusement, les femmes du marché anarchique de la rue 08/18 n'ont pas été prises en compte. D'ailleurs le nouveau marché reste vide malgré un cadre propice aux activités commerciales. L'aménagement du marché actuel pourrait être une option pour prévenir les risques de dérapages entre les habitants et commerçants. Du reste, quelle que soit l'option choisie, celle-ci doit être concertée, si l'on veut qu'elle soit un succès.
Abdoul Razac Napon, Atiana Serge Oulon
Nadège YE.