Sidwaya (S.) : Quels sont les objectifs visés par votre association ?
Lucien Naré (L.N.) : L'ASHVB signifie l'Association pour le salut des personnes handicapées de la vue du Burkina. Elle a vu le jour en 1993, grâce à un groupe de personnes valides et invalides, soucieuses de l'avenir des personnes handicapées visuelles. Elle a été officiellement reconnue le 3 novembre 1994. Ses objectifs sont multiples, et nous visons le développement socioéconomique des personnes handicapées de la vue. Nous visons aussi la propagation de la parole de Dieu parmi les non-voyants, c'est-à-dire œuvrer à leur salut, leur épanouissement et leur intégration sociale.
S. : Vous avez combien de pensionnaires et quelles sont les activités que vous menez à leur profit dans le centre ?
L. N. : Nous avons une soixantaine d'enfants qui sont internés. Mais, dans l'ensemble, nous valons 175 personnes à travers le Burkina, parce que nous avons des comités régionaux, provinciaux et départementaux. Nous faisons, avant tout, l'alphabétisation au profit des pensionnaires, car le constat est qu'un grand nombre d'enfants ne sont pas scolarisés. J'ai pu créer en 2002, l'alphabet braille mooré qui a été adopté par le MENA, les acteurs de l'éducation et de l'alphabétisation. Le braille mooré est en fonction et grâce à cela, le FONAEF subventionne nos centres, et dans le Burkina profond, nous avons plus de 60 centres. Nous avons une imprimerie braille pour l'impression des ouvrages. L'année dernière, nous avons pu transcrire les livres de la 6e. Cette année, il nous faut transcrire les livres de la 5e. En plus de l'alphabétisation des personnes handicapées, nous faisons la formation professionnelle à l'artisanat, l'agropastoral, le maraîchage, au jardinage, à l'aide du système d'irrigation goutte à goutte, la production des planches, pour pouvoir s'autosuffire. Il y a aussi le bilinguisme en AFI-D. Nous sommes appuyés par l'ONG Solidar-Suisse en braille mooré- français. Nous avons réalisé la transcription et l'impression de la bible en braille mooré par notre imprimerie et l'ouvrage a été dédicacé en mars 2009 par l'Alliance biblique du Burkina. C'est autant d'activités que nous menons pour que ces personnes, une fois formées, puissent aussi se prendre en charge et devenir des hommes de demain.
S. : Quelle est la tranche d'âge des pensionnaires et pendant combien de temps le centre les garde-t-il ?
L. N. : Pour les tout-petits, c'est de 9 à 15 ans. Nous les accueillons et leur donnons l'éducation normale au bilinguisme. Et après 5 ans, ils passent le CEP pour aller au secondaire, tandis que ceux de 16 ans et plus, font l'alphabétisation en braille mooré et aussi la formation professionnelle au tissage des chaises, des lits de camp, des sacs à main, etc. Les pensionnaires adultes font 6 mois, de janvier à juin pour leur formation. Ils sortent au bout de 4 ans. Les petits, eux, commencent d'octobre à juillet pour les vacances. Ils sortent aussi comme des gens capables d'alphabétiser les autres. Ils peuvent devenir des animateurs et mettre en pratique ce qu'ils ont reçu comme acquis à domicile, afin de participer à la vie familiale, parce que notre objectif est de lutter contre la mendicité professionnelle des personnes handicapées.
S. : Y a-t-il des modalités pour le recrutement des enfants ?
L. N. : Pour les recrutements, nous partons sur la base des financements que nous recevons des projets. Prenant l'exemple du FONAEF, les adultes sont recrutés gratuitement, pris en charge jusqu'à leur sortie. Quant aux tout-petits, nous les prenons aussi à partir des appuis que nous recevons de nos partenaires, puisqu'ils sont parrainés. Les parents contribuent des fois en nature par des dons d'épices pour l'assaisonnement des mets.
S. : Quelqu'un peut-il vous amener son enfant sans protocole ?
L. N. : Si vous nous amenez un enfant, il sera d'abord mis en observation. Cela va consister à connaître le degré de handicap de l'enfant, car, certains quand ils arrivent, ils souffrent en sus, d'autres handicaps. Il y en a qui sont boiteux. Là, nous pouvons les accepter. Mais d'autres ont des crises d'épilepsie et des maladies qui traumatisent les autres enfants, là il nous est difficile de les accepter. Les parents qui ont donc des enfants qui ne souffrent pas d'autres handicaps, peuvent nous les envoyer. Nous sommes au secteur n°30, Karpala, notre contact est le 50 37 38 70 et notre adresse email, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
S. : Quel bilan de l'année scolaire, dressez-vous en ce qui concerne les enfants qui ont passé les examens.
L. N. : Nous rendons gloire à Dieu et nous disons grandement merci aux autorités et à tous nos partenaires qui nous ont assistés et appuyés au cours de cette année scolaire 2012-2013. Nous avons présenté 9 candidats, 6 filles, 3 garçons, et tous ont été admis au CEP, ce qui fait un taux de réussite de 100% et nous en sommes très contents. Je félicite beaucoup les enseignants. L'année dernière, nous avions présenté 6 élèves, 3 avaient été admis et sont actuellement au Collège multilingue spécifique (CMS) de Loumbila.
S. : Quels sont vos rapports avec le Ministère de l'action sociale et de la solidarité nationale (MASSN) ?
L. N. : Nos rapports avec le MASSN sont les meilleurs, parce qu'il nous appuie beaucoup et nous assiste sur tous les plans. Par des subventions, des aides techniques et en appuis-conseils pour la bonne marche de notre structure.
S. : Etes-vous en partenariat avec d'autres structures, aux plans national et international ?
L. N. : Nous sommes en partenariat avec le Réseau pour la promotion de l'école inclusive (REPEI), la Fédération des associations burkinabè des personnes handicapées, notre ministère de tutelle qui est le MASSN et le MENA. Au plan international, nous sommes avec la Mission évangélique braille de Suisse, Solidare-Suisse, etc.
S. : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le fonctionnement de l'association ?
L. N. : Les difficultés sont nombreuses. Il y a d'abord le problème du personnel. Il faut un personnel qualifié et compétent. Il faut le former et après formation, ce n'est pas sûr que la personne restera avec vous, car elle peut être amenée à partir un jour. Vous êtes obligé encore de chercher d'autres personnes pour la formation, sans oublier leur prise en charge ; ce n'est pas facile. Du côté de l'équipement, pour le braille, il faut du matériel pour que l'handicapé arrive à palper, à toucher, pour savoir les formes. Or, c'est du matériel qui n'existe pas sur la place du marché. Il faut, à chaque fois, commander. A titre d'exemple, le prix minimum des tablettes que nous utilisons pour écrire est de 18 000 FCFA. Une canne pour le déplacement vaut 25 000F CFA. Les feuilles braille, il nous les faut, les machines perkins, les ordinateurs à synthèse vocale, etc., pour les acquérir, ce n'est pas facile. Il faut mobiliser des millions de francs.
S. : Quel est l'impact de votre
association sur l'absorption des enfants ?
L. N. : La présence de notre association n'est qu'une goutte d'eau dans la mer. Il reste beaucoup à faire. Jusqu'aujourd'hui, les parents ne comprennent pas du tout. Nous avons des enfants qui sont cachés dans l'arrière-cour, on ne les fait pas sortir pour que l'on puisse les découvrir pour les envoyer à l'école ou à la formation professionnelle. Il faut toujours qu'il y est une communication, ça demande encore de la sensibilisation, afin que nous puissions faire sortir ces enfants de leur isolement. En termes de pourcentage, par rapport aux enfants qui ont pu aller à l'école, ça ne vaut même pas 5% dans tout le Burkina. Notre association seule ne peut pas tout faire, il faut une conjugaison des efforts avec les autres associations et partenaires, des ONG qui œuvrent dans ce sens afin que nous puissions absorber la majorité.
S. : Quelles sont les perspectives de l'ASHVB ?
L. N. : Nous rêvons d'un établissement spécialisé et inclusif pour ces enfants. Nous avons 12 enfants admis au CEP. S'ils sont dispersés dans des établissements différents, cela nous complique la tâche. Nous voulons aussi développer la formation professionnelle au niveau des adultes. Puisse Dieu nous permettre de réaliser tous ces rêves-là pour que les personnes handicapées de la vue soient à l'aise, bien éduquées, bien formées, bien instruites !
S. : Avez-vous un cri du cœur ?
L. N. : Je remercie les autorités pour ce qu'elles font pour nous. Je leur demande de toujours œuvrer à notre développement, notre épanouissement, à notre intégration sociale et notre bien-être. Nous sommes aussi des fils du pays, et si nous sommes bien formés, nous sommes capables d'apporter notre pierre à la construction de cette nation qui nous est chère. Je remercie nos partenaires, la Mission évangélique braille de Suisse, l'Alliance biblique, le MASSN, le MENA, Solidar Suisse, le FONAEF... Je les aime tant, parce qu'ils nous aiment plus.
Interview réalisée par Barthélemy KABORE