Litige frontalier Burkina Faso-Bénin : Koalou, l’héritage de la discorde

| 30.06.2015
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Litige frontalier Burkina Faso-Bénin : Koalou, l’héritage de la discorde
© DR / Autre Presse
Litige frontalier Burkina Faso-Bénin : Koalou, l’héritage de la discorde
Depuis des décennies, Koalou, un lopin de terre de 68 km2 est source de litige frontalier entre le Burkina Faso et son voisin, le Bénin. En 2009, cette localité a été érigée en une zone à statut particulier par les autorités des deux Etats. Conséquence, ses 5000 habitants ne savent plus à quelle nation elles appartiennent. Chacun choisit le camp qui l'arrange. En 24 heures, nous avons sillonné les concessions de Koalou, l'héritage colonial, pour comprendre le malaise que ses habitants vivent, consécutif à la situation particulière de leur village.


Lundi 22 juin 2015, à 11 heures 18 minutes, au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Koalou, village situé à la frontière Burkina Faso-Bénin, Martine Onadja/ Kiansi, vient de donner vie à un petit garçon. A 22 ans, elle est toute heureuse de tenir dans ses bras, son deuxième "bout de chou". Mais cette joie est teintée d'une dose de tristesse. Le petit Onadja (le bébé n'avait pas encore de prénom ce jour-là) est venu, au monde ainsi que deux autres bébés dans une situation particulière. Ils sont nés sur un sol qui n'appartient ni au Burkina Faso ni au Bénin. Koalou est une zone neutre.

Couché dans les bras de sa mère, les yeux et les points fermés, le garçonnet de quelques heures émet tranquillement son nouveau souffle. Il ignore, sans doute, que si rien n'est fait pour clarifier le cas de sa terre natale, sa nationalité peut, un jour, être remise en cause. Il peut même être, source de problèmes, à l'avenir, dans l'une ou l'autre des deux nations. Mais cette réalité n'échappe pas à sa génitrice. Maman Onadja est angoissée par cela. «Je suis soucieuse de l'avenir de mon bébé. C'est un problème pour une mère de penser que son enfant est originaire d'un village qui n'appartient à aucun pays. Il peut avoir, plus tard, des problèmes», s'inquiète Mme Martine Onadja.

Burkinabè ou Béninois ?

Mais il est difficile, de passage dans la zone, de lire le malaise que les habitants de Koalou vivent. Tout semble normal. Les causeries vont bon train au sein des groupes constitués sous les hangars en bordure de la route. Les boutiques sont ouvertes, les dépôts de vente de carburants ne cessent d'accueillir les vrombissements des véhicules. L'essence coule à flot dans les réservoirs. Les agriculteurs sont à l'ouvrage en ce début de saison pluvieuse. Dans cette localité seuls les services de santé et scolaire (école primaire) existent. Pour prendre le pouls de la cité de Koalou, il faut rejoindre les habitants dans les domiciles.

Mardi 23 juin 2015 ; les rayons solaires illuminent, à nouveau, Koalou. A l'évidence, la situation particulière du village ne menace pas seulement l'avenir de Onadja, le nouveau-né du CSPS. Elle est aussi un dilemme pour les 5000 âmes de la localité. Koalou, loin d'être uniquement objet de litige entre les deux Etats, est aujourd'hui une pomme de discorde entre ses populations. Les uns se réclamant du Burkina Faso et d'autres du Bénin. De ses 70 ans bien sonnés, la peau sur les os, le vieux Toalanfa Onadja a sa conviction. Assis à l'ombre frais d'un karité, papa Onadja, paré d'habits grignotés par le temps, «jure» sur la tête de ses «ancêtres» que Koalou est un territoire burkinabè. Pour rien au monde, il ne va troquer son identité burkinabè contre celle béninoise. «Mon père est né dans ce village. Lui et environ 30 personnes âgées de ma famille sont nés et sont décédés ici. Je voudrais aussi mourir dans ce village en étant Burkinabè», témoigne-t-il. «Je ne comprends pas pourquoi aujourd'hui nous sommes dans cette situation. Nous n'avons jamais pensé un jour appartenir au Bénin. Je suis dépassé par cette situation et cela m'inquiète vraiment», s'attriste le sexagénaire. Profitant de notre présence, il fait un bref rappel du passé. A son enfance, se souvient-il, ses parents se rendaient à pied à Fada N'Gourma (chef-lieu de la région de l'Est du Burkina Faso, situé à 150 kilomètres de Koalou) pour s'acquitter de leurs impôts auprès du colon français ; preuve que le village relevait administrativement du Burkina Faso. Après 30 minutes d'échanges avec le vieux Toalanfa Onadja, le cap est mis sur un autre domicile. A un jet de pierre de la concession de celui-ci se trouve celle de Kanfouga Kouago. Il nous sert un autre son de cloche. «Koalou est une localité béninoise». De facto, il se reconnaît Béninois. Lui aussi admet, dure comme fer, que les propriétaires terriens de Koalou sont d'une seule famille. «Koalou appartient au Berba. Moi je suis Berba et les Berba sont tous Béninois. Par conséquent, je suis Béninois. Le territoire des Gourmantché se situe un peu plus en haut avant Koalou. Toute notre famille a toujours existé dans ce territoire», clame-t-il avec assurance. Et d'ajouter : «Même pas un seul jour, je n'ai possédé de papiers burkinabè. Mais pour mes parents, je n'en sais rien». En outre, pour le «Béninois» de 46 ans, les hommes politiques des deux pays sont à l'origine des malheurs de Koalou et de ses habitants. «Avant, ni le Burkina ni le Benin ne connaissait notre existence. Maintenant qu'il y a du monde dans le village et des constructions, chacun dit que nous lui appartenons. Les politiciens de chaque pays viennent à chaque élection faire campagne. C'est de là que viennent tous nos soucis», s'indigne Kanfouga Kouago.

Le chef de Koalou prend parti

Comme dans la plupart des villages africains, Koalou a un chef coutumier. Nous faisons un tour dans la cour royale. Le détenteur des fétiches ancestraux, Yémiama Onadja se range du côté du sexagénaire «burkinabè». Le territoire dont il est le garant des traditions, martèle-t-il, appartient aux familles Onadja et Tankoano (ethnie gourmantchée) depuis des siècles. Assis sur son trône, vêtu de sa tenue royale, le bonnet rouge sur la tête, il n'hésite pas à brandir fièrement, sa Carte nationale d'identité burkinabè (CNIB). Il soutient que tous ceux qui se réclament Béninois ont été instrumentalisés. Ils ont mordu à l'appât du gain facile, tendu par des hommes politiques. «La route a été bitumée par le Burkina Faso jusqu'au pont qui enjambe le fleuve Pendjari. En son temps, le Bénin ne s'était pas plaint», rappelle Yémiama Onadja. «Pourquoi c'est aujourd'hui qu'ils revendiquent notre terre alors qu'ils n'ont jamais perçu un impôt dans ce village ? D'ailleurs, nous n'avons jamais demandé quelque chose aux Béninois. Leurs investissements ont toujours été faits par la force», fait savoir le coutumier. Néanmoins, la "tête couronnée" émet le vœu, tout comme ses administrés, que le litige soit réglé à l'amiable pour ne pas diviser des frères et sœurs qui ont toujours vécu en parfaite symbiose. Cela leur permettra de bénéficier de vrais investissements dans tous les domaines sociaux afin de vivre dans le bonheur comme tous les êtres humains. Le petit Onadja, quant à lui, il pourra ne pas vivre le problème d'apatridie à Koalou, si et seulement si, le litige frontalier trouve solution devant la Cour internationale de justice basée à la Haye.

Steven Ozias KIEMTORE
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Un espion à nos trousses

Arrivés à Pama, chef-lieu de la province de la Kompienga, nous nous adressons aux forces de sécurité burkinabè avant de nous rendre à Koalou. Elles assurent conjointement la sécurité de Koalou avec leurs frères d'armes béninois. Les gendarmes décident de nous accompagner dans le village pour éviter que la partie béninoise n'interprète autrement notre présence dans le village. Nous acceptons leur proposition tout en demandant aux deux pandores commis à notre sécurité de se mettre à l'écart, une fois à Koalou, pour nous permettre de collecter les informations sans inquiéter les populations. Ils acceptent.

Nous arrivons enfin à Koalou, après environ 45 mn de route. Là, deux autres hommes de tenues béninois, informés de notre arrivée, attendaient. Ceux-ci demandent à nous suivre partout dans le village. Nous opposons un refus en leur disant de faire comme leurs collègues burkinabè. Après quelques explications, ils cèdent à notre requête.

Mais les agents béninois tenaient à tout savoir de notre visite. Une troisième personne en civil se présente à nous. Il dit être un agent de renseignement béninois, par conséquent, il peut nous suivre parce qu'il n'est pas en tenue militaire avec une arme à la main. Nous refusons sa proposition en lui indiquant qu'il n'y a pas d'agent de renseignement burkinabè collé à nos fesses. Il sourit et s'éclipse. Mais pas pour longtemps. Il décide de nous suivre discrètement. Très vite, son jeu est découvert. A notre tour de lui jouer un tour. Alors qu'il pensait que nous étions dans le véhicule qui nous y avait conduits, nous optons de faire le tour des concessions à pied ou derrière une moto, en laissant le véhicule sous le contrôle du chauffeur devant un domicile.

Considérant que nous prenions trop de temps avec nos interlocuteurs, il va au renseignement auprès de notre conducteur. Celui-ci lui indique que nous étions toujours à l'intérieur. Il finit par se rendre compte de notre coup. Mais c'était trop tard. Le travail était déjà fini.

S.O.K.

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