«Ce procès a accouché d’une énigme. Au cours de l’audience, les non-dits ont été plus nombreux que le reste. Dès le départ, on a construit la procédure sur la base de l’association de malfaiteurs mais nous avons toujours réfuté cela et c’est pratiquement le dernier jour que ce fait a été requalifié. Nous ne comprenons donc pas comment, et par quelle science infuse, le tribunal a trouvé cette infraction de «complot militaire», qui est plus lourdement condamnée, pour en affubler nos clients. D’ailleurs, nous n’avons même pas eu le temps d’avoir un débat à ce sujet. Néanmoins, nous en prenons acte et respectons la décision rendue ; nous nous inclinons avec élégance devant l’autorité du juge et de la loi, même s’il y a un certain nombre de mystères qui restent entiers.
Ce procès laisse un goût d’inachevé parce qu’il y a des mystères n’ont pas été dissipés. Jusqu’au bout, nous avons demandé au tribunal de retirer, d’écarter purement et simplement l’enregistrement clandestin qui a servi de base à la procédure, mais ce n’est que le jour du verdict que le tribunal a décidé de le faire. Il nous donne donc raison sur ce point, mais il est trop tard parce que la procédure a eu le temps de se construire autour de cette pièce.
L’autre point que nous considérons comme très important, c’est que des personnes régulièrement citées n’aient pas comparu alors qu’elles pourraient détenir une parcelle de la vérité judiciaire. Pour finir, les avocats de la défense ont remis au tribunal un enregistrement vidéo et le contenu de cet élément a permis, au cours des plaidoiries, de faire ressortir des faits qui pourraient étayer les propos du caporal Madi Ouédraogo. Nous sommes en droit de dire que ce procès pourrait accoucher d’un autre, et c’est peut-être les deux procès mis bout à bout qui vont nous révéler ce qui s’est réellement passé dans cette affaire. Nous avons donné le meilleur de nous-mêmes afin que la vérité soit connue de tous, mais au-delà de la défense de nos clients, il y a de nombreuses leçons que nous pouvons tirer de notre présence à ce procès afin de pouvoir consolider la justice de notre pays lors des procès à venir.
Nous allons prospecter toutes les voies de droit avec nos clients. Pour ce qui nous concerne, nous, avocats commis d’office, notre mission doit s’arrêter là normalement mais nous rendrons compte à nos clients et, ensemble, en fonction de ce que nous leur dirons et des implications d’un recours, ils verront si c’est nécessaire ou pas».
Me Ollo Larousse Hien, avocat du caporal Bapandi Ouoba : «Cette décision ne va pas résister à un pourvoi en cassation»
«C’est une décision qui contient les germes de sa propre destruction et je crois que cette décision ne va pas résister à un pourvoi en cassation. C’est une décision qui, pour ma part, sera purement et simplement cassée par la chambre criminelle de la Cours de Cassation. Ce qui est arrivé vient confirmer un certain nombre de questions que nous nous sommes posées ; quel était l’objectif visé à travers ce procès ? Pourquoi on a voulu coûte que coûte condamner nos clients ? Durant ces jours de procès, qu’est-ce qui a été retenu comme élément factuel pouvant entraîner la condamnation de nos clients ? Rien ! Le tribunal dit qu’il a confisqué les scellés alors qu’on nous a présenté plusieurs sacs, dont sont sortis des kalachs, des grenades, des munitions et des coûteaux-baïonnettes. Cela veut dire que ce n’étaient pas des scellés, et qui les a manipulés pour qu’on vienne parler de confiscation des scellés ? Il y a beaucoup de choses dans cette décision et j’estime qu’on nous a communiqué en lieu et place d’une décision un imbroglio.
Pour ce qui concerne mon client, j’ai déjà discuté avec lui, nous allons faire un pourvoi en cassation. En tant qu’avocat, je ne peux pas rester inactif face à une telle décision, ça m’a beaucoup irrité, même quand on veut condamner, il faut y mettre la forme. A l’ouverture du procès, je disais que notre droit reculait, et je le répète. Cette décision vient confirmer que nous n’allons pas construire notre Etat de droit de cette manière et nous estimons que la Cour de Cassation va purement et simplement casser cette décision.
Nous n’avons cependant pas prêché dans le désert, car le peuple n’est pas dupe. Nous avons beaucoup apprécié votre travail de journalistes et le peuple a compris tous les arguments que les avocats ont eu à développer. Nous avons consacré toutes nos compétences et nos connaissances à la défense de nos clients et c’est parce que le tribunal était mal à l’aise qu’il a estimé qu’il fallait requalifier les charges. Nous n’avons pas prêché dans le désert, car le peuple va comprendre que ça a été une parodie de justice».
San Evariste Barro
Aboubacar Dermé
Hugues Richard Sama
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Encadré 1
Le verdict in extenso
Voici l’intégralité du verdict tel que délibéré par le tribunal militaire dans le procès Madi Ouédraogo et 28 autres.
Statuant publiquement, contradictoirement en matière criminelle et en dernier ressort :
Requalifie en complot militaire les faits d'association de malfaiteurs reprochés à :
Caporal Da Sansan, soldat de 1re classe, Gansonré Wendwaoga Jean Charles, soldat de 2e classe, Sawadogo Ousmane, soldat de 2e classe, Kaboré Thierry Ghislain, Caporal Sanou Ibrahim, soldat de 2eclasse, Coulibaly Patrice, les en déclare non coupables pour infraction non constituée.
Requalifie en complot militaire les faits d'association de malfaiteurs reprochés au soldat de 2e classe Yiougou Abdoul Aziz, au Sergent Poda Ollo Stanilas Silvère, au Sergent-chef Sanou Ali et au soldat de 1re classe Zouré Boureima ; les en déclare non coupables au bénéfice du doute.
Requalifie en complot militaire les faits d'association de malfaiteurs reprochés aux Caporal Ouédraogo Madi, Caporal Diessongo Soumaïla, Caporal Yerbanga Marius, soldat de 1re classe Coulibaly Dramane, soldat de 2e classe Sana Ousmane, soldat de 1re classe Sanou Bakary, soldat de 1re classe Bassolé Koilabour Fulgence, Caporal Bontogo Yemdaogo, soldat de 1re classe Kiétéga Pascal, soldat de 1reclasse Ouédraogo Moussa, soldat de 2e classe Tamboura Sékou, soldat de 1re classe Bado Bassibié Armand, Caporal Ouoba Bapandi, Caporal Mambone Nogban Alexis, soldat de 2e classe Kondé Loba, Ouédraogo Cheick Alassane, Sergent Zallé Mahamadi, soldat de 1re classe Haro Atina ;
Les en déclare coupables ;
Déclare coupables des faits de détention illégale d'armes et de munitions : les soldat de 1reclasse Sanou Bakary, soldat de 2e classe Sawadogo Ousmane, soldat de 1re classe Haro Atina, Caporal Zallé Mahamadi, Ouédraogo Cheick Alassane, soldat de 2e classe Yiougou Abdoul Aziz ;
Déclare le soldat de 1re classe Gansonré Wendawaoga Jean Charles non coupable de détention illégale d'armes à feu et de munitions : pour infraction non constituée.
L'en acquitte;
Déclare Guira Sibiri Gilbert et caporal Mamboné Nogban Alexis non coupables de détention illégale d'armes à feu et de munitions au bénéfice du doute ;
Les en acquitte ;
Déclare le caporal Ouédraogo Madi non coupable de complicité de détention illégale d'armes à feu et de munitions pour infraction non constituée.
L'en acquitte ;
Condamne:
- Sawadogo Ousmane et Yiougo Abdoul Aziz à six (06) mois de prison ferme chacun.
- Sergent Zallé Mahamadi, Caporal Ouédraogo Madi et Ouédraogo Cheick Alassane à quinze (15) ans de prison ferme chacun.
- Caporal Diessongo Soumaïla, Caporal Yerbanga Marius, soldat de 1re classe Coulibaly Dramane, soldat de 2e classe Sana Ousmane, soldat de 1re classe Sanou Bakary, soldat de 1re classe Bassolé Koilabour Fulgence, Caporal Bontogo Yemdaogo, soldat de 1re classe Kiétéga Pascal, soldat de 1reclasse Ouédraogo Moussa, soldat de 2e classe Tamboura Sékou, soldat de 1re classe Bado Bassibié Armand, Caporal Ouoba Bapandi, Caporal Mamboné Nogban Alexis, soldat de 2e classe Kondé Loba, soldat de 1re classe Haro Atina, à dix (10) ans de prison ferme chacun.
Décerne mandat de dépôt contre caporal Diessongo Soumaïla, caporal Yerbanga Marius, soldat de 1reclasse Coulibaly Dramane, soldat de 1re classe Bassolé Koilabour Fulgence, soldat de 1re classe Ouédraogo Moussa, soldat de 1re classe Bado Bassibié Armand, soldat de 2e classe Kondé Loba;
Prononce la confiscation du scellé ;
Les condamne aux dépens.
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Encadré 2
Humer à nouveau l’air de la liberté
Après le verdict du procès Madi Ouédraogo et 28 autres, la justice militaire a procédé hier, 19 janvier 2017, dans l’après-midi, à la mise en liberté des accusés qui ont été acquittés. Il s’agit de Sibiri Gilbert Guira (le conducteur de tricycle) et du soldat de 2e classe Patrice Coulibaly. De la dizaine d’accusés qui ont été relaxés, ceux qui ne sont pas poursuivis dans d’autres affaires ont reçu leur billet de sortie. C’est pourquoi des acquittés comme le sergent Ali Sanou et le soldat de 1re classe Boureima Zouré poursuivent leur pension à la MACA parce que poursuivis dans le dossier Yimdi (attaque de la poudrière) ou du putsch manqué du Général Gilbert Diendéré en septembre 2015. Bien que condamnés à 6 mois de prison ferme, le soldat de 2e classe Ousmane Sawadogo et celui de 2e classe Abdoul Aziz Yiougou ont également été libérés pour avoir déjà passé plus d’un an en détention préventive.
H.R.S.