Au 9e jour d’audience de ce procès, les avocats de la défense sont revenus sur la question subsidiaire que le président du tribunal militaire, Seydou Ouédraogo, entendait intégrer à la liste des questions auxquelles le tribunal devrait répondre lorsqu’il entrera en chambre de délibération. En effet, Seydou Ouédraogo avait avant-hier invité les conseils des accusés à prendre en compte la possible requalification de l’infraction «association de malfaiteurs» en «complot militaire». Avec la possible requalification de cette infraction, Madi Ouédraogo et ses 28 compères risquent la perpétuité et même la peine de mort qui est en vigueur toujours dans notre arsenal répressif.
Hier matin donc, dès la reprise de l’audience, au nom des avocats de la défense, Me Armand Poda est revenu sur l’éventualité de la requalification de l’infraction pour laquelle les accusés sont poursuivis. Même s’il reconnait ce droit au tribunal, l’avocat a quand même souligné qu’il y avait une limite et que les accusés doivent pouvoir se défendre convenablement. C’est pourquoi les avocats ont jugé «trop juste» le délai de fait de 24 heures qui leur a été imparti pour prendre en compte la nouvelle donne, qui pourrait déboucher sur «la peine de mort ou la prison à perpétuité pour nos clients».
Me Armand Poda a alors introduit la requête des avocats : «Nous vous demandons, monsieur le président, une suspension d’audience de 72 heures pour mieux préparer la défense de nos clients, car quand on passe d’association de malfaiteurs à complot militaire, c’est très grave».
Me Armand a également évoqué, une fois de plus, l’absence des personnes qui auraient dû comparaître pour la manifestation de la vérité dans ce procès : il s’agit notamment du caporal Claude Ido, des généraux Gilbert Diendéré et Pingrenoma Zagré.
A sa suite, Me Christophe Birba a relevé que cette question subsidiaire que le tribunal entend poser en chambre de délibération posait deux problèmes.
Le premier est de savoir si la requalification peut aggraver le sort de l’accusé. L’avocat a alors appuyé la demande de suspension en interrogeant le tribunal en ces termes : «Pensez-vous que 72h c’est trop pour préparer la défense de personnes qui risquent la peine de mort ?»
Le second est la thèse du complot. L’avocat a prié le tribunal d’entendre les personnes citées pour être édifié (caporal Claude Ido, des généraux Gilbert Diendéré et Pingrenoma Zagré). Pour lui, dans un procès équitable, on ne doit pas trop user de pouvoir discrétionnaire, c’est pourquoi il a insisté sur la nécessité de la comparution du caporal Claude Ido et des généraux Gilbert Diendéré et Pingrenoma Zagré.
Quant au commissaire du gouvernement, Alioun Zanré, il n’a fait aucune objection à la requête des avocats sauf qu’il a jugé qu’une suspension de 48h serait «un délai plus raisonnable».
Concernant la comparution du caporal Claude Ido, le parquet a estimé que c’était impossible vu que l’intéressé se trouve en mission de paix au Mali où il a le statut de diplomate des Nations unies. Alioun Zanré a indiqué qu’il faudrait suivre une longue procédure qui prendrait des mois pour que l’ONU accepte de libérer le caporal Ido afin qu’il soit à la disposition de la justice.
Quant à la comparution des généraux, le commissaire du gouvernement a déclaré que cela relevait de l’«imperium» du tribunal. «A vous de décider, monsieur le président, et on se soumet».
Après s’est retiré durant 45mn pour délibérer sur la requête des avocats, le tribunal est revenu, sous le coup de 10h, ordonner la suspension de l’audience jusqu’au lundi 16 janvier 2017 à 8h30. Quant à la demande de comparution des généraux Gilbert Diendéré et Pingrenoma Zagré, le président du tribunal a clairement refusé de les faire venir au prétoire.
San Evariste Barro
Aboubacar Dermé
Dieudonné Ouédraogo
Zalissa Soré
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Encadré 1
Me Odilon Abdou Gouba : «On ne peut bâcler la défense de nos clients»
Sur les raisons de la demande de suspension d’audience, la possible requalification des faits et des peines encourues par les accusés, nous avons recueilli les propos de Me Odilon Abdou Gouba, avocat commis d’office à la défense de Pascal Kientéga.
«Nous avons demandé la suspension de l’audience parce que nous avons estimé qu’il nous fallait plus de temps pour préparer la défense, mieux nous organiser, nous entretenir avec les accusés parce qu’hier (ndlr : avant-hier) lorsque le tribunal a suspendu l’audience, il nous a informé que nous serions amenés à nous prononcer, à plaider sur une nouvelle qualification. Mais nous estimons que si c’est une nouvelle infraction, à savoir le complot militaire, pour laquelle nos clients encourent la peine de mort, nous devons disposer de suffisamment de temps pour informer nos clients de ce qu’ils encourent et organiser avec eux la défense pour que nous ne soyons pas là pour faire de la figuration. Le tribunal nous a compris en accordant ce délai de 72 h, car il a noté également que ça y va de l’intérêt de nos clients et du respect des droits de la défense.
La jurisprudence indique que le tribunal peut requalifier les faits, mais nous estimons que dans cette requalification, les accusés doivent être entendus sur ce pour quoi ils sont poursuivis, ils doivent avoir l’occasion d’y répondre parce que nul ne peut être jugé sans avoir eu l’occasion de se défendre, c’est un principe constitutionnel.
Au regard des faits reprochés à nos clients, ils encouraient au maximum 20 ans de prison, mais avec une requalification, ils encourent la peine de mort qui est très grave, voilà pourquoi on ne peut bâcler la défense de nos clients.
Pour ce qui est de la demande de comparution des généraux Gilbert Diendéré et Pingrénoma Zagré, cela relève du pouvoir discrétionnaire du président du tribunal, et nous ne pouvons que prendre acte de ce qu’il a décidé, sans quoi nous avions estimé que leur comparution est importante afin que la lumière jaillisse, pour que la vérité éclate et que nous sachions qui a fait quoi et qui doit répondre de quoi.
En quittant le tribunal militaire, nous allons nous entretenir avec nos clients à la MACA et retourner dans nos cabinets pour préparer leur défense».
Propos recueillis par
Aboubacar Dermé
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Encadré 2
Petit glossaire juridique
Pour aider les journalistes et même le public à saisir certains termes du jargon employé au prétoire lors du procès du caporal Madi Ouédraogo et de 28 autres, nous vous proposons cet extrait du glossaire que Me Arnaud Ouédraogo a concocté et distribué aux journalistes qui couvrent ce procès.
Code de justice militaire
Le code de justice militaire est issu de la loi 24-94/ADP du 24 mai 1994 modifiée en son article 84 par la loi 7-98/AN du 31 mars 1998. L’article 84 nouveau supprime la commission d’office d’avocat en phase d’instruction pour ne la retenir qu’en phase de jugement.
Commissaire du gouvernement
Le commissaire du gouvernement est le représentant du ministère public près le tribunal militaire. Contrairement à son appellation qui peut être trompeuse, il ne représente pas le gouvernement. Toutefois, il ne jouit pas de la même indépendance que le juge ; il est placé sous la hiérarchie du ministre de la défense.
Arrêt de mise en accusation
L’instruction de l’affaire devant le tribunal militaire et en matière criminelle se fait par le juge d’instruction puis par la chambre de contrôle. A la clôture de l’instruction, la chambre de contrôle rend un arrêt de non-lieu ou un arrêt de mise en accusation qui renvoie l’accusé en jugement.
Association de malfaiteurs
Selon l’article 222 du code pénal, «toute association ou entente quels que soient sa durée ou le nombre de ses membres, formée ou établie dans le but de préparer ou de commettre des crimes contre les personnes ou les propriétés, constitue le crime d’association de malfaiteurs qui existe par le seul fait de la résolution d’agir arrêtée en commun».
Complot militaire
Selon l’article 190 du code de justice militaire, constitue un complot militaire toute «résolution d’agir concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs individus» et «ayant pour but de porter atteinte à l’autorité du commandant d’une formation militaire, d’un aéronef, d’un navire militaire, ou à la discipline ou à la sécurité de la formation ou de l’aéronef». Selon le cas, ce crime est puni d’un emprisonnement à perpétuité ou de la peine de mort.
Avocat commis d’office
A l’audience de jugement devant le tribunal militaire et en matière criminelle, l’assistance de l’accusé par un avocat est obligatoire. Si l’accusé ne s’est pas choisi un avocat, le Bâtonnier lui en commet un d’office. Que l’avocat soit commis d’office ou choisi par l’accusé, il est indépendant du tribunal, du ministère public, de ses autres confrères et de son client. Dans l’exercice de sa mission de défense, l’avocat n’est soumis qu’à l’autorité de la loi et à celle de sa conscience.
Instruction à la barre ou à l’audience
L’instruction à l’audience consiste en l’interrogatoire des accusés, l’audition des témoins à charge et à décharge, les confrontations, l’audition des experts et la présentation des pièces à conviction. Le tribunal apprécie souverainement les actes accomplis antérieurement (procès-verbaux d’enquête et actes d’instruction) et peut écarter des débats une pièce du dossier lorsque celle-ci a été irrégulièrement établie ou obtenue.
Exceptions de procédure
Constitue une exception de procédure tout moyen de défense qui tend, avant tout examen au fond, soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. Ces exceptions recouvrent notamment les exceptions d’incompétence du tribunal et les exceptions de nullité de la procédure.
Réquisitions du ministère public
Dans ses réquisitions, écrite ou orale, le représentant du ministère public expose devant la juridiction d’instruction ou de jugement son opinion sur la culpabilité de l’accusé et la peine.
Plaidoirie de l’avocat de la défense
Dans sa plaidoirie, l’avocat de la défense expose à l’audience les moyens et les arguments propres à mettre hors de cause l’accusé ou à réduire le quantum de la peine.
Contradictoire
Le principe du contradictoire recouvre un ensemble de règles garantissant la libre discussion dans le procès. Il est de l’essence même de la vérité judiciaire d’être contredite et discutée. Pour aboutir à la manifestation de la vérité, les moyens et arguments des parties et du tribunal doivent passer aux cribles de la contradiction. C’est ainsi que les figures du juge et de l’avocat se rejoignent pour parachever la symbolique des deux poids de la balance judiciaire. Car «de la contradiction, jaillit la lumière».
Pourvoi
Seul le pourvoi devant la chambre criminelle de la Cour de cassation est ouvert contre les décisions rendues par le tribunal militaire. La décision du tribunal militaire ne marque donc pas forcément la fin de la procédure puisqu’elle pourra être contredite par la juridiction de cassation.
Interdiction des enregistrements sonores
Dès l’ouverture de l’audience, l’emploi de tout appareil d’enregistrement sonore, de caméra de télévision ou d’appareil photographique est interdit sous peine d’amende. Ces interdictions ne sont pas propres aux audiences devant le tribunal militaire. Mais la pertinence de l’interdiction de l’enregistrement sonore se pose lorsque le tribunal a autorisé la retransmission des débats en dehors de la salle d’audience par haut-parleurs.