Le moins que l'on puisse dire est que la sécurité était renforcée autour du palais de justice de Ouagadougou, hier mardi 13 août 2013 aux environs de 8h : barrières de police, agents des forces de défense et de sécurité postés aux quatre coins de l'enceinte, ballon de surveillance policière flottant au-dessus de l'édifice. Dès la porte principale, c'est le dispositif des gardes de sécurité pénitentiaire qui prend le relais, quadrillant le palais. Ils semblent insensibles aux cris et chants de la foule d'étudiants qui brandissent des pancartes dans la cour.
- «Justice de la 4e république = justice des forts contre les faibles» ;
- «Non aux arrestations arbitraires» ;
- «A quand le procès de Guiro Ousmane ? Non à une justice à deux vitesses» ;
- «Libération sans conditions de nos camarades étudiants».
Ce sont, entre autres, les messages que l'on peut lire sur ces pancartes bricolées à la hâte. Il faut montrer patte blanche avant d'accéder à la salle d'audience n°1 devant abriter le procès pour les journalistes. Les étudiants, eux, doivent freiner leur impatience, la salle étant déjà pleine. «Patientez, si certains de vos camarades sortent, on vous laissera entrer pour prendre leur place», leur disant pour les calmer des «GSP». A l'intérieur, en effet, difficile de se trouver une place assise dans le public, à moins de vouloir rejoindre les bancs des accusés placés sur le flanc droit où les 50 prévenus ont été installés.
Les journalistes à la barre
Le procès débute avec l'entrée de la Cour alors qu'il est une dizaine de minutes après 8h. Après avoir vérifié que ni la défense ni la partie civile n'avaient d'observation particulière, Mme Awa Kafando née Ganamé, qui préside la séance, commence avec les dossiers inscrits à l'audience. C'est alors qu'elle remarque les caméras et les appareils photos des journalistes postés sur la mezzanine.
-«S'il vous plaît ! Avez-vous une autorisation ?» les interpelle-t-elle.
-«Non, Mme le juge !», répondent en choeur les hommes et femmes de média.
Après un bref conciliabule avec ses collaborateurs, elle invite les journalistes à la rejoindre. «On nous appelle à la barre», taquine un scribouillard pendant qu'ils descendent. «Vous allez avoir droit à votre procès», ajoute un autre. Eclats de rire pendant que le groupe arrive à la barre.
- «Il est interdit de filmer ou de prendre des photos ; alors, vous allez déposer vos appareils ici et on vous les rendra à la fin», leur explique la présidente.
- «Nous vous donnons notre parole de ne filmer ni de prendre des photos mais nous ne pouvons laisser nos appareils ici. Vous pouvez envoyer des GSP pour nous surveiller.»
La magistrate s'en réfère au procureur, Placide Nikièma. L'audience est suspendue pour que soit tranchée la question. Les gratte-papiers rejoignent leur box.
- «On demande les deux responsables de la presse», annonce un monsieur.
- «Il n'y en a pas ! On vient de différents organes et chacun est responsable pour son organe !»lui répond-on.
- «Ok ! venez-tous alors !»
Et revoilà les journalistes descendant les marches pour être conduits dans l'arrière salle du procès. Un homme élancé en robe noir et blanc d'avocat les rejoint. «Je suis mandaté par les avocats de la défense pour vous dire que ce procès est vraiment comme un procès ordinaire pour nous. Il n'y a pas lieu d'y ajouter la pression, alors nous vous demandons de calmer le jeu. Mettez balle à terre, ne filmez pas, n'enregistrez pas !» plaide Me Séni Roger Yamba, puisque c'est de lui qu'il s'agit. Approbation générale. «Merci pour votre compréhension», leur dit la procureure générale, Honorine Médah.
8h40. Le procès reprend avec l'injonction aux journalistes de respecter leur parole, des GSP prenant position au cas où. Tour à tour, les délibérés des dossiers enrôlés sont vidés avant qu'on arrive à celui qui requiert tant d'attention : le procès des 50 personnes interpellées lors des manifestations des 31 juillet et 1er août 2013 qui ont fait suite à la fermeture des cités et restaurants universitaires. Des acclamations se font entendre depuis le perron. Les chants et cris de guerre y reprennent de plus belle.
- «Y a-t-il des pièces à reverser aux dossiers ?» demande la juge.
Une quinzaine d'avocats des deux parties se lèvent pour apporter leurs additifs respectifs.
«Hé Me Halidou Ouédraogo même est là !» s'exclame un journaliste, montrant du doigt l'avocat qui, d'une démarche calme, s'avance vers le présidium en s'appuyant sur sa béquille.
Commence ensuite la vérification des identités des 50 prévenus. La prévention retenue contre eux est celle d'actes de vandalisme lors de manifestations publiques et de coups et blessures volontaires. Pendant que les prévenus se succèdent à la barre, les chants des étudiants se font entendre de plus belle dans la salle : «Fo san dém ni étudiants, fo nan pama yélé ! (NDLR : si tu t'amuses avec les étudiants, tu vas avoir des problèmes, traduit du mooré au français)».Des GSP ferment la porte, d'entrée. «Ouvrez la porte s'il vous plaît ! C'est un procès public», leur enjoint la juge, qui accède également à la requête de la défense qui demande que la prévention soit lue après la vérification pour tout le monde.
- «S'il y en a qui ne comprennent pas le français, qu'ils le signalent pour qu'on leur fasse la traduction», dit-elle aux prévenus.
- «Mais ce sont des étudiants !» entend-on dans la salle.
- «Tous ne sont pas étudiants, c'est pour ça que je fais la remarque», tranche la magistrate.
Arrive d'ailleurs, alors qu'il est 9h et quart, le tour de deux non étudiants, des mineurs : l'un vendeur de lotus et l'autre élève. Il faut une traduction en langue mooré pour le premier et une explication des textes pour le second. Au cours de la vérification on apprend également qu'il y a parmi eux une fille et un prévenu de nationalité ivoirienne ainsi que six non- étudiants au total (dont un pompiste, un vendeur de cartes de recharge, un cireur, un vendeur d'eau).
La parole est donnée aux avocats de la défense. Premier à prendre la parole, Me Prosper Farama soulève une exception d'inconstitutionnalité de la loi de 2008 portant sur les manifestations sur la voie publique (voir encadré). «Le président du Faso a lui-même rappelé il y a peu qu'on se doit de veiller au respect de la Constitution. Si tant est qu'on soit tous, lui comme nous, attachés au respect de notre Constitution, la Cour doit renvoyer le dossier devant le Conseil constitutionnel», ajoute-t-il. Acclamations dans la salle.
- «Vous n'avez pas le droit de faire des acclamations», rappelle Mme Ganamé.
L'exception d'inconstitutionnalité est également l'argument des autres avocats de la défense au nombre desquels Me Marcellin Somé et Me Guy Hervé Kam qui prennent la parole pour demander par ailleurs la levée de la détention préventive, invoquant le code de procédure pénale.
Le mandat de dépôt ne peut être levé, selon l'argumentaire de la partie civile, en l'occurrence les cabinets de Me Barthélémy Kéré et de Me Antoinette Ouédraogo, qui affirment également que la présomption d'innocence n'annule pas la procédure pénale. Ils sont appuyés par le parquet qui relève aussi que l'exception soulevée est niée par le fait que certains prévenus ont déclaré ne pas reconnaître les faits qui leur sont reprochés.
Bref conciliabule du présidium après les différents argumentaires.
10h50. L'audience est suspendue pour une heure.
C'est le moment d'aller chercher de quoi se mettre sous la dent pour certains qui se ruent aux abords du palais. Les autres préfèrent rester dans la salle et meubler leur temps avec des journaux, des jeux électroniques, facebook, ou en piquant tout simplement un somme.
Dans la cour, les étudiants, divisés en deux groupes, font littéralement le show.
11h45. On apporte des sachets d'eau aux prévenus dont certains, organisés par petits groupes par les GSP, profitent de la pause pour aller se soulager.
Dans le public, le débat sur le Sénat et le communiqué de la présidence du Faso sur le sujet bat son plein.
12h50. La pause durant plus longtemps que prévu, il faut apporter des informations sur le procès à la foule et l'inviter à rester mobilisée.
14h30. Le procès reprend enfin. «La Cour surseoit à statuer jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel se prononce sur l'exception d'inconstitutionnalité soulevée et rejette la demande de liberté provisoire.» annonce Mme Awa Kafando née Ganamé.
14h40. L'audience est levée.
«On a partiellement eu gain de cause, car il reste la liberté provisoire pour laquelle nous allons faire appel», confie Me Farama aux journalistes.
15h. Après de nouveaux chants et appels à rester mobilisés «en laissant les avocats faire leur travail», les étudiants quittent par petits groupes le palais.
«C'est parce que vous vous ne repartez pas en prison que vous dites de rester mobilisés. Se mobiliser depuis le matin pour avoir un zéro le soir ? C'est pire que d'être en session », lance l'un d'entre eux en s'éloignant sur sa moto.
Hyacinthe Sanou
Encadré : L'exception d'inconstitutionnalité
En quoi consiste exactement l'exception d'inconstitutionnalité soulevée ? Qui mieux que Me Prosper Farama, himself, pour y répondre ? «La loi contre les manifestations sur la voie publique, ce qu'on appelle la loi contre le vandalisme a été adoptée en 2008. Il faut se rappeler un peu le contexte pour s'en souvenir, c'était à la suite de crises que connaissait le Burkina Faso et les lois habituelles qu'on applique sur les manifestations sur la voie publique ne pouvaient pas servir à juger quelqu'un qu'on prenait dans une manifestation, il fallait que vous arriviez à déterminer que s'il y a casse, il a participé directement à la casse. Si quelqu'un a été blessé, c'est lui qui l'a fait. Mais à partir du moment où il n'a fait que participer à une manifestation, on ne peut pas le condamner. Ils ont donc adopté une loi illico presto pour s'adapter à la circonstance et cette nouvelle loi dit que maintenant dès lors que vous participez à une manifestation même si on n'arrive pas à déterminer que vous avez étiez coupable de quoi que ce soit, vous serez condamnez comme si vous êtiez coupable. Donc le simple fait de participer à une manifestation, si éventuellement elle dégénère, vous assumez la responsabilité et la conséquence exactement comme celui qui a cassé ou celui qui a brûlé. Or, quand vous lisez les articles 4 et 5 de la Constitution, c'est clair, il y a la présomption d'innocence, c'est-à-dire que quand on vous prend dans un fait, jusqu'à ce que votre culpabilité directe soit établie, vous êtes présumé innocent. La loi en question est donc en fait le contraire de ce que la Constitution dit, car elle, elle dit que si on vous prend, vous êtes présumé coupable : elle est donc inconstitutionnelle. En même temps on dit que si on vous prend dans une manifestation publique, on ne cherche pas à savoir qui a fait quoi, tous ceux qu'on a pris sont co-auteurs et donc condamnés de la même façon ; c'est ce qu'ils appellent la responsabilité collective pourtant en droit, la responsabilité collective en matière pénale n'existe pas, la responsabilité est personnelle et individuelle et la Constitution dit en son article 5 que la peine est personnelle et individuelle. Il faut donc qu'on arrive à établir que moi j'ai fait quelque chose et la peine qui va avec, moi je supporte. On estime que vu sous cet angle aussi, c'est une violation de la Constitution et l'article 25 que nous avons évoqué dit que lorsqu'on soulève cette exception, le tribunal qui est saisi ne peut pas trancher, il faut ramener cela devant le Conseil constitutionnel qui va lire la disposition et voir si elle est conforme à la Constitution, on poursuit le procès ; si elle n'est pas conforme, les poursuites doivent tomber à l'eau et on devra alors revoir même la disposition.»