C’est à 8h 10 qu’a débuté l’audience. On se rend compte que le président du tribunal n’est autre que Seydou Ouédraogo, le même qui a conduit le procès Madi Ouédraogo et 28 autres. Après la lecture de l’ordre de convocation, le président du tribunal a vérifié la présence des accusés et de leurs conseils. Un seul absent, le soldat de 1re classe, Albert Gounabou, en fuite. Contrairement au procès Madi et compagnie, où aucun témoin n’avait été cité, cette fois, une dizaine de témoins devront défiler à la barre. Eux aussi ont été appelés hier matin et conduits dans une salle où ils ne peuvent suivre l’audience.
Place ensuite au tirage au sort pour compléter le tribunal. Ainsi, trois militaires ont été désignés comme juges militaires titulaires et trois autres suppléants. Après que tous ont prêté serment, les titulaires ont été invités à prendre place aux côtés du président du tribunal, Seydou Ouédraogo, et de son juge conseiller, Pascal Compaoré, qui, lui aussi, était déjà à ce poste lors de l’affaire Madi Ouédraogo. L’audience a ensuite été suspendue à 8h49 pour permettre aux officiels de se retirer.
A la reprise à 9h35, place au bal des exceptions de procédure que les avocats ne manquent jamais de soulever lors des grands procès. Ce premier jour de procès de l’attaque de la poudrière de Yimdi a donc été marqué, en guise de préliminaire, par deux exceptions de procédure. En effet, les avocats, Me Dieudonné Willy conseil du soldat de 2e classe Seydou Soulama accusé pour complot militaire, désertion à l’étranger en temps de paix, complicité de vol aggravé et Me Michel Traoré, avocat des sergent-chef Damagna Roger Koussoubé, Laoko Mohamed Zerbo et de l’adjudant Kossè Ouékouri poursuivis pour désertion à l’étranger en temps de paix, ont fait remarquer, avant lecture de l’arrêt en renvoi, que les noms de leurs clients ne figuraient pas sur l’ordre de poursuite émis dès le départ. Ils soutiennent qu’en pareille situation, lorsqu’en pleine procédure d’autres noms sont cités, il faut faire recours au parquet qui, bien que n’ayant pas de pouvoir décisionnel, fera une réquisition au ministre de la Défense pour un nouvel ordre de poursuite et d’informer afin de pouvoir interpeller les intéressés. Dans le cas d’espèce, le conseil considère que la procédure n’a pas été respectée. Par conséquent, les avocats ont exigé la nullité de la procédure et Me Traoré a demandé le sursis de ses clients en plus.
Sur la question, prenant la parole, le substitut du commissaire du gouvernement s’est étonné que ces exceptions de nullité refassent surface ce matin, car, dit-il , « la question a été longuement débattue à cette même barre et les conseils ont succombé. En mauvais perdants, ils viennent encore soulever le problème ce matin. Nous ne comprenons pas cette attitude». Le commissaire du gouvernement a donc appelé le tribunal à déclarer irrecevables ces exceptions car, pour lui, la chambre de contrôle a déjà examiné la question.
Réplique du conseil : Même si l’affaire a été examinée devant la chambre de contrôle, elle peut bien faire l’objet de discussion devant la chambre de jugement. Me Willy propose donc que la question soit discutée séance tenante ou qu’elle soit laissée à l’appréciation de la Cour de Cassation avant la poursuite du procès.
Alioune Zanré, le commissaire du gouvernement, revient à la charge en ces termes : «Nulle part le législateur n’a dit qu’on doit mentionner exactement les noms. C’est une querelle qu’on nous fait et qui n’en valait vraiment pas la peine».
Après cette intervention, le tribunal observe une suspension d’une heure quinze minutes afin de vider les exceptions soulevées. A la reprise, le tribunal a rejeté la demande de sursis de Me Traoré pour ses clients. Le président du tribunal pose ensuite la question au conseil de savoir si oui ou non le tribunal est compétent pour statuer de la régularité en se référant à l’article 218 ? En effet, cette disposition stipule que le tribunal ne peut pas statuer sur les nullités de procédures. Mais les avocats évoqueront l’article 117 du code de la justice militaire qui est une disposition spéciale : «selon l’article 117, votre juridiction peut statuer sur les nullités de procédures même antérieures à la présente audience », affirme Me Traoré. Il est appuyé par son confrère Me Willy : «La disposition de l’article 218 doit être écartée, car nous sommes dans une matière spéciale. Vous êtes bien compétents en référence à l’article 117».
Le commissaire du gouvernement, quant à lui, dira : «Nous n’allons pas faire dire à l’article 218 ce qu’elle ne nous dit pas. Nous requérons que le tribunal se déclare incompétent pour ces nullités».
Réaction des Maîtres Willy et Traoré : «Le commissaire s’attarde sur les dispositions générales en évoquant l’article 218 pourtant l’article 117 est spécifique et d’une disposition générale à une spécifique, c’est la seconde qui s’applique».
Finalement, le tribunal a estimé que les deux articles sont complémentaires et par conséquent s’est déclaré incompétent. Place donc au procès proprement dit !
Les gardes de Yimdi désarmées et ligotées
Il est ressorti en substance du contenu de l’arrêt de renvoi que suite à l’attaque de la poudrière de Yimdi, à l’arrivée de la gendarmerie sur les lieux, les individus ayant attaqué le site ont pris la fuite et il a été constaté un enlèvement de matériel militaire par suite d’effraction. De plus, les éléments qui étaient de garde avaient été désarmés et ligotés. C’est ainsi que l’enquête préliminaire diligentée à cet effet a permis de savoir qu’il s’agissait de militaires de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui, après le putsch manqué de septembre 2015, s’étaient enfuis en Côte d’Ivoire. Les présumés auteurs qui ont été appréhendés dans la foulée sont le sergent-chef Ali Sanou, Ollo Stanislas Poda, Abdoul Nafion Nébié, Mohamed Zerbo, Seydou Soulama et Hamidou Drabo. Avant de rejoindre la Côte d’Ivoire via le Ghana, ces derniers auraient été guidés par Daouda Nébié et auraient également confié leurs armes à un civil du nom de Sabkou Yago, une connaissance d’Abdoul Nafion Nébié. Des déclarations de ce dernier, ils y ont été rejoints par Ousmane Djerma, aujourd’hui décédé, et Roger Koussoubé qui allait leur venir en aide financièrement. Le nom d’un certain Bissiri est ressorti comme étant celui qui allait remettre des sommes d’argent à Koussoubé.
D’après les déclarations d’Ali Sanou, vu comme le cerveau de l’attaque de la poudrière de Yimdi, c’est à partir de la Côte d’Ivoire qu’il a été contacté par Mahamadi Zallé. Celui-ci l’a informé d’une action prévue au Burkina Faso à la date du 31 décembre 2015. A l’approche de cette date, deux équipes se seraient rapprochées de la frontière burkinabè, mais l’action ayant échouée, elles ont replié en terre ivoirienne pour mieux s’organiser. Plus tard, Ali Sanou aurait fait part d’un projet de retour au pays visant à attaquer la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA) afin de libérer les généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé. Dès lors, il a été proposé l’attaque de la soute à munitions de Yimdi et un autre magasin dans l’optique de pouvoir se munir d’armes. Deux équipes d’environ 5 éléments chacune ont encore été constituées par Ali Sanou, l’une coiffée par Ollo Stanislas Poda, et l’autre par Ali Sanou lui-même. Un groupe restreint serait venu au niveau de Ouangolo pour se procurer des fétiches avant le retour sur Ouaga. Certains membres des deux équipes ont quitté la Côte d’Ivoire les 18 et 19 janvier 2016. Arrivés, ils auraient récupéré leurs armes avec un ami de Sabkou Yago. A bord de quatre engins, d’autres ex-RSP dont le sergent-chef Sanou ont pris la route de Ouaga le 21 janvier 2016.
De nombreux autres militaires comme Aboubakren Ould Hamed ont été cités comme ceux qui étaient déjà à Ouaga pour apporter leur soutien au projet d’attaque. Un élément de Bobo-Dioulasso aurait donné aussi son accord pour le projet, mais est rentré à Ouaga après l’attaque parce qu’il n’a pas eu une permission d’absence. Des éléments de Gaoua étaient également partants pour le coup. Mais dans le groupe, Isaïe Ouédraogo a affirmé avoir donné des informations à Ali Sanou via Internet mais qu’il ignorait les intentions de ce dernier.
Selon le contenu de l’arrêt de renvoi dévoilé par le greffier en chef, c’est à partir du pont de Boulmiougou qu’une quinzaine d’éléments ont attaqué la soute à munitions. Certains étaient armés et d’autres considérés comme ayant la maîtrise du terrain. Les armes enlevées auraient été déposées ensuite dans le coffre du véhicule d’Ali Sanou, les autres ayant été convoyées à motocyclettes. Au lendemain de l’attaque, un militaire basé à Ouahigouya, ayant appris que les Forces de défense et sécurité (FDS) menaient des actions pour appréhender les fautifs, a donné des informations par sms à Ali Sanou concernant l’itinéraire empruntés par les FDS. Salfo Kosbéogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a déclaré qu’il a fait une erreur d’envoi parce que le message était destiné à une autre personne. Se sentant acculé, beaucoup ont cherché à cacher les armes avant de quitter le pays ou ont été hébergés par de tierces personnes.
Il faut préciser qu’au début de la procédure judiciaire, 30 personnes composées essentiellement d’ex-RSP et de quelques civils ont été alpagués dans cette affaire et des non-lieux ont été prononcés pour 8 personnes. Elles sont donc 22 à comparaître à la barre de la justice militaire. L’un d’entre eux, le soldat de 1e classe, Albert Gounabou en l’occurrence, poursuivi pour complot militaire est en fuite et sera jugé par contumace, autrement dit, à son absence.
Cinq chefs d’accusation contre le caporal Nafion
L’instruction à la barre a débuté à 15h30 avec le caporal Abdoul Nafion Nebié (29 ans). Pas moins de cinq chefs d’accusations lui sont reprochés : complot militaire, désertion à l’étranger en temps de paix, vol aggravé, détention illégales d’armes à feu ou de munitions de guerre, violences et voie de fait. Devant le tribunal, il a reconnu seulement le fait de désertion, «mais pas en temps de paix». Selon ses propos, il a franchi la frontière ivoirienne «par peur». «Les obus tombaient sur le camp Naaba Koom II et pour ma propre sécurité j’ai décidé de me rendre dans mon village à Léo », a-t-il expliqué. A Léo, il aurait été contacté par le sergent-chef Ali Sanou qui désirait se rendre en Côte d’Ivoire. Ce dernier ne connaissant pas le chemin, Nafion Nebié est revenu au péage route de Ouagadougou pour l’y conduire. C’est en ce moment qu’il aurait vu d’autres soldats avec le sergent-chef Sanou. Ensemble, le groupe constitué d’ex-soldats du RSP est entré en Côte d’Ivoire en passant par le Ghana. Avant de traverser la frontière ghanéenne, Ali Sanou qui avait «une arme» avec lui l’a enterrée dans les broussailles, selon l’accusé.
Les raisons avancées de cet exil ivoirien ne convainquent pas le ministère public : « Qu’est-ce que vous avez fait pour craindre pour votre vie ? Qui vous poursuivait ? Quand on a peur, on ne revient pas à Ouagadougou pour chercher d’autres éléments», a signifié le commissaire du gouvernement. Et le prévenu de s’en tenir à ses premières explications.
Après un peu plus de trois mois à Abidjan, le caporal Nafion Nebié a indiqué être revenu au Burkina Faso le 19 janvier 2016. Sur les motifs de ce retour, ses propos devant le tribunal et ses déclarations en enquêtes préliminaires contredisent celles qu’il a tenues à la barre.
En effet, hier, il a affirmé que le sergent-chef Ali Sanou désirait récupérer son arme cachée dans les broussailles et lui, seul connaissait le chemin, d’où leur retour à Léo. C’est uniquement dans la volonté de «revoir sa fiancée» qu’il est revenu à Ouagadougou le 21 janvier 2016 après avoir fait le chemin avec le caporal Hamidou Drabo. Mais selon le commissaire du gouvernement, en Côte d’Ivoire, le caporal Nafion Nebié a participé à des rencontres avec des ex-soldats du RSP au cours desquelles le sergent-chef Ali Sanou a fait part du projet de libération des généraux à la MACA. Selon Alioun Zanré, la bande était divisée en deux groupes.
Un premier dirigé par Ali Sanou lui-même et un autre avec à sa tête le sergent Ollo Stanislas Sylvère Poda. L’un, ayant devancé l’autre au Burkina, les deux groupes avaient comme projet commun de s’attaquer à la poudrière de Yimdi pour récupérer des armes, a insisté le commissaire du gouvernement. Mais l’accusé a réfuté catégoriquement avoir été informé de ce projet depuis la Côte d’Ivoire. C’est le jour de l’attaque, vers 22h, qu’il se serait retrouvé par hasard aux environs de Yimdi. Informé du projet, il aurait prétexté des soucis familiaux pour se désolidariser et serait revenu à Ouagadougou. « J’avais emprunté la moto du caporal Hamidou Drabo. Ce dernier, réclamant son engin, m’a demandé de le rejoindre à un pont vers Yimdi. Il m’a, par ailleurs, informé que le sergent-chef Ali Sanou souhaitait s’entretenir avec moi», a-t-il ajouté. Et de poursuivre : « Je me suis dit que ça tombe bien parce que moi aussi, je voulais voir le chef pour lui expliquer mes problèmes. Mais dès que le sergent-chef Ali Sanou m’a parlé de l’attaque de Yimdi, je suis reparti ». Il a déclaré dans la foulée qu’il a été surpris de voir son nom et sa photo dans les médias comme faisant partie du commando. Ce à quoi le commissaire du gouvernement a rétorqué : « le mensonge est un moyen de défense mais quand les faits sont établis, il ne peut pas prospérer». Pour Alioun Zanré qui l’a renvoyé à ses premières déclarations, le caporal Nafion jouait « le rôle de guetteur lors de l’attaque. On lui a confié une arme, et lorsque les tirs ont commencé il l’a jeté et il est parti». Pour l’accusé, ses déclarations à la gendarmerie sont nulles et non avenues, car « les officiers de police judiciaire écrivaient ce qui les arrangeaient » et de relater de multiples actes de tortures physiques et morales dont il aurait été victime : « On a coupé mes habits avec une paire de ciseaux, on m’a mis nu, on m’a bastonné, ils ont déchiré ma tenue léopard et on m’a attaché le cou avec ça. Ils ont dit que je cachais de l’argent, ils ont fouillé partout, ils ont même fouillé la tombe de mon grand-père», a-t-il relaté. Pour son avocat, Me Yelkouni, les P-V de la gendarmerie ne valent qu’à titre de «simple renseignement».
Le caporal était toujours à la barre lorsque nous avons rallié la rédaction, peu avant après 17h30 pour tracer ses lignes.
L’audience qui a été suspendue une demie heure après, pour reprendre ce matin 8h30.
San Evariste Barro
Ebou Mireille Bayala
Aboubacar Dermé
Hugues Richard Sama
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Cette musique militaire qui manque au prétoire
Le procès de l’attaque de la poudrière de Yimdi tranche avec celui de Madi Ouédraogo et ses compagnons, tant dans le fond du dossier que dans les détails jusqu’à la sonorisation. En effet, lors de ce premier procès des baffles étaient disposés à l’intérieur comme à l’extérieur afin de permettre au public de bien suivre les débats.