En ce premier jour des épreuves du Bac, ils ont même été plus matinaux que les candidats. Avant 6 heures, des membres de la famille de l'ancien directeur général des douanes étaient déjà devant le portail de la Cour d'appel de Ouaga 2 000. Certains sont venus de Ouahigouya pour voir l'épilogue de cette affaire qui accable un des leurs, depuis son arrestation le 5 janvier 2012. Très vite, la famille est «menacée» par la caméra d'un JRI (Journaliste-reporter d'images) qui tentait de lui arracher quelques mots, l'obligeant à aller loin du palais pour attendre l'ouverture de l'audience. La famille n'a pas attendu longtemps. Peu avant 7 heures, une fourgonnette escorté par un pick-up de la GSP (Garde de sécurité pénitentiaire) s'engouffre dans le bâtiment et stationne devant la salle d'audience. L'ex-DG de la douane, habillé en tenue traditionnelle blanche en cotonnade, s'installe dans le box des accusés, accueillant du regard les membres de sa famille qui pénètrent, aux compte-gouttes dans la salle d'audience dont l'entrée est filtrée aux détecteurs de métaux. Avant le début de l'audience prévu pour 8 heures, le palais qui s'attendait à une forte affluence, installe son matériel de sonorisation à l'extérieur. Les 6 témoins cités dans l'affaire s'installent aussi, en face de la barre, juste avant le début effectif des audiences à 8h 12 minutes. Il s'agit du DG des douanes, Adama Sawadogo, l'ex-DG, Jean Sylvestre Sam, Blaise Kaboré, Sanou Geneviève, l'épouse de l'accusé, Abibou Guiro et Assami Guiro, commerçant. «Nous allons examiner le dossier ministère public contre Ousmane Guiro et son coaccusé Zongo Touwenmanegré Eric (absent de l'audience). Ils sont défendus par les cabinets SCPA (Société civile professionnel d'avocat) Ouattara Sori/Salembéré, Yaguibou Yanogo et Me Nion. Une dizaine d'avocats au total, pour prouver l'innocence de leur seul client, car un avis de recherche infructueuse du second accusé, Eric Zongo, a été déposé le jour même, devant le juge, poursuivi, lui, pour recel. A l'appel de son nom, Ousmane Guiro se présente à la barre avec tout ce qu'il lui faut : un sachet de médicaments, un sac contenant sûrement, des pièces à conviction et un mouchoir. Au moment de la vérification de l'identité de l'accusé, ses avocats convainquent le juge de suspendre l'audience pour régulariser la composition du ministère public et du greffe. Les deux entités étaient en effet, représentées chacune par trois personnes, au lieu de 1 seule personne comme prescrit par la loi. Le juge a accédé à la requête des avocats, en ordonnant la suspension des débats, en vue de régulariser la composition du parquet et du greffe, quitte à ce que chacun des trois se relaie à tour de rôle. Le ministère public a expliqué en vain, que cette composition se fait habituellement».
Première victoire pour les avocats de Guiro
C'est donc avec une première victoire contre le ministre public que l'audience reprendra. Les avocats ont même tenté d'aller plus loin, en relevant devant le tribunal que des pièces essentielles du procès ne sont pas parvenues à leurs clients dans les délais et qu'il revient au juge d'en tirer les conséquences. En revoyant le procès ? Non, le juge a ordonné l'examen du dossier dans le fond, en demandant au greffier de procéder à la lecture de l'arrêté de mise en accusation, après la vérification de l'identité de Ousmane Guiro. Un inspecteur des douanes, né en 1953 à Ouahigouya, recruté dans l'armée (classe 73), décoré 3 fois en 2001, 2007 et 2011, n'avait jamais été condamné, auparavant.
Pendant plus d'une heure de lecture de l'arrêté de mise en accusation, on apprendra que c'est un informateur anonyme qui a contacté la gendarmerie de Boulmiougou sur le fait que des élèves mènent un grand train de vie dans le quartier Pissy, avec de l'argent soutiré dans un trésor caché dans le domicile de Sana Tidjani, un cousin de l'ex-DG de la douane. La gendarmerie est intervenue, suite à des informations faisant état d'une attaque imminente de la cour au trésor par des bandits, chasseurs de primes. Elle découvrira 3 cantines contenant de l'argent de devises diverses d'un montant de 1 906 190 604 en dollars (30 533), en euros (78 295) et en CFA. Le cousin finira par désigner Ousmane Guiro comme le propriétaire du magot. Lors de son audition à la gendarmerie et durant l'instruction de l'affaire, Guiro a soutenu que l'argent était le fruit de 30 ans de labeur, de ses revenus légaux (primes, gratifications), produits d'élevage, ses récoltes, d'orpaillage, des dons et autres cadeaux de personnes physiques et morales, satisfaits des services rendus. L'argent a donc été prudemment chez Guiro, au domicile de son cousin en 2011, a-t-il expliqué, suite à la mutinerie dans les casernes et aux informations selon lesquelles, il devrait recevoir la visite des mutins. L'enquête sociale révèle plutôt un homme apprécié de son entourage, un bon père, très sociable, généreux et solidaire de son prochain. Ce qui n'a pas empêché la justice de le poursuivre pour corruption passive, enrichissement illicite, en se servant de la fonction de DG de la douane et pour avoir enfreint la réglementation des changes. Après avoir écouté attentivement, les chefs d'accusation, Guiro n'a pas eu le temps de prononcer sa non culpabilité que son avocat, Me Salembéré, intervient pour exiger la présence des cantines scellées à l'audience comme pièce à conviction. Le juge accède à sa demande, précisant que cela se fera en temps opportun, car on ne peut pas transporter une telle somme, sans l'entourer des garanties sécuritaires adéquates.
Pourquoi plaider non coupable
Après avoir plaidé non coupable de l'accusation de corruption passive, Ousmane Guiro s'explique : «1 milliard 900 millions, c'est un montant important, au regard du revenu moyen. Je comprends la réaction des Burkinabè. Mais dans l'imaginaire de beaucoup, le douanier est un voleur», a-t-il lancé, avant de poursuivre, avec les sources de ses revenus. Selon lui, si vous travaillez beaucoup, vous gagnez beaucoup. Il répète devant le tribunal que l'argent provient de ses diverses primes (primes de rendement des chefs, prime en cas d'excédents budgétaires, prime de 3% sur les contentieux douaniers au niveau des directions régionales, prime de 5% sur les contentieux au niveau central), des revenus tirés de son champ à Léo, ses loyers, ses investissements dans l'orpaillage et les cadeaux. «Je n'ai jamais reçu un centime pour service rendu, durant toute ma carrière. J'ai combattu cela. J'ai intervenu dans mon rôle de DG pour que la douane marche, afin que le trésor gagne ses sous», a résumé l'accusé. Les interventions du DG ne lui valent-elles pas en retour, de l'argent ? Réponse de Guiro : «Les dons ne sont pas liés à des interventions. Sinon, les témoins rempliraient cette salle d'audience. Je n'ai jamais demandé à quelqu'un de me donner de l'argent contre le travail que je fais. C'est une certitude».
Pourquoi n'avoir pas déposé l'argent sur un compte d'épargne par exemple, si tant est que vous vouliez économiser pour réaliser un projet de lycée, relance le juge. L'accusé répond, en tant que fonctionnaire, il allait se créer des problèmes, en déposant son argent en banque. Il affirmera qu'il a l'habitude de garder son argent chez lui.
Le ministère public a voulu aussi savoir, à propos des dons, comment Guiro peut ne pas être gêné par le don d'un transitaire, celui-là même sur qui il devrait veiller. Selon le parquet, Guiro n'a jamais lutté contre la corruption comme il le prétend et qu'il a plutôt encouragé le phénomène. Son conseil vient à son secours, pour soutenir qu'il dispose de son argent comme il veut. Les avocats soutiennent par ailleurs, qu'il s'agit de dons et de remerciements, mais pas de corruption qui suppose une entente entre deux personnes ...
L'agence judiciaire du trésor public, partie civile dans l'affaire, est intervenue pour demander comment Guiro qui a des investissements de l'ordre de 1 milliard et demi, a besoin de thésauriser dans des cantines.
Le premier jour du procès de l'ex-DG de la douane a vu défiler les témoins cités à la barre, chacun pour clarifier un pan du puzzle. L'audience se poursuit, ce vendredi et connaîtra son dénouement, samedi 20 juin, en principe.
Karim TAGNAN