La mobilisation qui se faisant timide au départ, est allée crescendo au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient. En effet, alors que la foule n’était pas encore au rendez-vous dès 9h 15, un manifestant muni d’un magnétophone a appelé les commerçants à la mobilisation : «que vous soyez petit ou grand commerçant, mobilisez-vous» «notre P-DG doit être libérer immédiatement», «ce n’est pas comme cela que l’on fait».
Son appel est repris en chœur par des croquants survoltés. Leurs cris du cœur sont accompagnés d’un concert de coup de sifflet et de vuvuzela. Dans la foule, un homme s’offusque de la procédure d’arrestation : «comment peut-on comprendre qu’on parte l’arrêter comme s’il était un bandit de grand chemin !». «C’est une arrestation politique», croit savoir son voisin. Pour un autre juste à côté de ce dernier et habillé aux couleurs de CIMFASO, il n’y a pas de doute, c’est « pour ternir l’image de notre patron ».
Inoussa Kanazoé, arrêté le 19 avril dernier par la gendarmerie nationale pour son implication présumée dans une affaire de surfacturation portant sur 7 milliards de FCFA, est soutenu par certaines voix qui s’élèvent pour dénoncer une arrestation à la «Jack Bauer». Une «armada» d’hommes de tenues auraient encerclés son lieu de travail avant de procéder à son arrestation ; Pire, Il n’y aurait pas eu de convocation préalable ; ce qui a offusqué les commerçants qui ont décidé d’organiser cette manifestation pour exiger sa «libération immédiate ».
10h 04 mn. La mobilisation escomptée semble être au rendez-vous. La foule se met en branle. Direction, le palais de Justice. Jusque-là, le même refrain est scandé «libérer Inoussa Kanazoé». Mais à environ 100 m du palais de justice, un autre slogan est entonné : le fameux «ehi» qui rappelle les évènements des 30 et 31 octobres 2014. Une fois devant la cours du palais, les manifestants constitués essentiellement de commerçants et de travailleurs de la Cimenterie du Faso (CIMFASO) se mettent dans une position assise.
Devant eux, un cargo d’hommes de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS). Ces derniers se mettent en position avec leurs boucliers en main. Eu égard à l’ampleur de la mobilisation, les hommes de tenue craignaient-ils une dégradation de la situation ? L’interrogation demeure. Ce qui est sûr, quelques minutes plus tard, 4 autres cargos d’hommes de la CRS sont venus en renfort. Heureusement, les protestataires ont été sages et les gaz lacrymogènes ne seront pas jetés.
Quelques ténors de la manifestation seront reçus par le procureur du Faso. A l’issue de la rencontre, le président de la chambre du commerce du Centre, Amidou Ouédraogo, a d’abord déploré la procédure de l’arrestation du P-DG de CIMFASO : « La manière dont il a été arrêté ne nous a pas plu. C’est pourquoi nous sommes allés ce matin rencontrer le procureur pour mieux comprendre la situation. Il a ensuite décliné le contenu des échanges « Quand il nous a reçus, il a expliqué ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. On ne comprend pas bien les questions de justice. Mais ce que nous voulons, c’est qu’il fasse tout pour régler ce problème pour que le climat soit apaisé. S’il est libéré, la procédure peut toujours suivre son cours ! », a souhaité Amidou Ouédraogo.
Hadepté Da (stagiaire)
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« C’est la manière qui nous indigne »
La mobilisation des commerçants n’a pas faibli ce jour. Devant le Liptako Gourma, la voie est obstruée par des manifestants. A l’intérieur, la salle de réunion refuse du monde. Les éléments de police qui assurent la sécurité des représentations diplomatiques logées dans cet immeuble sont inquiets et craignent un débordement. Après la marche de protestation dans la matinée, c’est ici que la coalition des 28 associations et organisations syndicales des commerçants rencontre la presse cet après midi du 24 avril.
Au menu des échanges, l’arrestation d’Inoussa Kanazoé à propos de laquelle ils ne cachent pas leur indignation. « Nous sommes là ce soir avec des visages crispés à cause de la tristesse », a lancé le président des marchés et Yaar de Ouagadougou, Hamidou Compaoré. Sans avoir les contours de l’affaire, les raisons de son arrestation, les commerçants estiment qu’il faillait procéder autrement, de manière discrète certainement, pour interpeler celui qui emploie 10 787 personnes.
« Cette interpellation s’est opérée sans transmissions d’une convocation en bonne et du forme cela nous rappelle avec consternation une certaine époque dite de régime d’exception » peut-on lire dans la déclaration paraphée par la vingtaine d’associations. Selon Ibrahim Ouédraogo, élu consulaire et un des animateurs de ce point de presse, Inoussa Kanazoé n’est ni un délinquant ni un terroriste ni un putschiste ou quelqu’un qui a porté atteinte à la stabilité de l’Etat pour qu’on l’arrête ainsi.
« Comment pourrait-il fuir et laisser des centaines de milliards investis à Ouaga et à Bobo. Si c’était dans l’armée il avait le rang de général. On n’arrête pas un général de cette manière. On ne considère pas les commerçants » s’indigne Ibrahim Ouédraogo
Après avoir dénoncé la manière brutale avec laquelle Inoussa Kanazoé a été interpelé, la coalition des commerçants exige dans les meilleurs délais une clarification de cette affaire. Foi d’Hamidou Compaoré, cette arrestation a jeté du doute et du discrédit sur les opérateurs économiques burkinabè.
« Convaincre par la force des arguments vaut mieux que de convaincre par l’argument de la force » disent-ils. Sans violence ils promettent de poursuivent la lutte jusqu’à obtenir gain de cause. Ils demandent aux acteurs du monde du commerce de se tenir prêts et d’être à l’écoute de tout mot d’ordre en fonction de l’évolution de la situation.
Lévi Constantin Konfé