Etats généraux de la justice : Qui a dit que ce ne sera pas un jamborée de plus ?

| 24.03.2015
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Le président du Faso, SEM Michel Kafando a présidé le Conseil supérieur de la magistrature(CSM), le vendredi 6 février 2015 au palais présidentiel de Ouagadougou. Photo : Joséphine Ouédraogo - Ministre de la Justice, des Droits Humains et de la Promotion Civique, Garde des Sceaux
© © Photo : Léonard Bazié
Le président du Faso, SEM Michel Kafando a présidé le Conseil supérieur de la magistrature(CSM), le vendredi 6 février 2015 au palais présidentiel de Ouagadougou. Photo : Joséphine Ouédraogo - Ministre de la Justice, des Droits Humains et de la Promotion Civique, Garde des Sceaux
Du 24 au 27 mars prochain, se tiendront à Ouagadougou, les états généraux de la Justice burkinabè. Présenté comme un moment historique capital dans la vie et le devenir de cette Justice qui est au cœur de toutes les récriminations et de tous les ressentiments, cet évènement retient toutes les attentions. Mais que peut-on réellement espérer de ce rendez-vous tant attendu ? Ces états généraux sauront-ils faire la différence d'avec les nombreuses autres initiatives du genre que les Burkinabè ont vues passer, sans avoir la moindre prise sur leur vécu ? Certains faits et gestes, qu'il est donné de voir en prélude à ce rendez-vous, n'autorisent pas le grand optimisme et c'est peu dire.


Le 17 février 2014 s'est tenue à la Salle de conférences de Ouaga 2000, une rencontre préparatoire des états généraux de la Justice. L'initiative est du ministère de la Justice, mais l'organisation pratique de la rencontre a été confiée au Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC). Il s'est agi, à en croire les termes de référence de la rencontre, d'un cadre de discussions devant permettre aux organisations de la société civile burkinabè d'apporter leur contribution à la réflexion à mener lors de ces états généraux de la Justice. Mais il a été donné de voir des choses bien curieuses au cours de cette rencontre. C'est à se demander si vraiment plus rien ne sera comme avant dans ce pays. Pour une rencontre préparatoire, grande fut la surprise des participants d'apprendre que cette rencontre n'était pas le lieu pour aborder certaines questions. La consigne générale à laquelle chacun des participants devrait s'en tenir très rigoureusement, c'était que lors des travaux en commission, il fallait juste se contenter de faire l'état des lieux, c'est-à-dire poser un simple diagnostic du système judiciaire, mettre en évidence les problèmes qui minent la Justice, mais sans toutefois se permettre la moindre proposition de solution. Pourquoi un tel dirigisme dans une rencontre dite préparatoire ? N'ont pas manqué de s'interroger plus d'un participant. La réponse, absolument pas convaincante que certains organisateurs ont tenté de donner, c'est qu'il s'agit là d'une consigne du ministère de la Justice. A l'appui de cette réponse, a-t-on laissé entendre, le ministère aurait décidé que les états généraux proprement dits soient le lieu pour faire les propositions. Au stade préparatoire, les propositions ne sont donc pas les bienvenues. Mais autant garder tout le travail pour les états généraux ! N'ont pas manqué de s'exclamer certains participants devant ce qu'ils considèrent comme une absurdité bien burlesque.

Dans une situation de crise comme celle que connaît la Justice burkinabè, n'est-ce pas les propositions de sortie de crise qui sont les plus importantes ? Comment une réflexion sérieuse sur un sujet aussi préoccupant pourrait-elle se passer de propositions ? Tenez, les travaux d'une commission devaient porter en substance sur le thème suivant : « Comment rétablir la confiance entre les justiciables et la Justice ? ». Bonnes gens, comment travailler sur un tel thème sans faire de proposition ? Et pourtant, c'est bien à cette recherche de la quadrature du cercle que les participants à ces travaux ont été soumis. Dire comment résoudre un problème sans dire ce qu'il faut faire. Eh bien, étant entendu que cela n'est pas possible, les membres de la commission n'ont pas pu s'empêcher de faire des propositions. Naturellement, la proposition phare, pour qui connaît la situation de la Justice burkinabè, ne pouvait être autre que de mettre fin à l'impunité rampante. Ainsi, les membres de cette commission ont proposé que des dossiers emblématiques restés jusque-là sans suite dans les mains de la Justice soient définitivement vidés. C'est la meilleure voie, ont jugé les membres de la commission, pour redonner confiance au justiciable. Et comme exemples de dossiers emblématiques à vider dans l'urgence, la commission a retenu, entre autres, les dossiers Thomas Sankara, Norbert Zongo, Yacouba Isaac Zida. A la grande surprise des membres de la commission, à l'heure de la lecture des rapports en plénière, le nom de Yacouba Isaac Zida a disparu du rapport. Seuls Thomas Sankara et Norbert Zongo ont été cités. Lorsque l'un des membres de la commission prendra la parole pour insister sur la nécessité de réintégrer ce nom, mal lui en a pris. Un certain professeur d'université, commis comme modérateur général de la rencontre, est rentré dans une colère noire. Au fallacieux prétexte qu'il ne faut pas indexer des personnes dans le rapport, il a botté en touche, sous les regards hagards de l'assistance. Par la suite, on apprendra que tous les rapports de commission ont été passés au crible d'une certaine « police des rapports » qui les a expurgés de tout passage indésirable, avant leur lecture en plénière. Quels lendemains espérer avec de pareilles pratiques, surtout venant de la société civile qui renonce à son indépendance et son devoir de proposition ? Manifestement, demain n'est pas la veille pour le renouveau de la Justice.

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Vous avez dit redonner confiance aux justiciables ?

Eh bien, il n'y a pas mille solutions. Il s'agit juste de prendre son courage à deux mains devant l'histoire de mettre fin à l'impunité. C'est aussi simple que cela. Tant que l'impunité règnera en maître absolu, tant que tous les Burkinabè ne seront pas égaux devant leur Justice, tant qu'il y aura des « supers Burkinabè » pas concernés par la loi, capables de se moquer éperdument des décisions de justice rendues contre eux, capables de tenir des propos désobligeants à l'endroit de leur Justice sans en pâtir, ne rêvons pas. Il n'y aura aucune confiance possible à attendre du justiciable. C'est une loi de la nature et on ne peut tricher avec celle-ci. On peut, à la limite, forcer, fermer les yeux dessus et continuer de ruser avec ses concitoyens ; on peut organiser mille états généraux de la Justice, mais le constat de terrain restera le même, intact et infalsifiable. A une étape aussi cruciale que celle que connaît le Burkina Faso aujourd'hui, il ne devrait plus y avoir de place pour le louvoiement ni pour la duplicité. L'heure est venue pour chaque Burkinabè de se regarder courageusement dans sa glace et de s'assumer pleinement face à son passé et de prendre un nouvel engagement pour son avenir et pour celui de son pays. Parler de confiance du justiciable aujourd'hui, revient impérieusement à parler d'actes forts à poser, d'esprits à marquer, d'exemples forts à donner. Autrement, on tournera en rond et inutilement. Et, parlant d'exemple, il est constant que l'exemple doit toujours venir du haut. Si le Premier ministre de tous les Burkinabè donne le bon exemple en se soumettant aux décisions de la Justice, comme lui-même l'a d'ailleurs promis, il n'y aura pas ce citoyen qui soit capable de sortir des rangs. Par contre, si le mauvais exemple vient du haut, il ne faut pas s'étonner de ce qui s'en suit, car, rappelons-nous toujours, les poussins marchent toujours sur les traces des pas de la poule.

BYL

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