Dans le compte rendu du conseil des ministres, on été nommément cités «les affaires Thomas SANKARA, Norbert ZONGO, Boukary DABO, Flavien NEBIE, Salif NEBIE, les découvertes macabres au domicile de François COMPAORE, les crimes et délits contre les personnes et les biens commis lors de l'insurrection populaire de fin octobre ...l'affaire Ousmane GUIRO». La liste est longue et certaines de ces affaires «politiquement lourdes», pour reprendre le terme du ministre de la Justice. Il se pose alors la question de savoir si malgré la volonté politique des nouvelles autorités, les six mois qui restent officiellement à la transition sont-ils suffisant pour boucler l'instruction de ces dossiers ? Ne faut-il pas craindre que la « suite diligente » à ces dossiers attendus par le gouvernement ne conduise à leur instruction bâclée pour faire plaisir à une certaine opinion et aux lobbies nationaux et internationaux qui s'agitent autour ? Ces inquiétudes d'une instruction judiciaire bâclée sont d'autant plus fondées que certaines opinions sont faites, des coupables tout désignés et ce n'est plus la manifestation de la vérité qui est attendue mais la confirmation des charges de culpabilité que l'on fait peser sur les ténors de l'ancienne majorité.
Une instruction judiciaire digne du nom aurait voulu que les juges commis à la tâche soient au-dessus de tout soupçon de corruption, de sympathies politiques ou d'accointances avec ces organisations de la société civile qui ont perdu leur âme dans l'activisme partisan. On attend donc de voir les juges qui seront en charge de ces dossiers sensibles pour se convaincre que les autorités de la transition ne sont pas otages des groupes de pression qui travaillent à conditionner l'opinion publique sur des instructions judiciaires préfabriquées, des procès à la commande, pour des coupables sur mesure.
Attention aux vices de procédure judiciaire !
Pour l'affaire Thomas SANKARA par exemple, le juge d'instruction aura-t-il la carapace professionnelle nécessaire pour prendre en compte les ingrédients d'une situation sociopolitique délétère en cette année 1987 où les contradictions entre groupuscules révolutionnaires ont fini par se déteindre sur l'armée au point de se dénouer en un affrontement armée dans une caserne ? Au demeurant pour cette affaire, on n'est étonné de voir, selon le compte rendu du conseil des ministres, que c'est le tribunal de grande instance de Ouagadougou qui est saisi. En effet, la mort du président Sankara étant survenu lors d'affrontements entre militaires dans une caserne de l'armée, on se serait attendu logiquement à ce que ce soit la justice militaire qui soit saisie. C'est pourquoi, sans présager de l'issue de l'instruction de ce dossier, on est en droit de se demander si la procédure n'est pas viciée dès le départ.
Par ailleurs, pour «les découvertes macabres au domicile de François COMPAORE» (sic), on se demande si les enquêtes préliminaires de police judiciaire ont été menées comme il se doit et si le gouvernement ne se saisi pas de rumeurs, de montages grotesques pour en appeler à une instruction judiciaire sur des faits anodins ? Là aussi on attend de voir si le juge en charge du dossier aura la probité intellectuelle nécessaire pour instruire à charge et à décharge et que le procès, si procès il y a lieu dans cette affaire, sera équitable afin que le mis en cause puisse s'expliquer sur la marrée de rumeurs qui jettent le discrédit sur sa famille.
A ce propos, on se rappelle qu'à la chute de la troisième république en novembre 1980, le président de l'Assemblée Nationale d'alors, Gérard Kango OUEDRAOGO, avait été accusé par la rumeur de bien de pratiques sordides, notamment d'avoir lutter avec un âne sur recommandation de son marabout, de détenir les restes d'une jeune fille albinos momifiée dans sa salle de bain et de boire son eau dans un reste de crâne humain. Au jugement de Gérard Kango Ouedraogo, par les tribunaux populaires de la Révolution, rien de tout ça. «Les découvertes macabres» n'étaient que des rumeurs malveillantes pour salir sa réputation. Dans le cas de François COMPAORE, le gouvernement de transition pourrait être bien ridicule de diligenter des enquêtes judiciaires sur des faits qui n'en valent pas la peine et sur la base de rumeurs malveillantes.
Que force reste au droit !
En prenant une délibération en conseil des ministres pour «donner une suite diligente à ces grands dossiers en cours au tribunal de grande instance de Ouagadougou» les autorités de la transition doivent relever une gageure, celle d'une justice indépendante, impartiale et équitable. Celle-ci commence par des juges d'instruction professionnels qui ne soient pas aux ordres des vainqueurs pour réduire les vaincus au silence des geôles. Relever ce pari est difficile dans l'ambiance de passion, d'émotion et de haine qui entoure ces dossiers. On croise alors les doigts pour que force reste au droit et que la présomption d'innocence, l'emporte sur les stigmatisations de culpabilité. On attend de voir.
Djibril TOURE