Comme on s'y attendait, contrairement aux trois premiers jours, la salle d'audience de la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Ouagadougou était bondée de monde. La carrure de l'accusé et ce qui lui est reproché sont autant de motifs qui justifient cette forte mobilisation du public bien que le théâtre du procès soit bien éloigné du centre-ville de la capitale.
L'affaire Ousmane Guiro a débuté dans la nuit du 30 décembre 2011 lorsqu'un informateur met la puce à l'oreille des gendarmes de la brigade ville de Boulmiougou (Ouagadougou) qu'il y a deux jeunes qui s'adonnaient à des dépenses faramineuses. La machine se met en branle et rapidement les jeunes sont appréhendés et une perquisition permettra de retrouver deux cantines entreposées d'où les jeunes soutiraient de l'argent pour les dépenses somptueuses qu'ils effectuaient. Au billettage, on a compté 1,9 milliard FCFA. Le directeur général des douanes de l'époque, Ousmane Guiro, déclare aux gendarmes être le propriétaire des cantines et de leur contenu. Arrêté dans la nuit du 1er janvier 2012, Guiro est limogé dès le 2 janvier par un décret présidentiel et placé sous mandat de dépôt le 6 janvier. Mais au mois de juillet 2012, il bénéficie d'une mise en liberté provisoire.
Cette affaire avait choqué l'opinion publique nationale et on comprend pourquoi son dénouement intéresse beaucoup les Burkinabè. Ce procès est donc l'occasion de voir clair dans ce dossier. Devant la Chambre criminelle, Ousmane Guiro est défendu par un pool de plus d'une demi-douzaine d'avocats dont Paulin Salembéré, Sory Ouattara, Adrien Nion.
Les enveloppes «Soutien au DG» de 15 à 20 millions FCFA
L'Etat, qui s'est constitué partie civile à travers le Trésor public, n'a pas de conseils. Ce sont les Agents judiciaires du Trésor (AJT) qui font face aux avocats de Guiro.
Le procès a débuté hier à 8h12. Le président de la Cour, Jean Emile Somda, a aussitôt annoncé qu'il a été versé ce matin dans le dossier un avis de recherche infructueux concernant Gouwendmalgré Eric Zongo poursuivi pour recel dans cette affaire Ousmane Guiro.
Les avocats de la défense ont immédiatement soulevé des exceptions de procédures (cf. encadré) pour tenter de soustraire leur client aux serres de la justice en vain.
Place donc au fond de l'affaire qui débute avec la lecture de l'arrêt de mise en accusation et de renvoi. Dans ce document dont la lecture a duré une heure et cinq minutes, il est ressorti que l'accusé a justifié l'origine des fonds par son salaire, les primes de rendement, les frais de mission, les dons, les revenus de ses champs et bétail, etc. Ousmane Guiro qui a été engagé comme inspecteur dans le corps de la douane en 1983 a commencé dès lors à stocker son argent à domicile.
L'arrêt de renvoi précise que les dons que l'ancien directeur général recevait de la part des opérateurs économiques nationaux et étrangers variaient entre 100 mille et 5 millions FCFA pour ses interventions dans l'accélération du traitement de leurs dossiers, tandis qu'il recevait mensuellement 15 à 20 millions FCFA de la part des douaniers en guise de «Soutien au DG». En termes de biens immeubles, Ousmane Guiro est propriétaire de 31 parcelles dont les investissements sont évalués à 769 millions de nos francs selon des experts. Ousmane Guiro a également 3 enfants qui étudient au Canada et aux Etats-Unis.
Son salaire mensuel était de 481 mille FCFA en décembre en 2011 et l'inventaire des avantages légaux que l'Etat lui a versés est de 483 millions FCFA. C'est au vu du gap entre ses revenus légaux et les sommes trouvées dans les cantines et ses investissements que l'ex-DG est poursuivi de trois chefs d'accusation suivants :
- corruption passive ;
- enrichissement illicite ;
- violation de la réglementation des changes.
«De 2001 à 2011, «j'ai eu un minimum de 600 millions FCFA»
A la barre, Guiro a déclaré qu'il plaidait «non coupable». Il reconnaît que le montant incriminé est «important au regard du revenu moyen des Burkinabè» et que dans l'opinion, «quand on dit douanier, c'est égal à voleur». Pourtant selon lui, tout est clair. «J'ai commencé à travailler en 83. Inspecteur des douanes, j'ai été vérificateur, directeur régional et directeur général. On a des avantages légaux. Si tu travailles beaucoup, tu gagnes beaucoup. Il y a les pourcentages sur les amendes, les primes de rendement». Ousmane Guiro a ajouté les rentes de son champs à Léo, les loyers qu'il perçoit sans oublier les dons qu'il reçoit lors des fêtes de fin d'année, des fêtes religieuses mais également lors des événements sociaux (baptêmes, funérailles, etc.).
Mettant en avant sa probité, l'ex-DG a déclaré : «Durant toute ma carrière je n'ai jamais reçu un centime dans le cadre de la corruption. Les douaniers et les transitaires peuvent en témoigner. Moi, j'interviens pour tout le monde (membre du gouvernement, opérateurs économiques nationaux et étrangers). Si après on vient me saluer avec un cadeau, ce n'est pas moi qui ai demandé».
A la question de savoir depuis quand il a commencé à garder son argent à la maison, il a répondu : «Depuis 1983». Pourquoi alors n'avoir pas épargné en banque, lui qui est titulaire d'une maîtrise en économie ? «Parce qu'en tant que fonctionnaire, si votre compte atteint un certain montant, vous avez des problèmes. Si je déposais mon argent en banque, il y a longtemps qu'on m'aurait déjà envoyé à la MACO (Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou)». Il a confessé que de 2001 à 2011, «j'ai eu un minimum de 600 millions FCFA», expliquant que ses avoirs légaux avaient été sous-évalués.
«La lutte contre la corruption était une de mes priorités»
Ousmane Guiro a expliqué avoir été obligé de déplacer ses cantines, car il avait reçu des informations indiquant que les militaires mutinés allaient lui rendre une visite. C'était au mois de mai 2011 et les mutineries battaient leur plein au Burkina et certains responsables du pays avaient été déjà visités (attaqués) par des mutins.
A la barre de la Chambre criminelle, l'ancien DG a revu ses déclarations de 2012 dans lesquelles il affirmait devant le juge d'instruction qu'il recevait 15 à 20 millions par mois de la part des douaniers en guise de «soutien au DG» et que ses revenus mensuels, salaires, primes et dons oscillaient entre 50 et 60 millions FCFA. Il a avoué avoir tenu ces propos parce que «j'étais entre la vie et la mort et que je me cherchais».
Mais est-ce normal de recevoir des cadeaux en argent ? Réponse : «Je n'ai jamais reçu 1 FCFA de la corruption. Durant les 4 années où j'ai été directeur général des douanes, la lutte contre la corruption était une de mes priorités».
Ce n'est pas l'avis du procureur général pour qui en acceptant les dons dans le cadre de ses fonctions, Ousmane Guiro a plutôt «encouragé la corruption». Réplique de Guiro : «Je ne suis pas là pour vous mentir. Jusqu'en 2011, tout le monde sait la rigueur avec laquelle j'ai travaillé à la douane».
Mais il n'y a pas de quoi désarmer le ministère public pour qui, même si on versait à Guiro 1,5 million de FCFA dès sa naissance jusqu'à ce jour, il ne pouvait pas réunir les sommes qu'on a trouvées chez lui.
Me Paulin Salembéré a volé dans les plumes du parquet en déclarant que «quand on n'est pas habitué à l'argent, 2 milliards, ça peut choquer. Donc le choc du parquet me choque. Au Mali à côté on m'a dit que c'est quoi, 2 milliards puisque chez eux un douanier à la frontière peut avoir plus que cela. Mais le choc du parquet ne constitue pas une infraction pénale».
«J'allais remplir ma maison d'argent»
Après ces échanges, le président de la cour a commencé l'audition des témoins. Géneviève Sanou, chef du service financier et matériel, est passée à la barre faire sa déposition. C'est elle qui a fait le point sur les avantages légaux que l'Etat a servis à Ousmane Guiro. Elle a expliqué que les sommes sont perçues en liquide et que c'est seulement en fin 2014 que l'Etat a décidé la bancarisation des primes.
Adama Sawadogo, l'actuel DG des douanes, a déclaré qu'il était interdit de percevoir des dons en lien avec ses fonctions. Il a déclaré n'avoir pas connaissance de l'existence des enveloppes «soutien au DG». Cependant, il a reconnu que le DG peut appeler les agents pour faciliter le traitement des dossiers, car cela fait partie de ses prérogatives.
A sa suite, Jean Sylvestre Sam, ancien DG, celui-là même qui a succédé à Guiro, a aussi nié savoir l'existence des enveloppes «soutien au DG». «Je n'ai pas connaissance de ce type de soutien, en tout cas pas de sommes si importantes».
Pour sa part, Ousmane Guiro a soutenu que si son travail consistait à prendre de l'argent, «j'allais remplir ma maison d'argent».
Il était 16h30 lorsque la cour a débuté l'audition du 4e témoin, l'inspecteur de douanes Laurent Blaise Kaboré. C'est au même moment que nous avons quitté le palais pour rédiger cet article.
L'audience se poursuit ce matin. Nous y reviendrons dans notre prochaine édition.
San Evariste Barro
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Encadré
La première victoire de Guiro
Dès l'entame du procès les avocats de Guiro ont contesté la composition de la chambre criminelle qu'ils estiment irrégulière parce que le ministère public avait trois représentants. Or selon la loi, le procès a lieu avec la présence d'un représentant du parquet général. Finalement le président de la cour a suspendu l'audience pour recomposer la chambre qui est revenu cette fois avec un seul représentant du ministère public.
Pas d'avis de la tenue du procès pour Guiro ni ses avocats
Les conseils de l'ex-Dg ont souligné que leur client n'avait pas reçu notification de l'arrêt de renvoi, de la liste des témoins et de la date du procès du 18 juin. Pourtant, selon le parquet, Guiro a signé un document attestant avoir reçu ses pièces. Mais à la barre, l'ex-DG des douanes a déclaré avoir signé mais n'avoir pas reçu les documents de la part de l'officier de l'officier de police judiciaire (OPJ). Cet incident a donné lieu à une belle passe d'arme entre le procureur général et les avocats de l'accusé.
En fait, les assises devaient se tenir en avril mai. Mais elles avaient été reportées sine die suite à des incompréhensions avec le barreau sur le montant des émoluments des avocats commis d'office. Pour les conseils de l'accusé, il fallait une nouvelle notification pour la nouvelle date des assises.
Au finish, le président a tranché que le dossier sera jugé même s'il comprenant la rigueur voulu par les avocats de Guiro.
Où sont passés les scellés, les fameuses cantines d'argent
«On veut la présence des scellés à l'audience car ils sont des éléments du dossier» a déclaré Me Paulin Salembéré car la défense compte s'y appuyer développer son argumentaire. Pour le parquet, vu l'importance de la saisie, il n'est pas nécessaire que les scellés soient là à l'audience. C'est même pour des raisons de sécurité a renchéri l'agent judiciaire du Trésor qui a affirmé que les scellés existent et sont confiés à la garde du Trésor public. Un accord a été trouvé, et il a été convenu que les scellés soient présentés avant la fin des trois jours d'audience du dossier Guiro.
Dans la salle d'audience, certains, dans l'auditoire, se demandaient si le pognon est encore là. Euh bien, on le saura d'ici demain lorsque les fameuses cantines seront ou non acheminées au prétoire.
Une faute, deux infractions !
1,9 milliards FCFA pour soutenir le chef d'accusation de corruption passive. Le même montant est évoqué pour soutenir l'enrichissement illicite de Guiro. Les avocats de la défense ont fait remarquer que le même corps de délit ne peut caractériser deux chefs d'accusation. Pour eux, la cour a le choix de poursuivre leur client pour corruption passive ou pour enrichissement illicite mais pas les deux à la fois.
Pour le parquet général, cette situation est imputable à l'accusé qui n'a pas voulu sérier les choses pour qu'on voit ce qui relève de la corruption et ce qui relève l'enrichissement illicite puisqu'il refuse de dire le montant des dons qu'il a reçus. Pour couper court au débat, la cour a décidé de retenir les deux chefs d'accusation contre l'ex-DG des douanes.
Erreur d'aiguillage
L'arrêt de renvoi a visé à la fin des articles qui n'avaient rien à voir avec les faits pour lesquels Ousmane Guiro est poursuivi. Ses avocats ont donc demandé à la cour de préciser si leur client est poursuivi pour complicité et préméditation de meurtre. Le parquet a rétorqué que les faits sont bien spécifiés même s'il y a une erreur dans les articles visés.
La cour a promis de circonscrire les procès aux chefs d'accusation clairement notifiés à Ousmane Guiro.