Imprimer cette page

Affaire Norbert Zongo : « Eléments nouveaux ou pas, il faut rouvrir le dossier » (Joséphine Ouédraogo, Ministre de la Justice)

| 24.12.2014
Réagir
Joséphine Ouédraogo - Ministre de la Justice, des Droits Humains et de la Promotion Civique, Garde des Sceaux
© DR / Autre Presse
Joséphine Ouédraogo - Ministre de la Justice, des Droits Humains et de la Promotion Civique, Garde des Sceaux
Après avoir occupé le maroquin de la Condition féminine sous la révolution, voilà Joséphine Ouédraogo qui revient au premier plan à l'occasion de l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a contraint le président Blaise Compaoré à la démission. En effet, d'abord proposée par l'armée comme candidate à la présidence de la transition, elle est finalement appelée au gouvernement du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida au poste de ministre de la Justice, des Droits humains et de la Promotion civique, Garde des Sceaux.Le 16 décembre 2014, il est 18h lorsque nous parvenons à son secrétariat particulier. Nous avons pu obtenir un entretien exclusif pour cette première grande sortie médiatique de madame la ministre. Le rendez-vous est pour 18h15. On patiente durant une bonne demi-heure parce que la maîtresse de céans est en audience. Lorsque la fille de Henry GuIssou (1) nous reçoit dans son bureau, c'est parti pour une heure d'entretien. La refondation de la Justice, les affaires Thomas Sankara et Norbert Zongo, l'ancienne égérie de la révolution d'août a répondu à toutes nos questions. Avec son légendaire ton posé, elle a levé le voile sur les enjeux et défis de son département lors de cette transition où la justice a une carte importante à jouer. Lisez plutôt !


Après avoir été recalée au collège de désignation comme présidente de la transition, vous voici au ministère de la Justice. Vous prenez ça comme un lot de consolation...

(Rires) Non, je prends ça comme un honneur. Dès l'instant qu'on m'a proposé d'entrer au gouvernement et surtout d'être à la tête de ce département, j'ai vraiment pris cela comme une marque de confiance parce que c'est un département très lourd, très important. Je crois que l'offre était réfléchie et me poussait à contribuer d'une manière particulière à la transition.

Votre profil de sociologue ne vous prédisposait pas forcément à ce ministère...

Justement, j'ai été inquiète au départ mais en réfléchissant, j'ai compris qu'à l'étape actuelle, il valait peut-être mieux que ce ne soit pas quelqu'un de la maison parce qu'il y a tellement de tensions et de divisions au sein des acteurs du système judiciaire, qu'un magistrat aurait été tout de suite stigmatisé. Alors que quelqu'un qui vient de l'extérieur et qui, en plus, n'est pas du corps, en principe, n'a pas d'a priori, peut être impartial et avoir une approche plus objective des problèmes. Je pense que ce n'est pas nécessairement un gros handicap de ne pas être magistrat.

En réalité, depuis la fin de la Révolution d'Août-83, vous aviez pratiquement disparu des radars. On vous a retrouvée ensuite à la Commission économique pour l'Afrique (CEA), puis à l'organisation internationale Enda Tiers Monde à Dakar. Est-ce que ce retour en politique, vous l'aviez vraiment imaginé ?

En fait, après le 15 octobre 1987, j'ai rejoint ma famille à Tunis. C'était très bien pour moi d'avoir l'occasion de sortir immédiatement du Burkina parce que c'était un contexte très très difficile de choc et de chamboulement et j'ai donc eu une opportunité de prendre du recul. Ça m'a permis de quitter le pays sans être en exil, parce que j'ai demandé et obtenu la permission de partir tranquillement.

Je suis restée à l'extérieur à occuper différentes fonctions et faire de la consultation. J'étais fonctionnaire en disponibilité pour dix ans. Je suis revenue après 6 ans d'absence pour me réinsérer en créant un bureau d'études en association avec des amis. Mais en 1995, ma disponibilité a pris fin et je devais reprendre fonction dans l'Administration. C'est comme ça que j'ai été nommée directrice générale de la coopération internationale au ministère des Affaires étrangères.

Je crois que cette fonction m'a donné de la visibilité et c'est ainsi que j'ai été approchée pour un poste à la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique à Addis-Abeba. Je suis donc repartie à l'extérieur pour dix ans à la CEA et quatre ans à Enda Tiers Monde à Dakar avant de rentrer définitivement en 2011.

Avant ce retour au premier plan, comment vous vous occupiez au pays ?

Quand je suis rentrée fin 2011, j'ai pris d'abord du repos. Mais pour ne pas être complètement déconnectée de mon domaine professionnel, j'ai repris attache avec le bureau d'études.

Comment s'appelle ce bureau d'études ?

C'est le bureau d'études ARC qui fait de l'appui-accompagnement, de la recherche-action, des conseils et des formations mais surtout sur les questions de développement local. Je me suis réinsérée comme chargée d'études et c'est l'année passée que l'équipe m'a confiée la direction du bureau.

On reviendra sur l'affaire Thomas Sankara mais les gens d'une certaine génération se rappellent la gracieuse « Fifine » qui était pratiquement l'égérie des révolutionnaires. Comment en tant que telle vous avez vécu cette tragédie du 15 octobre 87 ?

C'était un coup dur. J'étais en mission à Genève où l'on m'avait invitée à prendre part le 16 octobre à une conférence à l'occasion de la journée mondiale de l'alimentation.

Avant de partir, j'ai parlé avec le président Sankara. Je sentais, comme beaucoup de gens alors, la tension qui était palpable entre les deux camps. J'en étais consciente et je lui ai souhaité bon courage et bonne chance mais je ne pouvais pas imaginer qu'avant mon retour il allait y avoir un tel carnage. Ç'a été un choc parce que, qu'il y ait un coup d'Etat, c'était probable, mais qu'il y ait une tuerie, qu'on tue le président ainsi que ses compagnons, a été un grand choc pour moi. C'était quelque chose de difficile et il m'a fallu du temps pour surmonter cela.

Je suis donc restée à Genève et dès l'ouverture des frontières je suis rentrée au pays. C'était une situation morale difficile parce que ceux qui n'avaient pas rejoint les rangs du nouveau régime se sentaient menacés et d'autres étaient arrêtés, mais chacun imaginait qu'il aurait pu se retrouver, comme on dit, au mauvais endroit au mauvais moment ce jeudi 15 octobre 87.

En allant à l'extérieur, ça m'a permis de surmonter cela et de prendre du recul.

Est-ce qu'après ça vous avez coupé complètement les ponts avec Blaise Compaoré ou avez-vous essayé de recoller les morceaux ?

Je ne me suis pas positionnée comme une ennemie politique active parce que je ne fais pas de politique aussi bizarre que cela puisse paraître. J'ai des idées et des convictions politiques et je ne partageais pas la ligne idéologique qui était celle du nouveau régime de Blaise Compaoré à savoir, l'ultralibéralisme qui engendre irrémédiablement un grand fossé entre l'élite et la majorité de la population et qui met l'accent sur des questions que je ne considérais pas nécessairement comme prioritaires.

Mais au-delà de cela, je l'ai toujours respecté en tant que chef de l'Etat. Donc quand je suis revenue au Burkina Faso en congé après quatre ans à l'extérieur, j'ai tenu à prendre contact avec lui au téléphone pour lui dire que je suis venue en congé, parce qu'à l'époque c'était toujours bon de signaler sa position géographique car on ne sait jamais (rires).

Quand est-ce que vous l'avez vu pour la dernière fois et qu'est-ce que vous vous êtes dit ?

La dernière fois, c'était à Dakar en 2010 je crois, à l'occasion du Sommet de l'Organisation de la Conférence Islamique. On s'est souvent croisé à l'extérieur du pays parce qu'il venait souvent à Addis-Abeba aux Sommets des Chefs d'Etat de l'Union africaine et d'autres Conférences. Je le voyais en tant que membre de la communauté burkinabè, qui l'accueillait à l'aéroport et participait aux réceptions.

On sait que le besoin de justice était l'une des grandes demandes des insurgés des 30 et 31 octobre 2014. Et le président Kafando a annoncé lors du 11-Décembre les Etats généraux de la Justice. Quand et sous quel format vont-ils se tenir ?

Il faut d'abord que j'explique pourquoi nous en sommes venus à proposer l'organisation des états généraux de la justice. En prenant fonction à la tête de ce département, élargi aux droits humains, j'ai découvert tous les enjeux qu'il y avait en termes d'attentes de la part de la société civile mais aussi des acteurs de la maison eux-mêmes ; il s'agit en particulier des magistrats, des spécialistes des droits humains, des greffiers, des gardes de sécurité pénitentiaire. La plupart vivaient un malaise sur plusieurs plans. Il y a ceux qui, comme dans tous les ministères, étaient de connivence avec le régime ; il y avait ceux qui subissaient le contrôle du pouvoir politique sur beaucoup de dossiers et de procédures. Donc beaucoup de magistrats étaient liés, involontairement ou volontairement. Le système étouffait les compétences des divers corps professionnels. Mais j'ai noté qu'il y a toujours eu une volonté manifeste de l'intérieur de la magistrature d'imposer son indépendance. Certains ont même quitté la maison lorsque la situation devenait insoutenable. A cela s'ajoutait tout le malaise lié aux statuts et aux modes de fonctionnement de tout le personnel. Des textes avaient été élaborés à la suite de revendications et de pressions très fortes mais n'avaient pas connu leur total aboutissement. Il ne faut pas oublier qu'il existe des syndicats très forts au sein de la justice qui militent pour une justice plus juste.

Vous voyez donc que ce département ministériel était dans une dynamique de quête du changement. Des chantiers étaient en cours de réalisation, soutenus par de grands partenaires techniques et financiers. Il y a même eu un forum national sur la justice en 1998, mais c'était très difficile d'enclencher toutes les réformes préconisées parce qu'il y avait des pesanteurs liées au mode de gouvernance du régime en place.

J'ai pris conscience que je n'avais pas à réinventer la roue, car les problèmes sont déjà posés avec des pistes de solutions. Il s'agit donc de voir par quelle stratégie enclencher réellement la mise en œuvre des changements.

C'est là qu'en discutant avec des personnes avisées et en faisant mes propres analyses, j'ai dégagé cinq fronts prioritaires pour l'action, dont les états généraux.

Il y a des actions à caractère institutionnel et technique et il y a d'autres à caractère stratégique et politique, comme l'organisation des états généraux pour s'attaquer aux problèmes de fond tels que l'indépendance de la justice, la corruption, la rupture de confiance du citoyen à l'égard de la justice, etc. Ce type de problèmes ne peut pas être résolu par des mesures ou des lois.

Même s'il faut des textes, il faut qu'on ouvre le débat sur ces problèmes avec ceux qui sont concernés, à savoir la société civile, le législatif et l'exécutif, mais aussi les autres professionnels des secteurs économiques et sociaux y compris les médias, etc.. Ce n'est que dans le cadre d'états généraux qu'on peut créer une articulation entre l'ensemble des acteurs pour faire le diagnostic et l'analyse critique et formuler des propositions afin que chaque catégorie d'acteurs soit consciente de son rôle et de ses responsabilités dans la réhabilitation de la justice.

Le gouvernement a donc compris que les états généraux pouvaient contribuer à impulser le changement. Maintenant il faut travailler à les organiser.

Et c'est pour quand ce vaste chantier ?

On espère que ce serait d'ici fin mars. C'est même un délai trop court car il faut du temps pour préparer une telle rencontre. Mais nous allons travailler pour que ce soit effectif en fin mars.

Lire la suite sur autre presse

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité