Issiaka Sawadogo, refugié politique sous le régime de Blaise Compaoré vivant à cotonou : « Le peuple doit dédommager les parents des héros de l’insurrection »

| 03.12.2014
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Issiaka Sawadogo, refugié politique sous le régime de Blaise Compaoré vivant à cotonou : « Le peuple doit dédommager les parents des héros de l’insurrection »
© DR / Autre Presse
Issiaka Sawadogo, refugié politique sous le régime de Blaise Compaoré vivant à cotonou : « Le peuple doit dédommager les parents des héros de l’insurrection »
A la faveur de l'insurrection populaire du 30 octobre 2014 ayant conduit à la chute de Blaise Compaoré, les langues se délient peu à peu. C'est le cas de notre compatriote Issiaka Sawadogo, juriste dans un cabinet d'avocat à Cotonou où il s'est réfugié depuis une vingtaine d'années à cause de ses activités syndicales à l'Université de Ouagadougou. Lors d'un séjour dans la capitale béninoise, nous l'avons approché pour qu'il donne sa lecture de la situation politique que vit notre pays. Il dit avoir accueilli avec une grande joie le départ de Blaise Compaoré. Il plaide surtout pour la prise en compte des Burkinabè vivant au Bénin pour les élections de 2015.


Le Quotidien : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Issiaka Sawadogo : Je suis Issiaka Sawadogo. Je réside au Bénin depuis un certain temps. J'ai été le premier secrétaire général de la Fédération scolaire et estudiantine du Burkina dans les années 1994.

Dans quelles conditions vous vous êtes retrouvé à Cotonou ?

La lutte à l'université de Ouagadougou avait pris une tournure telle que nous étions obligés de nous exiler. Les menaces se faisaient sentir. A un moment donné, le cadre n'était plus propice pour nos activités intellectuelles encore moins syndicales. Nous avons contacté certaines personnes au Bénin et nous avons trouvé que c'était mieux de prendre la route de l'exil. Vous savez bien ce qu'a été le régime de Blaise Compaoré. Avec les documents en notre possession, au bout de deux semaines, nous avons bénéficié du statut de réfugié politique.

Qu'avez-vous fait depuis lors au Bénin ?

Nous étions 5 étudiants à prendre l'exil. Il s'agit de Issiaka Sawadogo, Constantin Somé, Vanance Aboubacar Nébié, Abdouramane Sawadogo et Alain Dramane Babine qui est même décédé au Bénin. Quand nous étions tous au Bénin, à chaque fois qu'il y avait des dérives au Burkina, on ne cessait d'attirer l'attention par des écrits. Nous l'avons fait jusqu'à l'assassinat du journaliste Norbert Zongo. Nous avons écrit à toutes les ambassades pour dire que le régime de Blaise Compaoré était un régime qui violait les droits de l'Homme et qui étouffait les libertés. Mais, vous savez, Blaise Compaoré était fort dans la sous-région. Ce n'était pas évident que l'on soit entendu. Malgré tout, nous avons toujours joué le rôle qui est le nôtre, c'est-à-dire critiquer. Nous n'avons cessé de dénoncer la démocratie qui était, certes apaisée, mais étouffée.

Comment a évolué votre lutte depuis le Bénin ?

Beaucoup d'entre nous se sont exilés au Canada. Je suis le seul qui suis resté au Bénin. Il n'est pas facile de mener la lutte en singleton. Néanmoins, nous sommes restés en contact avec ceux qui sont au Canada. Nous avons créé l'Alliance nouvelle pour le changement. Nous avons déjà initié des activités qui devaient s'étendre jusqu'au Burkina. Mais, jusqu'à ce jour, l'Alliance ne s'est pas installée au Burkina.

Comment avez-vous accueilli la chute du régime de Blaise Compaoré ?

C'est avec beaucoup de joie et d'émotion que nous avons suivi la détermination du peuple burkinabè qui a fait tomber le régime de Blaise Compaoré. Au moment de notre lutte, nous étions des incompris parce que nos revendications étaient justes et légitimes. Mais aujourd'hui, nous sommes fiers de notre peuple. Quand vous êtes à l'extérieur, le Burkina n'avait pas bonne presse. Blaise Compaoré était le médiateur hors pair dans la sous-région. Il a été très souvent décoré au Bénin ici. Ce n'était pas facile de faire comprendre aux gens que les choses ne vont chez nous comme il se doit. Ce n'était pas facile de faire comprendre aux gens que les Burkinabè étaient un peuple déterminé mais étouffé. Comme on le dit souvent, les peuples méritent leurs dirigeants. On méritait Blaise Compaoré. Ce n'était pas facile de faire comprendre que le peuple a toujours mené des luttes. Il a fallu cette dislocation du CDP avec le départ des Roch, Salif et Simon à la suite de Zéphirin Diabré et d'Ablassé Ouédraogo pour que le peuple dise que trop c'est trop : vous ne pouvez plus modifier l'article 37 de la Constitution. Malgré cela, les téméraires du CDP voulaient aller jusqu'au bout de la modification de l'article 37. Mais, le peuple comme un seul homme a dit non. C'est le lieu pour nous, de rendre hommage aux forces armées nationales. On peut tout dire mais il faut reconnaître qu'elles ont joué un rôle très important dans la révolution burkinabè. Je tire une fière chandelle au lieutenant-colonel Isaac Zida qui a joué un rôle déterminant dans la transition que nous connaissons.

Comment entrevoyez-vous la transition dont le Premier ministre reste tout de même un militaire?

Cela ne pose pas de problème. Si le peuple l'a accepté, nous, au niveau de l'extérieur, nous devons nous plier à cette volonté. L'armée fait, elle aussi, partie du peuple. A priori, avec les discours que nous avons entendu, je crois qu'au bout de 12 mois, notre peuple va connaître une belle transition et un régime démocratique. Je crois fermement que le Burkina sera l'un des pays les plus démocratiques de l'Afrique. Le Burkina, depuis le 3 janvier 1966, avait déjà pris son destin en main, en disant non au régime de Maurice Yaméogo qui a dû démissionner. Il faut le dire aux autres peuples. Le président Sangoulé Lamizana a organisé des élections lors desquelles il a été mis en ballotage. C'est un signe de démocratie.

Vous faites partie des victimes du régime de Blaise Compaoré. Que doit-on attendre après sa chute ?

Le discours a été clair. Tous ceux qui ont été victimes de près ou de loin des exactions de ce régime seront rétablis dans leurs droits. Je pense notamment à la famille de Thomas Sankara , de Norbert Zongo, de Dabo Boukary , de Jean-Baptiste Lingani, de Henri Zongo et j'en oublie. Personnellement, je ne peux rien demander parce que le peuple a fait le travail. Ce qui est important, c'est comment aujourd'hui participer à la construction de notre pays. L'essentiel c'est le bonheur du peuple burkinabè qui a, pendant longtemps, souffert. Très souvent, les étrangers se limitent à certaines artères de la ville de Ouagadougou pour dire que le Burkina est bien construit. Mais, il y a la réalité qui est là, une misère au niveau des campagnes.

Qui parle de reconstruction parle aussi de réconciliation. Certains dignitaires du régime de Blaise Compaoré sont en fuite au Bénin. Ne faut-il pas créer les conditions de leur retour ?

C'est mieux pour eux de retourner à temps au pays où il sera déterminé leur niveau d'implication dans la crise que nous avons connue. Le président Michel Kafando a tout dit. Aucun crime ne restera impuni. Il faut dire que certains n'avaient d'autre choix que d'être avec le régime de Blaise Compaoré. Les responsabilités seront situées. Il y a des morts. Le peuple doit dédommager les parents des héros de l'insurrection. Que les dignitaires, qui se reprochent quelque chose, restent où ils sont. Mais, ils seront rattrapés où qu'ils se trouvent. On ne peut pas se cacher quelque part dans ce monde.

Comment se porte la communauté burkinabè à Cotonou ?

Pour dire la vérité, je ne participais pas aux rencontres de la communauté burkinabè car elle avait une coloration politique au profit du régime de Blaise Compaoré. Il n'y avait pas de contradiction. Depuis la chute de Blaise Compaoré, j'ai pris des contacts. Dans les jours à venir, je vais m'approcher de tous les Burkinabè qui sont dans les autres villes car nous devons voter en 2015. Les droits des Burkinabè vivant à l'étranger doivent être sauvegardés comme s'ils vivaient au Burkina. Je m'y attelle déjà. Je vais aller à Banikouara et à Porto Novo pour sensibiliser les Burkinabè à prendre part aux élections. Nous allons revendiquer pour que Cotonou soit un centre de vote. La population burkinabè au Bénin est aussi importante qu'à Lomé.

Interview réalisée à Cotonou par Raogo Hermann OUEDRAOGO

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