En plus d'être un parent, le défunt était votre ami. Depuis quand vous vous connaissiez ?
• On se connaissait depuis plus d'une vingtaine d'années. Je connaissais d'abord son grand frère Yaya, qui est malheureusement tombé pendant l'exercice final du contingent 1971. Vous avez certainement déjà entendu que lors des exercices finaux de sortie de cette promotion militaire, pendant qu'un certain nombre de recrues étaient au champ de tir, la foudre est tombée sur deux des éléments ; l'un a perdu la vie et l'autre a été grièvement blessé.
Pouvez-vous raconter le film de la journée fatidique ?
• Il m'a appelé le samedi matin, j'en ai profité pour lui dire qu'il y avait un anniversaire en face de chez moi, organisé par un ami. Je lui ai alors demandé de m'y accompagner. Quand j'ai fini au journal vers 13h, j'ai fait le tour pour rejoindre le goudron, lorsque j'ai vu son véhicule garé chez sa grande sœur qui est à deux pas d'ici (NDLR : Siège de L'Evénement aux 1200 logements). Je m'y suis arrêté, et nous sommes allés ensemble à la fête. Auparavant, il m'a dit qu'il allait bifurquer pour aller dans un distributeur de billets de banque prendre de l'argent. C'est là que moi, j'ai continué chez moi, et il m'a rejoint par la suite à domicile. Mais à peine étais-je arrivé à la maison que lui aussi se garait ; on est rentré d'abord chez moi, j'ai déposé mes affaires. On a traversé la rue pour aller à l'anniversaire juste dans les environs. On est resté quelques heures et nous avons quitté les lieux entre 18h30-19h. Son véhicule était garé devant ma porte. Il a démarré et il est parti.
Puis on découvre son corps quelque temps après à Saponé. Vous avez tout de suite pensé à un assassinat, c'est-à-dire à un meurtre prémédité. Pourquoi ?
• J'ai pensé à un assassinat, au regard des circonstances. Il ne conduisait pas la nuit, donc on ne peut pas dire qu'il a voulu aller plus loin que chez moi, c'est-à-dire ailleurs que chez lui parce qu'on l'a retrouvé hors de Ouagadougou. Chaque fois il faisait appel à un chauffeur pour voyager et même pour se déplacer dans la ville de Ouaga, et quand il n'avait pas de chauffeur et qu'il voulait aller quelque part, il négociait souvent avec moi pour qu'on fasse le déplacement ensemble.
La deuxième raison, c'est la manière dont ils ont retrouvé le corps, tenez- vous bien, la tête fracassée, ce qui veut dire qu'on l'a assommé mais pas avec une arme à feu et puis on a voulu finalement faire croire à un accident. On l'a mis au beau milieu de la route, espérant qu'un camion viendrait lui monter dessus. Il y a vraiment une présomption de crime. D'après les enquêteurs, puisque j'en ai été informé par ceux qui sont allés sur place, la description qui m'a été faite de la scène du crime laisse penser que c'est un assassinat pur et simple, il a été liquidé.
Avait-il des intérêts socio-économiques (verger ou maison) ou des connaissances dans la localité de Saponé ?
• Rien de tout cela. Il a seulement un verger dans son village à Dabiou, à 6 km de Léo.
Le fait d'être un juge constitutionnel est-il suffisant pour expliquer ce que vous qualifiez déjà d'assassinat ?
• Nous sommes en démocratie. Au Conseil constitutionnel, avant toute décision, il y a quand même un débat démocratique interne. Je pense aussi que les autres membres de l'institution sont des collègues qui sont animés de la même volonté de conduire à bien la mission qui leur est confiée. On leur demande un travail intellectuel et juridique bien mené. Quelqu'un qui fait son travail dans ce sens ne devrait pas mériter une sanction. Donc, ça ne devrait pas être la raison de son assassinat, sauf si effectivement par extraordinaire, dans quelque milieu à l'extérieur, on pense que ses positions ne sont pas orthodoxes ou politiquement correctes ; auquel cas certains estimeraient qu'il mérite une sanction quelconque. C'est une hypothèse mais je ne vais pas affirmer que c'est là une des raisons d'autant plus que je ne sais pas quelles sont les matières dont ils ont eu à traiter et qu'elles ont été ses prises de position.
Vous arrivait-il de parler politique avec le regretté ?
• Bien sûr. Chaque fois que j'écrivais un article pour égratigner le pouvoir, il m'interpellait pour débattre avec moi et faire prévaloir ses points de vue. Quand on se rencontrait, ce n'était pas seulement pour boire la bière.
Justement quelle était sa position sur le débat politique en cours en ce moment, notamment la question du référendum ?
• Il pensait qu'il n'est pas opportun ni d'organiser un référendum ni de modifier l'article 37. Ça, c'était son avis personnel.
Vous avez été entendu par la gendarmerie. De quoi était-il question ?
• C'est pratiquement les mêmes questions que vous me posez. La gendarmerie aussi cherche à comprendre comment la journée s'est passée pour voir s'il y a un élément qui pourrait conduire vers des pistes. L'enquête est à ses débuts. Après moi, on m'a demandé d'informer sa grande sœur qui y est allée immédiatement pour être entendue. D'autres personnes suivront.
Personnellement, j'ai tenu à dire aux enquêteurs qu'il est d'une très haute importance de bien examiner les appels parce qu'il a reçu beaucoup de coups de fil ce jour-là.
Je pense qu'après m'avoir quitté, il en a encore reçu.
A 400 m de chez moi, il s'est arrêté pendant un moment et il a redémarré. Quelqu'un l'a-t-il appelé ou quelque chose s'est-il passé à son niveau ? En tout cas, je n'ai rien remarqué de suspect.
Le scénario que j'envisage, c'est le kidnapping. A mon avis, il n'a pas été exécuté dans son propre véhicule, puisqu'il n'y avait pas de trace de sang. C'est probablement dans celui des ravisseurs qu'il a été abattu. Et comme c'est dans un espace confiné, on s'est acharné sur sa tête. Je pense donc qu'il y avait plusieurs personnes dont une qui le maîtrisait et une autre qui cassait sa tête. Ils l'ont embarqué jusqu'à Saponé où ils ont bifurqué pour prendre la bretelle de Kalkuidigin. Il y a très peu de circulation à cet endroit où le corps a été jeté au milieu de la route, bien exposé sur le dos, dans l'espoir qu'un camion allait l'écraser afin de simuler un accident. Mais c'est grossier tout ça.
Donc, j'ai demandé aux enquêteurs de vérifier dans un premier temps le listing des appels, ensuite de s'intéresser au péage à la sortie de la ville (route de Saponé) pour identifier les véhicules qui sont passés. On peut ainsi trouver des renseignements utiles.
Enfin, il faut noter qu'avant d'aller à la fête, il a fait un retrait au guichet automatique de banque. La gendarmerie peut donc savoir combien il a retiré et ce qu'est devenu l'argent. Toujours est-il qu'on a retrouvé sur lui près de 70 000 FCFA. Si c'était des voleurs, il n'en resterait rien. Je sais qu'il a remis 5 000 FCFA à ma fille et 20 000 FCFA aux enfants qui étaient à la base de l'organisation de l'anniversaire. Globalement, il a peut-être retiré 100 000 FCFA à la banque. Toutes ces informations peuvent permettre de se faire une idée du profil de l'assassin.
Vous êtes proche de la famille de Nébié, il semble que l'autopsie n'a pas eu lieu pour un problème de matériel. Qu'en est-il au juste ?
• C'est exact. Vous connaissez l'état de nos équipements sanitaires. Mais il est question de faire une IRM (NDLR : imagerie par résonance magnétique), c'est-à-dire une photographie du corps, qui pourrait aider l'enquête, ou de faire venir un spécialiste de l'extérieur. Cette dernière formule prend naturellement du temps. Je ne sais pas finalement ce qui sera retenu.
Interview réalisée par Adama Ouédraogo Damiss