Grotte de Kononga dans le Yatenga : La prouesse d’un homme mythique

| 14.03.2014
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Grotte de Kononga dans le Yatenga : La prouesse d’un homme mythique
© DR / Autre Presse
Grotte de Kononga dans le Yatenga : La prouesse d’un homme mythique
La région du Nord regorge d'énormes potentialités touristiques, jusque-là, inconnues. La grotte de Kononga, localité située à une vingtaine de kilomètres de Ouahigouya, est une illustration. Zoom sur un patrimoine culturel énigmatique.

Kononga ! Ce nom n'évoque pas grand-chose chez nombre de touristes burkinabè, encore moins chez ceux venant de l'étranger. Et pourtant, cette bourgade, située à l'Est de Ouahigouya, abrite une merveille touristique. A priori, rien n'indique au premier visiteur du bled qu'une grotte d'une certaine stature s'y trouve. A proximité des habitats compacts, côté Ouest, quelques bâtisses en ruines s'y dressent. Avant de se retrouver au pied de ces maisons délabrées, le visiteur traverse une cour entourée d'un mur vaincu par les intempéries et dont un pan entier a cédé. Là, l'on pourrait tomber des nus si on venait à apprendre qu'en dessous, il y a un trou d'environ trois mètres de profondeur, voire plus par endroits, et d'une superficie considérable. Boureima Ganamé, le fils du créateur du site, accueille les touristes et sert du même coup de guide pour leur faire admirer le génie de l'œuvre. Après avoir expliqué les conditions d'accès au site, celui-ci se saisit de sa lampe torche et vous invite à le suivre dans la pénombre de l'intérieur. Après un détour, l'on se retrouve devant une des entrées sur laquelle est posé un morceau de tôle en guise de porte. A l'image des orpailleurs, il faut emprunter des escaliers à reculons pour descendre au fond d'une cavité où règne un silence de cimetière. De la pénombre, des odeurs irritant les narines, de la température ambiante particulière ; le tout sur fond de peur bleue vous assaillit. Un certain nombre de questions vous fourmillent l'esprit, dès que vous mettez pied dans la caverne : la voûte ne va-t-elle pas s'effondrer, car n'étant soutenue par aucun pilier ? N'y a-t-il pas de reptiles aux aguets ?, etc. Des appréhensions vite surmontées avec les assurances répétées du guide. Plus le temps s'écoule, plus l'on a l'impression que l'intérieur de la caverne s'éclaire pour laisser admirer ses merveilles.

Du génie qui se laisse apprécier

Une maison sous terraine compartimentée, aux parois bien escarpées, s'offre au regard. L'on peut se tenir debout et marcher sans crainte de se cogner la tête contre la voûte et visiter aisément les quatorze compartiments que compte la grotte. Le visiteur y trouve un salon et des chambres, une mosquée pour la prière, un puits d'environ quinze mètres de profondeur, une latrine de cinq mètres de profondeur, des banquettes minutieusement taillées dans le sol pour le repos et de petits orifices qui servent de fenêtres. En d'autres termes, tout ce qui peut se trouver dans un habitat ordinaire y est représenté. Du génie, de l'imagination, de l'ingéniosité, de l'audace, bref, que de qualificatifs pour décrire l'ouvrage. Dans la petite randonnée, le visiteur peut recevoir en plein visage un essaim d'oiseaux, notamment des chauves-souris, dont la quiétude est régulièrement ébranlée par la lumière des torches ou le bruit des pas. Le hic, c'est que cette maison hors pair, taillée avec dextérité dans un sol latéritique, a été réalisée à la main par une seule personne, à l'aide de pioches. Le concepteur de ce chef-d'œuvre est un marabout du nom de Idrissa Ganamé. Décédé depuis 1992, celui-ci aurait souhaité, à en croire le guide, son fils, laisser « quelque chose de fabuleux » pour la postérité.
Mais au fait, qu'est-ce qui a pu motiver le promoteur à réaliser une telle œuvre ? Serait-on tenter de s'interroger. Les réponses à cette question sont tout aussi complexes que diverses. « C'est un don divin. Mon père a demandé à Dieu de l'aider à creuser la grotte pour qu'après sa mort, les gens viennent voir ce qu'il a laissé », répond le guide, Boureima Ganamé. Selon le technicien supérieur des services touristiques, Mady Zongo, en poste à la direction régionale en charge de la culture du Nord, d'aucuns rapportent que l'initiateur du site était possédé par des esprits. « Ils ont estimé que si ce n'était pas le cas, il ne pouvait pas avoir autant de force pour creuser tout seul une grotte dans un sol aussi dur », ajoute-t-il. Et Saïdou Ganamé, habitant de Kononga, la soixantaine révolue, de renchérir : « Franchement, on avait du mal à comprendre quelqu'un qui creuse un trou. Il commence à creuser vers minuit quand tout le monde dort et c'est le matin que vous voyez le tas de gravillon qu'il a évacué du trou. Sa personne était mythique ». Cette assertion, le fils du promoteur va la confirmer. A ce qu'il raconte, son père ne travaillait que la nuit et il était le seul à creuser pendant que lui se chargeait de l'évacuation de la terre. La date et le motif de réalisation de la cavité semblent échapper à tout le monde, même au fils de l'initiateur qui affirme avoir pourtant assisté au premier coup de pioche. Tout ce dont il se souvient, vaguement, c'est que l'édifice a été réalisé en cinq ans. Mais l'habitant du village, Saïdou Ganamé, donne un âge approximatif de trente-cinq ans à la grotte. Une autre version viendra du Directeur régional (DR) de la culture et du tourisme du Nord, Paul Darga : « jusqu'à présent, nos investigations ne nous ont pas situés exactement sur la date ni sur le motif de sa création. Mais des gens pensent que c'est un refuge creusé au moment des guerres tribales ».

Saye Zerbo aurait-il visité la grotte ?

Des propos avancés par Saïdou Ganamé, témoin de l'histoire, peuvent situer davantage sur la période d'exécution du terrier. Dans sa narration, il fait remarquer que le président Saye Zerbo, lors de sa prise du pouvoir dans les années 1980, a effectué une tournée qui l'a conduit à Kononga. Quand le président a voulu savoir le bien-fondé d'une telle œuvre, Idrissa Ganamé aurait répondu qu'il voulait se rendre utile dans le village. Le DR en charge du tourisme dit avoir entendu cette version, mais préfère rester circonspect, car il ne dispose d'aucune archive en la matière. L'hypothèse selon laquelle la grotte a été creusée pour se protéger d'éventuelles attaques peut paraître plausible, dans la mesure où, de sa maison, Idrissa Ganamé descendait directement dans l'excavation par une brèche. Son personnage énigmatique a conféré à la grotte un caractère sacré, la transformant ainsi en sanctuaire. Et son fils de confier que chaque vendredi, ils sont nombreux ceux qui accourent non pas pour le tourisme, mais pour consulter et solliciter de l'aide. « Les gens demandent ce qu'ils veulent et leurs vœux sont exaucés. Par exemple, des filles qui veulent des maris, des élèves qui veulent réussir dans leurs études, des commerçants qui veulent prospérer dans leurs activités ou des femmes en quête de maternité, etc. », explique-t-il. A l'en croire, la consultation a déjà produit les résultats escomptés avec des témoignages à l'appui. Toute chose qui lui apporte des revenus substantiels. Mais du côté des visites touristiques, M. Ganamé semble ne pas être satisfait de l'affluence. « La grotte n'est pas encore bien connue. Ce sont seulement les Blancs qui viennent visiter pendant les vacances mais là aussi, c'est au compte-gouttes », regrette-t-il. La visite d'un expatrié coûte cinq mille F CFA contre mille francs pour les nationaux et mille francs pour les appareils photos.

L'imminence d'une promotion du site

L'entretien et la promotion de la caverne semblent être un casse-tête pour le gestionnaire. Un des compartiments creusés à ciel ouvert et complétés par des briques en banco et des chevrons, a cédé sous l'effet des intempéries. Un défi pour M. Ganamé qui confie attendre l'aide du gouvernement et de bonnes volontés pour parfaire l'œuvre de son père, afin d'en faire un véritable lieu touristique. « J'ai besoin de ciment et de tôles pour arranger la grotte avant de faire sa publicité », lâche-t-il. Un autre challenge pour celui qui soutient être le benjamin de la famille Ganamé est de lutter contre les chiroptères qui ont pris en otage presque tous les compartiments de la grotte pour en faire leur refuge. « J'attends de commencer la réparation de la grotte pour m'attaquer à eux », rassure-t-il. Du côté de la direction régionale du tourisme, on promet que les petits plats sont en train d'être mis dans les grands pour que la grotte réponde à sa vocation de site touristique. « Il faut des paramètres du point de vue administratif et socioculturel pour arriver à déclarer le site, zone touristique par excellence. Un site touristique non viabilisé ne présente aucun intérêt », justifie le DR de la culture. Et d'ajouter que la grotte demande un sérieux aménagement, au regard de son état de dégradation avancée. En clair, des espoirs de voir sa réhabilitation prochaine se concrétiser sont réels. « Une mission de la direction de l'aménagement et de la valorisation des sites touristiques, accompagnée d'experts de l'Organisation mondiale du tourisme a été dépêchée à Kononga pour voir dans quelle mesure on pouvait aménager et valoriser le site. Il est également prévu l'aménagement de la route Ouahigouya-Kononga pour un accès plus facile », précise l'agent de la direction régionale de la culture, Mady Zongo. Aussi ajoute-t-il, l'élaboration d'une stratégie régionale de développement de la culture et du tourisme dans la région du Nord est en cours. Et ce, dans l'objectif de faire un inventaire exhaustif des sites et de réhabiliter ceux qui en ont besoin. Outre les difficultés d'entretien courant de la grotte, le souci de sa gestion est également posé. Il est prévu dans le projet de promotion des sites, la formation de guides touristiques. « Nous avons posé la question au gestionnaire s'il allait accepter qu'un guide professionnel vienne l'appuyer, mais il était dubitatif. Au fond, nous avons senti qu'il n'était pas d'accord », relate M. Zongo. Dès lors, une question taraude l'esprit des techniciens du tourisme du Nord : comment ériger la grotte en site touristique et la nationaliser au profit des populations, étant donné qu'elle reste toujours un héritage familial ? Car pour M. Zongo, si l'on doit injecter de l'argent dans le site, il faut qu'il génère des recettes au profit de la collectivité. Et le DR de souligner que c'est une question d'approche et de communication avec l'héritier de la grotte, afin de l'intégrer au projet. Et pourtant, cet héritier ne jure que sur le caractère sacré de la grotte, notamment à travers les consultations, pour sa survie, tout en clamant que le côté touristique n'est pas rentable. « Je peux dire que la grotte me procure des revenus substantiels car nombre de ceux qui consultent reviennent me témoigner leur gratitude avec de l'argent », se réjouit le guide. Toutefois, il reconnaît avec humilité que les retombées ne profitent pas encore aux habitants du village mais espère que la donne pourrait changer, si d'aventure la grotte est promue.

Mady KABRE

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Qui est Idrissa Ganamé ?

Le promoteur de la grotte de Kononga, Idrissa Ganamé, est un marabout qui a fait des études coraniques auprès du Cheick de Ramatoulaye, El Hadj Aboubacar Maiga I. Installé d'abord à Solome (hameau de culture dans le Yatenga), il s'est déplacé par la suite pour s'établir définitivement à Kononga, pour des raisons religieuses ; d'où son pseudonyme de « Solome monré » (marabout de Solome). A ce qu'on raconte dans le village, le mythique Ganamé était très réputé dans la pratique du maraboutage. « Quand quelqu'un était malade, il récitait quelques versets du Coran sur son chapelet qu'il mettait dans de l'eau. Cette eau, donnée à boire au malade, le guérissait », témoigne Saïdou Ganamé. Sur une pancarte, l'initiateur a laissé quelques informations telles que son identité, le nombre de compartiments de la grotte (14) et leur dénomination. Ainsi, il y a des compartiments de la piété, de la confiance, des bénédictions, etc. Né vers 1921, il est décédé le 25 avril 1992, à l'âge de 71 ans.

M.K.

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