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Frayeurs et négoce agropastoral par-dessus le Mouhoun

| 31.12.2013
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Frayeurs et négoce agropastoral par-dessus le Mouhoun
© DR / Autre Presse
Frayeurs et négoce agropastoral par-dessus le Mouhoun
Le commerce entre le Ghana et le Burkina est intense à l'échelle locale, du côté de Manao, petit village situé dans la commune de Zambo. Pour franchir le fleuve, les passagers utilisent des pirogues traditionnelles. Certains y perdent la vie. Mais l'affluence reste grandissante car le petit business via ce fleuve semble prospère.

Burkinabè et Ghanéens sont deux peuples historiquement liés et dont les langues héritées de la colonisation et les barrières naturelles n'ont réussi à séparer. Le 23 octobre 2013, c'est jour de marché à Zambo, commune rurale de la province du Ioba. Sur la portion du fleuve Mouhoun, passant par le village de Manao, on assiste à des ballets surréalistes. Dès notre arrivée, dans la première pirogue on compte cinq passagers, dont le piroguier et deux femmes, une moto de moyenne cylindrée (type Yamaha homme), un vélo et un bidon de 20 litres rempli de « patassé » (alcool).
L'embarcation tangue sur une eau calme, trouble et infecte, recouverte ici et là d'écumes poisseuses. Les passagers restent pourtant sereins et arrivent à bon port. Le lieu du débarquement est insalubre et glissant. On aurait dit le pourtour d'un abreuvoir pour un grand troupeau de bovins. Aucun aménagement n'est visible nulle part. Les passagers s'entraident pour sortir leurs bagages de la pirogue. D'habitude, dit-on, il y a quelques villageois qui viennent donner un coup de main, mais ils ne sont pas là tout le temps.

Le propriétaire de la moto a vite filé, une fois sur la terre ferme. Mais on le retrouvera plus tard au marché de Zambo. Il s'appelle Eliebi Kpoda. Il est originaire de Lawra (ville ghanéenne) et fait du petit commerce transfrontalier avec le Burkina Faso depuis 21 ans. « A mes débuts, je venais vendre de la cola et je rachetais de la friperie de tenues kakis », se souvient-il. Maintenant, il vient à moto et repart chargé de petits ruminants. Les chèvres, il les achète entre 5800 et 15000 francs CFA et les revend chez lui à Tamalé ou même à Kumassi, avec une marge bénéficiaire incitative. « Ça m'aide, j'arrive à subvenir à mes besoins », ajoute-il simplement.

Comme lui, des milliers de Ghanéens franchissent la frontière du côté de Manoa, petit village situé à 2 km du fleuve et à 7 km de la commune de Zambo (Ioba). Venant à moto, à vélo ou à pieds, ils traversent le cours d'eau le plus important du Burkina en pirogue, pour acheter et vendre sur les marchés de Zambo (chaque six jours) et de Tovor (chaque dimanche).

L'une des dames de l'embarcation évoquée plus haut, se présente : « mon nom est Koutchonè Kambiré, je suis mariée à Bawru. Mais je suis née ici à Manao », s'empresse-telle d'ajouter, l'air peu rassuré. Elle porte un foulard à la tête et noue un pagne aux reins. Ses bras sont chargés, l'un d'un petit seau en plastique et l'autre d'un tas de sacs vides. C'est à elle qu'appartient le vélo, une monture rustre, sans garde-fous, ni éclairage et qui paraît plus longue que d'habitude, en raison d'un porte-bagage imposant.

Découvrant mon nom, elle m'appelle par « mon fils » et se libère de ses appréhensions. « On part pour acheter des noix de karité et du mil si on en trouve. Même le maïs, on achète ».

Avant son départ, c'est une autre pirogue plus chargée que les autres, qui vient d'accoster. A son bord, 7 passagers dont cinq femmes, un bidon de patassé et une moto. Le débarquement de la moto est catastrophique. Une mauvaise manœuvre a déséquilibré la pirogue qui s'est dangereusement incliné et a vidé la moto dans l'eau. A ce niveau, le fond fluvial est à moins d'un mètre et la moto a été sortie de l'eau sans difficulté. Les passagers sont restés muets sur cet incident. On peut les comprendre. Il y a deux choses à éviter lorsqu'on est à proximité d'un cours d'eau important : parler de ce cours d'eau ou se complaindre. Selon les croyances locales, l'esprit du fleuve vous retiendra pour mieux vous entendre. Dit autrement, c'est la mort par noyade le même jour ou plus tard.

Un trafic au goût alcoolisé

Les passagers se montrent tous pressés de quitter la berge après s'être rincés les pieds des éclaboussures. De ce fait, la berge n'est jamais bondée de monde et offre un calme relatif qui permet d'observer au loin en aval, des femmes venant chercher de l'eau, directement dans le fleuve et en amont, des pêcheurs jetant des filets. Il s'agit de pêcheurs haoussas et des Bozos du Mali, dira plus tard le directeur de l'école de Manao.

En entendant de rejoindre l'instituteur, une dernière scène attire l'attention : trois femmes se retrouvent seules, au milieu de l'eau. Aucun piroguier n'est visible dans cette barque. Tous des hommes, les piroguiers s'installent habituellement à l'arrière. Mais cette fois, c'est une dame qui est à la manette. Sa pirogue vogue au-dessus de l'eau sans difficulté visible. En regardant avec admiration cette dame conduire, on constate stupéfait, qu'elle rame avec le couvercle de son petit seau plastique, pas plus grand qu'un nénuphar ou qu'un disque « 7"-45 tours ». Les deux autres dames ont aussi les mêmes seaux qu'elles utilisent pour s'asseoir. Ces récipients servent de sacs à main, voire de garde-manger mobiles pour ces femmes rurales.

Moins de cinq minutes après, les voilà sur la rive. Toutes âgées de plus de 50 ans, elles se rendent aussi au marché de Zambo pour s'approvisionner en noix de karité. La conductrice se nomme Kambiré Ziézan. Son prénom signifie en langue dagara « qui vient de loin », mais elle vient plutôt d'à côté. Puisqu'elle est originaire de Manoa, mais mariée à Bawru. Elle est accompagnée d'une cousine qui comme elle, a franchi le fleuve pour se marier et d'une tante à son époux. Apparemment, la rivière n'a guère affecté les unions de part et d'autre du fleuve.

A la question de savoir comment elle a appris à conduire une pirogue, Kambiré Ziézan répond simplement : « Je suis d'ici ». Guider une barque « est un travail de nos parents et c'est un peu comme les travaux champêtres. Même très jeune, on peut conduire la pirogue », a explicité plus tard Bèlaalè Hien, un villageois de 29 ans, originaire de Manao.

Le ballet sur le Mouhoun s'est fait en sens unique jusque-là. En moins d'une heure, plus de 20 personnes l'ont traversé. Parmi elles, de nombreuses femmes, dont certaines portaient des enfants au dos. Selon le « guide », un jeune qui m'a conduit jusqu'au fleuve, les femmes sont attirées par les noix de karité, alors en abondance sur les marchés locaux. La mairie de Zambo estime à au moins 200 le nombre des Ghanéens qui arrivent dans cette commune, les jours de marché.

En plus d'être pressés, les commerçants ont invariablement exprimé de la méfiance, et ce dès le départ. Tout a commencé par Pièrè Kpoda, un homme d'une quarantaine d'années, le tout premier interlocuteur du jour. Il est vêtu simplement, d'un t-shirt rouge et d'un pantalon vert olive aux pans retroussés. Il affiche d'emblée de la crainte. Il redoute avoir affaire à un douanier. Car c'est lui le propriétaire du bidon de patassé de la première pirogue. Encore appelé « qui m'a pousse », le patassé est de l'alcool produit localement, d'une qualité douteuse et circulant généralement en contrebande. Voilà pourquoi les villageois ne tardent pas à fuir lorsqu'ils l'ont dans leurs bagages et qu'ils aperçoivent un homme de tenue qu'ils ne connaissent pas ou toute personne suspecte.

Traversée périlleuse

Finalement rassuré, c'est avec un sourire que M. Kpoda, natif de Manao, s'est confié. « Je suis parti tôt prendre la boisson à Bawru, c'est juste après le fleuve (...) ce n'est pas moins cher mais c'est là qu'on la trouve » dit-il. Selon lui, des commerçants ghanéens, en provenance de Kumassi, transportent le patassé jusqu'au village limitrophe de Bawru. A partir de là, les Burkinabè franchissent le fleuve pour aller s'en approvisionner. A l'écouter, de grandes quantités d'alcool transporté dans des bidons et dans des sachets, passent du Ghana au Burkina tous les jours. Parmi les produits venus du Ghana, on note aussi le sel, le sucre, les piles, les torches, le carburant et les médicaments.

Quant aux Ghanéens, a-t-il poursuivi, ils viennent s'approvisionner en mil, maïs et arachide. Ils achètent aussi des bœufs, des chèvres et des moutons. Ses propos ont été confirmés par le constat au marché de Zambo, mais aussi par le directeur de l'école de Manoa, Moussa Coulibaly et le premier adjoint du maire de Zambo, Domètièro Wenceslas Dabiré.

Cet instituteur arrivé dans cette localité il y a deux ans, est né à Bobo-Dioulasso. Il a un regard différent des autochtones. « Le fleuve est vraiment fréquenté le jour de marché » reconnaît l'instituteur. Contrairement au maire qui dit n'avoir pas entendu parler de mort d'hommes cette année dans le fleuve, l'enseignant, logé à 2 km du fleuve, en sait mieux. Selon lui, deux hommes y ont perdu la vie cette année.

La première victime serait venue annoncer des funérailles. A son retour, las d'attendre un piroguier, il s'est jeté à l'eau et s'est noyé devant des femmes impuissantes. « Il semblait avoir trop bu et n'a pas pu traverser le fleuve, laissant son vélo sur la rive », dit l'enseignant un peu triste. Il aura fallu trois jours pour retrouver son corps dans un village situé en aval.

La seconde victime a eu un sort un peu similaire. En tentant de traverser le fleuve avec 3 autres camarades, pour assister à des funérailles à Manao, il s'est noyé à la suite d'un chavirement de la pirogue. Les autres ont pu retrouver la terre ferme.
En réalité, les cas de noyade sont plus fréquents, mais il ne faut pas en parler de peur de susciter le courroux de l'esprit du fleuve. Chaque village situé à 50 km à la ronde, a déjà perdu un parent qui tentait en solitaire la traversée ou qui n'a pu être sauvé suite à un chavirement. Les précautions prises au préalable sont inexistantes. On n'a pu constater sur place la traversée en solitaire d'un riverain, usant de ses sandales (tapettes) comme pagaie.

Mais les liens familiaux semblent plus forts que le danger du fleuve. Les besoins commerciaux voire vitaux poussent les villageois à prendre ces risques. « On est de la même famille, les mêmes noms. Les relations socioculturelles sont fortes. Dès qu'on annonce des funérailles au Ghana, les gens y vont parce que c'est la famille ou ça touche quelqu'un qu'on connaît bien. Eux aussi font pareil », a confié l'adjoint au maire de Zambo. Il ajoute aussi, qu'en cas de disette dans les villages environnants, les gens se rendent au Ghana pour acheter du mil, du maïs ou de la farine de manioc.

En outre, les autorités des deux communes voisines de Zambo et Lawra, entretiennent des relations cordiales. Zambo a ainsi participé du 10 au 13 octobre 2013 au Kobine Festival de Lawra. Il en avait profité pour remercier le chef traditionnel des lieux, le « Lawra-naa » qui avait envoyé une délégation à l'installation du conseil municipal de Zambo, sept mois auparavant. « Il y a l'entente, il n'y a aucun problème », s'est réjoui M. Dabiré.
Une petite manne pour la mairie de Zambo
Sur les traces des commerçants, on se retrouve au marché de Zambo. C'est un espace ouvert où marchands et visiteurs s'abritent sous des grands arbres. On dénombre aussi une vingtaine d'étals construits en briques de ciment et de nombreux hangars en paille. C'est un véritable marché de village où chacun semble s'installer là où il peut. Les herbes y ont perdu leur verdure, mais elles restent disponibles pour nourrir les animaux mis en vente.

Le marché n'est pas vaste et Koutchonè Kambiré, l'une des femmes de la première embarcation, est vite repérée. Elle est plus détendue et rit pour montrer qu'elle me reconnaît. Trois sacs pleins de noix *témoignent qu'elle a déjà fait l'essentiel de son marché. Zambo est une zone qui produit beaucoup de noix de karité. Sur la place du marché mais sur les voies, on dénombre plusieurs tas de noix avec à côté, le plat qui sert d'unité. On l'appelle kokolaa (ou yoruba) et son contenu vaut 300 F CFA.

Un peu plus loin, sous un arbre, trois acheteurs de bétails jettent des regards suspicieux. Tous de Lawra, ils sont arrivés tôt à Zambo pour chercher des chèvres et des moutons. Les prix des bêtes varient entre 5500 et 15000 F CFA pour les chèvres, et 11 000 et 23 500 F CFA pour les moutons.
Puis enfin, sous le soleil, Eliebi Kpoda. Sont front ruisselle de sueur, mais son visage s'éclaire d'un sourire. Il se souvient de la première fois qu'il a mis les pieds dans ce marché, il y a plus de 21 ans. « Il n'y avait que deux commerçants parlant mooré », dit-il. Ce vendeur de cola reconverti en vendeur de petits ruminants, écoule ses bêtes à Lawra, Tamalé et Kumassi.

A 14 heures, l'heure est au retour vers le fleuve pour les plus prompts. Les piroguiers sont cette fois-ci du côté du Burkina Faso. Les passagers se déchaussent, charge eux-mêmes leurs marchandises et s'embarquent à leurs tours. C'est le cas de Kounbèpilè Da, un Ghanéen de Zakpè (distric de Lawra) qui fait le négoce du petit bétail. (...) lire la suite de l'article dans le Carrefour Africain du mois de décembre

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