Plus que quarante-huit heures pour voir les femmes du Burkina se retrouver à nouveau pour commémorer cette journée qui leur est dédiée. Le 8-Mars qui est toujours attendu avec beaucoup d'impatience du fait surtout, que cette fête constitue un cadre d'expression pour la gent féminine dans sa quête permanente de l'égalité des chances mais également pour son mieux-être.
Et au-delà des cérémonies protocolaires avec la participation du chef de l'Etat et de son épouse, les femmes du Burkina ont toujours mis à profit cette journée pour organiser des réjouissances populaires. Une façon pour elles de joindre l'utile à l'agréable comme ce fut toujours le cas lors des précédentes journées.
A Bobo-Dioulasso, la célébration de la Journée de la femme est régulièrement marquée par des manifestations de Djandjoba sur certaines places publiques de la ville. Et c'est parées de leurs uniformes du 8-Mars que les femmes bobolaises s'y rendent pour des moments de plaisir et de joie en compagnie de parents, amis et connaissances. Seulement, cette année et contrairement aux précédentes éditions, les préparatifs du 8-Mars ne connaissent toujours pas une effervescence particulière à Sya. Une indifférence inhabituelle qui suscite beaucoup d'interrogations et qui commence à inquiéter sérieusement de nombreux commerçants du marché central de la ville.
Lesquels font actuellement face à une situation de mévente des pagnes du 8-Mars mis sur le marché. C'est le cas de Guiré Mathias qui dit avoir véritablement du mal à trouver preneur à sa marchandise.«Sur les 20 balles que j'ai prises je n'ai pu vendre que 7. C'est bientôt la fête alors que je n'ai même pas encore écoulé la moitié des pagnes. C'est déplorable cette année parce que nos pertes en termes d'argent sont immenses. L'année dernière à cette même période j'avais déjà écoulé 30 balles et même qu'à l'heure actuelle les pagnes étaient vendus plus cher au marché noir. Ce qui n'est pas le cas cette année», nous confie-t-il.
Des pagnes d'origines diverses
Comme lui, ils sont nombreux, les commerçants, à écouler leurs produits sur le marché. Ces pagnes du 8-Mars qui ne semblent véritablement pas séduire les Bobolaises. Une situation qui serait liée, selon Bélem Souleymane, à la mauvaise qualité du tissu ; en effet, dit-il, «j'ai un important stock au marché et le magasin est encore plein. Les gens refusent de prendre ces pagnes parce que le motif est mal fait et la couleur n'est pas attractive». Pour sa part, Zéa Ouédraogo soutient n'avoir pas pris le risque cette année de faire la commande parce que, affirme-t-elle, les nouvelles sur la qualité des pagnes n'étaient pas bonnes et elle a préféré décliner l'offre.
Toujours est-il qu'à Bobo-Dioulasso, de nombreux commerçants sont actuellement dans la désolation au regard de cette atmosphère de morosité qui prévaut au marché central en cette veille de la célébration de la Journée de la femme. Un 8-Mars au goût amer pour Salimata Tiendrébéogo qui, pour sa part, déplore ces comportements mercantiles qui ont eu pour conséquence la mise sur le marché de pagnes d'origines diverses et de qualité douteuse. Une idée que partage Abdoul Karim Ouédraogo qui explique que les pagnes aux bordures rouge sont confectionnés au Mali et constituent la troisième qualité ; les pagnes aux bordures vertes proviendraient de l'Inde et représentent la deuxième qualité tandis que ceux aux bordures de couleur blanche seraient le vrai Wax et par conséquent la première qualité.
On n'a jamais connu une telle diversité au cours des éditions précédentes, soutient Belem Souleymane, qui donne par ailleurs une autre version sur le refus des femmes à se les procurer. Pour lui, en effet : «Il y a eu un faux départ avec les commandes de troisième choix qui ont été les premiers à inonder le marché. Les esprits ont été très marqués par la mauvaise qualité du tissu et même de la couleur ; et depuis, les gens ont commencé à bouder les pagnes du 8-Mars. Bien qu'on ait pu mettre par la suite sur le marché, le deuxième et le troisième choix, les gens étaient déjà déçus et n'en veulent plus. Il y a aussi la couleur qui déplait à tout le monde et c'est vraiment regrettable ce que nous vivons aujourd'hui». Et comme il fallait s'y attendre, le manque d'engouement pour les pagnes du 8-Mars cette année a entraîné une baisse du prix de vente de 50%, voire plus.
3 pagnes à 2 500 FCFA au lieu de 6 000 FCFA
Au marché comme partout ailleurs dans la ville de Sya, les trois pagnes sont vendus par des ambulants à trois mille francs voire moins, au lieu de 6 000 FCFA. Ce qui n'est pas pour plaire à Guiré Mathias. Lui qui est plus que jamais certain de sortir perdant dans cette affaire. Et pour cet autre commerçant qui a préféré garder l'anonymat, il affirme être actuellement à couteaux tirés avec certains revendeurs venus se ravitailler dans son magasin. Des détaillants qui selon ses dires «ont pris les pagnes à crédit et à prix spéciaux pour les vendre comme c'est le cas chaque année. Mais constatant que le produit n'est pas prisé sur le marché, ils veulent me le restituer, et moi je refuse parce que nous avons conclu un marché. Je ne sais pas comment ça va se terminer parce que je ne vais pas me laisser faire».
Pour de nombreux commerçants qui ont déjà pris leur calculette, la situation semble désormais catastrophique et les pertes sont estimées à plusieurs millions de nos francs. Chez les couturiers également, l'ambiance n'est toujours pas à la fête parce que les clientes se font rares comme des larmes de chien. La grande affluence des éditions précédentes semble avoir fait place aujourd'hui à la tristesse et la désolation. Dans certains ateliers de couture, on a encore de la peine à croire que nous sommes à la veille de la Journée de la femme. Une période qui a toujours été mise à profit par Ali Sanogo, tailleur à Sikasso-Cira, pour engranger le maximum de recettes.
Mais pour l'heure, il ne cache pas son amertume et même sa colère car, dit-il : «Cette fête du 8-Mars est un vrai coup dur pour moi parce que nous n'avons pas été sollicités. L'année dernière par exemple, nous étions obligés de veiller presque chaque soir pour pouvoir honorer nos engagements vis-à-vis de nos clients. Mais cette année les femmes n'ont pas apprécié les pagnes et refusent de les coudre. Cela va nous causer d'énormes préjudices et même déséquilibrer nos comptes pour le reste de l'année». A qui la faute alors ?
A cette question, Belem Souleymane pointe du doigt ces fraudeurs qui auraient bénéficié, selon lui, de certaines complicités pour leur faciliter la tâche et sans être inquiétés. Et du coup, avance-t-il : «C'est nous qui prenons les pots cassés. De plus en plus nous sommes confrontés à ces marchés parallèles puisque à chaque 8-Mars des cadres de la Fonction publique aussi se retrouvent dans le circuit de distribution pour grignoter notre part de marché. Et maintenant, on veut carrément nous exclure du circuit parce qu'avec le scénario actuel que nous connaissons, les commerçants pourraient réfléchir par deux fois avant de s'engager prochainement pour les commandes des pagnes du 8-Mars». A bon entendeur salut.
Jonas Apollinaire Kaboré