Vendredi 23 mai en début de soirée. Après la fermeture de son atelier de couture à 19 heures, Jacques Bado se rend à la grande famille au quartier Pissy comme il en avait l'habitude tous les soirs pour rendre visite à ses parents. Mais aussi pour rendre grâce à Dieu au côté des autres membres de la maison sous la direction de son oncle, le pasteur Jonas Bamouni par une prière pour Sa bienveillance au cours de la journée. Très engagé dans la vie de la communauté, Jacques avait confié aussi au Seigneur la mission d'évangélisation qu'il devait effectuer le lendemain à Zoula dans la province du Sanguié.
Après avoir sacrifié à cette tradition familiale, il prit le chemin pour rentrer chez lui, au quartier non loti où il partageait sa maison avec son frère aîné, Babou Bado. Comme à son habitude, il marqua une escale dans un kiosque situé à une dizaine de mètres seulement de sa maison pour se restaurer. Manifestement, le jeune homme, n'appréciait pas seulement la cuisine de la jeune tenancière, il était aussi tombé sous son charme. Et, comme les jeunes gens de son âge, il ne manquait pas de subterfuges et de techniques d'approches pour l'attirer dans sa bicoque. Ainsi, ce jour-là en quittant le kiosque, il aurait, selon sa tante et son frère, confisqué le portable de la jeune fille en lui disant de venir le récupérer chez lui. Il n'en a pas fallu plus, si l'on en croit toujours la famille du défunt, pour que des militaires, qui avaient, eux aussi, jeté leur dévolu sur la même fille, débarquent chez lui pour le mettre définitivement «hors jeu» et lui enlever toute envie de revoir « leur » dulcinée.
C'est ainsi qu'au motif de vol de leur téléphone portable, les deux éléments du Régiment de sécurité présidentielle, a dit la famille, sont allés battre Jacques dans sa maison, et malgré le fait qu'il saignait déjà abondamment, l'ont trainé sur une distance d'environ 200 mètres pour ensuite l'abandonner dans une ruelle, sous le regard tétanisé des passants. Pendant que Jacques était passé à tabac, un badaud serait allé informer la fille en question pour qu'elle puisse user de son influence auprès des soldats afin qu'ils arrêtent la bastonnade, mais celle-ci aurait répondu : «lorsque ces gens sont en colère, je préfère rester loin d'eux».
Digne dans la douleur
Après avoir réglé son compte à Jacques, selon ses proches, les soldats, qui venaient de réaliser alors la portée de leur acte, se seraient précipités à la Brigade de gendarmerie de Boulmiougou pour porter plainte pour vol (Plainte confirmée par le commandant de brigade).
Entre-temps, la victime sera transportée d'urgence en taxi-moto au CMA de Pissy dans la nuit de vendredi par son frère aîné Babou. Et de l'avis des témoins, il était dans un piteux état, inconscient et saignait de partout, de la bouche et même des oreilles. En dépit des soins intensifs qui lui ont été administrés, son état ne s'améliorait pas. Bien au contraire, il empirait. Jacques sera alors référé dans la matinée du samedi 25 mai à l'Hôpital Blaise- Compaoré. Devant la grièveté de son état, son pronostic vital était déjà engagé ; il sera de nouveau référé à Yalgado où il succombera malheureusement autour de 10 heures. Jacques Bado a été inhumé le dimanche 25 mai au cimetière de Sondogo.
La famille, il faut le dire, est restée digne dans sa douleur en gardant le calme et en invitant les jeunes à la retenue. Mais bien que très pieuse, elle ne se contentera pas seulement de la justice divine. Elle a porté plainte auprès de la même Brigade de gendarmerie. Elle attend que ceux qui ont arraché à leur affection leur « Jacques » subissent toute la rigueur de la loi.
La version de la Gendarmerie
Le commandant de la brigade de ville de Boulmiougou, l'adjudant-chef major Kader Zouré, que nous avons rencontré aussi hier lundi 26 mai, a confirmé l'incident. Effectivement, deux militaires sont venus porter plainte dans la nuit du vendredi 23 mai contre un certain Jacques Bado pour vol. Les plaignants ont déclaré avoir appréhendé un voleur cette nuit-là. En le conduisant à la brigade, le présumé voleur (Jacques Bado la victime) aurait réussi à tromper leur vigilance. Et c'est en tentant de prendre la poudre d'escampette qu'il a été rattrapé par la foule qui criait au voleur et qui l'aurait lynché sans autre forme de procès.
Invoquant le secret de l'enquête qui est en cours, le CB s'est refusé à en dire plus sur cette affaire. Malgré notre insistance, il n'a ni confirmé ni infirmé l'information selon laquelle les présumés auteurs de ce crime seraient des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Il s'est simplement contenté de confirmer que les incriminés sont effectivement des militaires. En outre, il a précisé que ces derniers lui ont été bel et bien présentés par la hiérarchie militaire qui les a par ailleurs placés en lieu sûr pour les besoins de l'enquête.
A l'étape actuelle de l'évolution des enquêtes, les fins limiers ne sont pas en mesure de conclure si Jacques Bado a été tabassé à mort par les deux militaires suspectés par la famille et des témoins ou lynché par la foule comme les bidasses le prétendent.
Si les présumés coupables ne sont pas détenus dans les locaux de la Gendarmerie, c'est parce qu'ils bénéficient, jusqu'à l'établissement de leur culpabilité, de la présomption d'innocence, a déclaré l'adjudant-chef major Kader Zouré.
Lorsque nous quittions le domicile de la victime Jacques Bado vers 12 heures, le vendredi 23 mai, aucune démarche du commandement encore moins des parents des deux militaires incriminés n'avait été entreprise auprès de la famille éplorée.
Jean Stéphane Ouédraogo