Devant l'abattoir frigorifique de Bobo-Dioulasso, s'est développée une sorte de gare d'engins divers. Des taxis, des voitures de particuliers ou des motos tricycles y sont en effet, garés, attendant des clients spéciaux, des carcasses de viande. Des jeunes, avec des carcasses sur leur tête, font des aller-retour vers une fourgonnette, un taxi ou un tricycle. Ainsi de suite, les véhicules stationnés seront tous chargés de viande. D'autres personnes mettent simplement les carcasses des animaux sur leurs motos. Toute cette viande est acheminée vers le marché. C'est dans ces conditions que les bouchers de Bobo-Dioulasso transportent les produits d'abattage qu'ils vendent aux populations. Une situation déplorée par les premiers responsables de l'abattoir, cette structure chargée, normalement, de la préparation de la viande et de son transport dans les boucheries de la ville. La situation actuelle a une cause: le manque de camion frigorifique. En effet, selon le directeur général de l'abattoir frigorifique, Jules Palm, l'unique camion, vétuste et non fonctionnel, date de 1962. « On ne rencontre plus ces camions. C'est ce qui fait que les bouchers eux-mêmes se chargent de transporter la viande. Maintenant, la manière de transporter laisse à désirer», avoue-t-il. Alphonse Banao, un vétérinaire membre de l'équipe chargée de l'inspection de la viande à l'abattoir, est du même avis que le directeur général. « Ce sont les moyens de bord », dit-il, avant d'ajouter : «nous sommes en Afrique. On dit que la cuisson tue les microbes ». «Mais à quel degré ? En réalité, il y a des difficultés à organiser les bouchers », affirme Jules Palm. Affirmation partagée par le président de l'Union régionale de la filière bétail et viande des Hauts-Bassins, Dossou Sanou. Celui-ci parle de changement des mentalités. Pour lui, il y a deux groupes dans le secteur de la transformation de la viande, à savoir les anciens « de la » filière et les anciens « dans la » filière. « Pour moi, les anciens de la filière, ce sont les techniciens, les acteurs qui aident le président, qui font des propositions pour que nous allions de l'avant. Mais les anciens dans la filière, c'est ce groupe qui n'a qu'un seul couplet : ils sont venus nous trouver, ils vont partir nous laisser. Ce sont eux qui sont les plus nombreux », explique-t-il. En fait, la filière bétail et viande réunit les transformateurs de viande (bouchers), les producteurs de bétail (éleveurs), et les commerçants de bétail. Le vice-président de l'Union nationale des transformateurs de la filière bétail et viande, Seydou Yoda, par ailleurs président des bouchers agréés de Bobo-Dioulasso, réfute l'allégation relative à l'inorganisation des bouchers. Selon lui, les bouchers sont bien organisés et leur structure en a même formé plusieurs à l'hygiène et la découpe. Ce qui amène certains à couvrir la viande avec des sachets plastiques. « D'autres ne comprennent pas, mais nous sommes en train de les sensibiliser », indique-t-il. Seulement, il déplore le manque de catégorisation des bouchers. « Tout le monde est grossiste et détaillant. Et quand quelqu'un veut devenir boucher, il commence même avant d'avoir son agrément », dénonce-t-il. De son avis, la catégorisation incombe à l'Etat. Il reconnaît toutefois que les bouchers peuvent s'organiser pour avoir un camion frigorifique qui, du reste, ne permettra pas de mettre fin à cette pratique, au regard du nombre des marchés. Idée partagée par le directeur général de l'abattoir, Jules Palm : « Même si le véhicule est bon, le lieu de ravitaillement n'est pas le même. Généralement, le véhicule va au grand marché, alors que les bouchers sont disséminés dans la ville ». Tous les espoirs d'avoir un camion sont affichés de part et d'autre, alors que l'Union régionale de la filière viande et bétail dispose d'un camion. M. Sanou dit même avoir essayé de convaincre le directeur général, pour qu'il loue le camion. Mais ce dernier souhaite que ce soit plutôt un prêt. « Nous n'avons pas amené le camion pour prêter, mais pour avoir de l'argent dans notre caisse », soutient Dossou Sanou. Et M. Palm de répondre : « Je vais louer avec quoi ? Il n'y a pas de ressources financières. Il aurait dû proposer cela aux bouchers ». En fait, la structure a acquis le camion frigorifique en vue d'exporter la viande à l'extérieur, parce qu'elle avait eu des marchés, a rappelé M. Sanou.
Vite, un statut et un nouvel abattoir !
L'abattoir frigorifique de Bobo-Dioulasso est géré par deux ministères : celui des ressources animales et celui de l'industrie, du commerce et de l'artisanat. « Le bicéphalisme pose souvent problème », a fait savoir le DG, Jules Palm. Il a expliqué qu'au regard du fait que l'abattoir n'exporte pas de la viande, il ne peut, pour le moment, être également dépendant du Ministère du commerce. Et d'ailleurs, quand il y a des aspects techniques, vétérinaires, des questions de la réfection ou de la dotation de camion frigorifique, c'est le Ministère des ressources animales et halieutiques qui s'en occupe, laisse-t-il entendre. Le DG confie fonder l'espoir d'un nouvel abattoir et d'un statut clair. « Avec le projet de construction du nouvel abattoir, nous avons demandé à ce qu'un expert s'associe pour nous dégager un statut juridique », signifie-t-il. En effet, depuis 2004, une étude de faisabilité avait été réalisée. Le coût du nouvel abattoir en son temps, avait été évalué à 6,7 milliards de F CFA, révèle M. Palm. Dix ans après, il pense qu'il faut actualiser le coût, au regard de la conjoncture économique avec la flambée des prix. Un nouvel abattoir moderne, qui réponde aux normes nationales et internationales, tel semble être son vœu cher. « Cela va permettre d'exporter la viande, au lieu que les producteurs envoient les animaux sur pied. Et il y a une plus-value, parce qu'il y a le cinquième quartier qui reste, qu'on peut consommer ou transformer », appuie-t-il. L'Union régionale de la filière bétail et viande des Hauts-Bassins, selon son président Dossou Sanou, est également contre l'envoi des animaux sur pied. « Nous avons décidé qu'aucun acteur ne va faire partir les animaux à l'extérieur, tant qu'il n'a pas de contrat. Mais c'est très dur. Il y a des intermédiaires à l'intérieur tout comme à l'extérieur du pays, qui ne souhaitent pas qu'il y ait des contrats. L'inorganisation du secteur leur profite », a souligné M. Sanou.
Même les animaux morts sont acceptés
La préparation de la viande à l'abattoir répond à une règle. Les bouchers viennent avec leurs animaux vers 16 heures. Ils honorent la taxe d'abattage qui est de 2000 F CFA par bovin, 1000 F CFA pour le porc, 350 F CFA pour les petits ruminants. Les animaux sont numérotés et parqués. Les abattages commencent le matin à 1 heure, jusqu'à la finition, fait savoir le DG de l'abattoir. Les vétérinaires, à leur tour, inspectent la viande, retirent celles qui sont impropres à la consommation. Une estampe bleue est marquée sur les carcasses propres. Seulement, il est regrettable de constater que les bouchers convoient souvent à charrette des animaux mourants à l'abattoir. « Mais ce n'est pas parce que l'animal est maigre qu'il présente un danger pour la consommation », rassure le vétérinaire Alphonse Bénao. Il ajoute que normalement, un animal arrivé à l'abattoir, ne doit pas être abattu immédiatement, mais doit être mis dans un lazaret, pendant au moins 24 heures. Pendant ce temps, on ne lui donne ni à manger ni à boire, pour que certains éléments soient éliminés. « Mais dans nos conditions, il est impossible de le faire. Il n'y a pas de lieu approprié et puis, si malgré tout, on veut le faire, les animaux ne tiendraient pas. Quand les animaux maigres arrivent et qu'on veut les priver de nourriture ou d'eau, ils meurent », argumente le vétérinaire. Par ailleurs, il précise que pour éviter que les bouchers ne mettent sur le marché de la viande infestée, les agents de la santé animale acceptent contrôler les animaux morts avant d'arriver à l'abattoir. Le président de l'Union régionale de la filière bétail et viande, Dossou Sanou, est contre cette façon de faire. « Un abattoir, c'est pour la santé de la population. Autrement dit, chacun peut tuer son animal chez lui. Le directeur de l'abattoir doit être très strict sur l'abattage des animaux », déclare-t-il. Le président des bouchers agréés de Bobo-Dioulasso, fait comprendre que les animaux qui arrivent égorgés à l'abattoir sont pour la plupart des victimes d'accidents. « Des fois, des animaux se bagarrent et se cassent le cou. On les égorge, avant de les transporter à l'abattoir », augmente-t-il, en exemple.
Rabalyan Paul OUEDRAOGO