Notre passage au Centre de santé et de promotion sociale de la commune, le mercredi 9 juillet 2014, nous a permis de mesurer l'ampleur des dégâts. Assis sous un manguier, Seydou Diallo, éleveur, âgé de 64 ans, n'a que ses yeux pour pleurer ses 4 enfants Yacouba Diallo, 29 ans, Yaya Diallo, 26 ans, Arouna Diallo, 22 ans et Yacouba Diallo, 24 ans, tués lors de l'affrontement. « Ils étaient si beaux, respectueux des valeurs sociales et de la loi », a-t-il confié avec une sérénité qui ébranle. Celui qui a échappé, de justesse au lynchage est convaincu que ses enfants ne sont pas responsables de la mort de l'agriculteur, Ouéna Kané, né le 1er janvier 1960, à Idenia Cora et qui est à la base de l'affrontement entre, disons-le, les autochtones et les Peulh. « Après la pluie matinale, du lundi 7 juillet 2014, un de mes fils, Oumarou, a conduit les animaux au campement. Il m'a fait savoir que les animaux avaient traversé le champ d'un agriculteur. J'ai pris bonne note et je me suis mis dans la disposition de négocier avec le propriétaire du champ, au cours de la journée. A 8h, je suis allé dire bonjour à mon voisin Halidou. C'est pendant que je discutais avec lui, que des jeunes sont venus l'informer qu'un homme a été retrouvé mort, dans son champ. Dès que nous avons appris la nouvelle, nous y sommes allés. Arrivé sur les lieux, je ne me suis pas approché. Mais, j'ai vu effectivement un corps qui était couché. Je suis reparti faire des courses en ville. De retour vers 10-11h, j'ai constaté qu'il y a eu une chasse à mes enfants, par plus de 1 000 personnes. Trois de mes fils ont été dépecés et un autre a été lapidé, à mort », telle est la version servie par Seydou Diallo. A Idenia Cora, village de l'agriculteur Ouéna Kané, les villageois n'entendent pas les choses de cette oreille. En effet, selon la version servie par le fils de l'agriculteur défunt, OuénaIdé, ce sont les enfants de Seydou Diallo qui ont frappé son père jusqu'à mort. « Mon père m'a réveillé à l'aube pour aller au champ, parce que la pluie se préparait. C'était pour surveiller le champ afin que les animaux ne l'envahissent pas. Arrivés au champ, nous sommes allés nous abriter, dans une maisonnette construite, en cas de pluie. Quand il a commencé à pleuvoir, nous avons vu que les animaux des Peulh traversaient le champ. Mon père est alors sorti de la maisonnette pour aller chasser les animaux. En ce moment précis, j'ai vu que 4 éleveurs peulh se sont mis à frapper, à coup de bâton, mon père est tombé. Vu que je suis jeune, je me suis abstenu d'aller le défendre parce que je pouvais aussi avoir le même sort. C'est alors que je suis reparti à la maison pour informer la famille de ce que j'avais pu voir en brousse. Ayant appris la nouvelle, les villageois sont sortis. Et cela a conduit au massacre que nous avons connu », a confié le fils de l'agriculteur, sous le regard des membres de la famille, sortis nombreux, pour assister à notre entretien. Pour Seydou Diallo, s'il y avait eu un incident au champ, ses enfants lui auraient certainement confié leur mésaventure. Aussi, pour lui, rien ne prouve que l'agriculteur soit mort de coups et blessures. « Je ne peux pas dire de quoi est mort l'agriculteur. Quand mes enfants sont revenus, je n'ai pas constaté quelque chose d'anormal chez eux. Ils m'ont tout juste dit qu'ils avaient ramené les animaux », a-t-il dit. Du côté des villageois, ces propos ne sont que fausseté. Ils ont confié avoir supporté les mauvaises conduites de l'éleveur. « Après avoir frappé à mort Ouéna Kané, les enfants du Peulh lui ont raconté l'histoire, avec une certaine fierté », a confié Ouéna Yerbiré qui dit être lassé de l'attitude des Peulh, dans le village. Selon lui, l'année passée, une dame a été tuée par un éleveur. Ce dernier ayant caché le corps, ce n'est que 3 jours après que le corps a été retrouvé.
Le film de l'événement
Au CSPS de Tiébélé, 7 membres de la famille de Seydou Diallo ont été admis pour des soins après l'affrontement. Seydou Diallo a fui son campement, laissant derrière lui, 21 bœufs, 26 moutons et 30 caprins. En réalité, ses maisons ont été brûlées. Drissa Diallo, un de ses fils, âgé de 17 ans, a survécu grâce à l'intervention d'un villageois. « Le lundi matin, après avoir conduit les animaux à la maison, je suis parti au marché à vélo avec mes grand-frères. Après avoir fait mes emplettes, j'ai repris la voie de la maison. Chemin faisant, j'ai été intercepté par des gens qui m'ont roué de coups de poings. Je leur ai demandé ce qu'il y avait. Mais, ils ne m'ont pas donné d'explication. Ils m'ont conduit chez eux et disaient qu'ils allaient me tuer. Et c'est un des leurs, un certain Paul qui m'a libéré de leurs mains. A peine, je me suis échappé, j'ai été rattrapé à nouveau pour être plongé dans une mare d'eau. Et c'est mon sauveur qui est encore venu à mon aide jusqu'à ce que la sécurité intervienne. Pour mes frères, ils sont allés les chercher au marché pour les tuer », a-t-il confié. Il présentait quelques égratignures sur le corps. Zénabo Bando, épouse de Seydou Diallo, vaquait tranquillement à ses occupations, quand elle a été envahie par ses bourreaux. Avec ses enfants, ils ont échappé à l'inquisition car les villageois avaient dit de les brûler vifs. « Nous étions au campement, en train de travailler. Entre temps, une foule de personnes est venue nous envahir. Tout en nous donnant des coups de machettes et de gourdins. Ces personnes nous ont enfermés dans une des maisons, avec pour but de nous brûler vifs. Nous devons notre vie à une femme qui est venue les supplier de nous épargner d'un tel sort parce que nous sommes vulnérables. Une de mes filles a été légèrement brûlée au bras », a raconté Zénabo Bandé. Elle dit avoir aussi assisté au lynchage de son fils Yacouba. « Il a été lapidé à mort devant mes enfants et moi. Et quand nous nous mettions à pleurer, ses bourreaux nous intimaient l'ordre de ne plus le faire sous peine de finir comme lui. Par la suite, c'est le chef de Guénon et les conseillers municipaux du village qui sont venus intercéder à notre faveur », foi de la première épouse de Seydou Diallo, assise sur un lit du CSPS en compagnie de ses enfants et coépouses. Nous avons pu effectivement constater qu'une de ses filles a été brûlée au bras gauche.
La médiation du chef de Guénon sauve des vies
Pour Frédéric Kodiori Avouyou, 1er adjoint au maire de Tiébélé, ce qui est arrivé à Idenia Moa, est tout simplement regrettable. Il dit avoir toujours les larmes aux yeux. « Les conseillers de Idenia Moa ont appelé le maire de la commune pour l'informer de la situation qui prévalait. En déplacement à Ouagadougou, celui-ci, m'a joint au téléphone pour me dire que le corps d'un agriculteur a été découvert dans son champ. Les conseillers avaient précisé qu'il y avait un conflit entre les agriculteurs, les Nankana et les éleveurs, les Peulh, depuis belle lurette. Les agriculteurs, selon les conseillers, ont tout de suite accusé les Peulh d'avoir mis fin à la vie de l'agriculteur. Informés de la situation, nous avons instruit de prendre toutes les mesures pour circonscrire les dégâts. C'est alors que le 2e adjoint au maire et le conseiller chargé des affaires générales, ont été désignés pour accompagner les gendarmes sur les lieux du drame », a confié le 1er adjoint au maire de Tiébélé. « Quand la gendarmerie et les conseillers sont revenus du terrain, aux environs de 22h, ils m'ont dit qu'il y a eu 4 morts, côté peulh et un mort, côté agriculteur. Je suis allé au dispensaire et j'ai constaté qu'il y avait 7 blessés, dont une fillette. Nous les avons assistés jusqu'à ce que le médecin-chef vienne de Pô nous prêter main forte. Il s'est attelé à donner les soins et à faire des sutures, surtout que les blessures étaient dues principalement à ces coups de coupe-coupe. J'ai assisté à tout cela jusqu'à ce que nous trouvions du pain et du lait pour les blessés », a-t-il ajouté. Le 2e adjoint au maire Boya Gongo qui a été sur les lieux, a confié avoir vu une population déchaînée qui voulait en découdre avec les Peulh. Après avoir constaté deux morts sur le champ et un blessé grave, Boya Gongo et les gendarmes ont fait appel à une ambulance pour l'évacuation. Mais, a-t-il dit, « la pression de la foule était telle que nous n'avons pas pu le faire surtout, qu'entre temps, nous tenions aussi à sauver Seydou Diallo et un de ses fils qui ont été ramenés de la brousse par les agriculteurs. » Il a confié, en outre, que les dégâts ont été limités, à cause de l'intervention du chef de Guénon qui a intercédé en faveur des Peulh 1
Par Raogo Hermann OUEDRAOGO