Le samedi 12 octobre 2013, il était 17h lorsque nous faisions notre entrée dans le village où l'événement malheureux a eu lieu. Ce village appelé Doussi est situé à quelques centaines de mètres du domicile du préfet. Une fois dans le village, nous sommes témoin d'un spectacle désolant. A part l'église des Assemblées de Dieu (AD) et le domicile du pasteur, restés intactes, les habitations de Kohio sont décoiffées ou percées de gros trous par endroits ; d'autres sont incendiées.
La version des faits, selon la famille Gnoumou
Nous sommes dans la famille Gnoumou située à quelques jets de pierre du domicile du pasteur Mathieu Gnoumou. Ladite famille, avec à sa tête Patrice Gnoumou, nous accueille à bras ouverts. Une bonne ambiance règne dans la cour des Gnoumou. Certains se tapotent l'épaule, d'autres discutent et d'autres encore cherchent à s'approprier les journaux que nous avons envoyés. On se rue sur les journaux des Editions « Le Pays ». Patrice Gnoumou, le porte-parole de la famille, ne sachant pas s'exprimer en français, s'attache les services d'un élève. Selon Patrice Gnoumou, « les Kohio sont des allogènes venus trouver à Doussi, leurs parents qui les ont accueillis, leur ont donné des terres à défricher et l'entente jusque-là était cordiale entre eux ». Des Kohio se seraient même mariés à des Gnoumou et ont eu des enfants jusqu'en 2011. Mais avec l'arrivée du jeune pasteur Mathieu Gnoumou, poursuit-il, les Kohio ont estimé que ce dernier parlait trop de sorcellerie dans ses prêches ; lui et leur famille se sont sentis visés et l'on aurait dit au pasteur que leur mère est une sorcière. Luc Kohio et ses frères sont alors montés sur leurs grands chevaux ; ils ont voulu s'en prendre au pasteur Mathieu Gnoumou. Mais avec les différentes médiations entamées depuis 2011 par les différentes autorités coutumières, religieuses et administratives, il y a eu une période d'accalmie jusqu'au 29 septembre 2013, date à laquelle Luc Kohio, ses frères et le pasteur ont été à nouveau invités chez le chef du village de Doussi pour une nouvelle médiation. Malheureusement, la médiation s'est terminée en queue de poisson. Luc Kohio, se sentant blessé dans son amour propre, a invité sa famille à se rendre chez le pasteur pour lui régler ses comptes. Ces derniers étaient armés d'armes blanches avec pour but de lui casser la tête. Les Gnoumou, restés au village, ne savaient pas ce qui se tramait chez le pasteur. « Quand ma femme à vu les Kohio se diriger vers le domicile du pasteur, elle a vite couru pour l'en informer afin qu'il se sauve. C'est à ce moment qu'elle a reçu un coup de gourdin sur la tête. Elle est tombée et s'est évanouie. N'ayant pas pu se sauver à temps, le pasteur et sa femme seront attaqués à l'arme blanche par cinq jeunes Kohio. Mais le pasteur réussira à se défaire des griffes de ses bourreaux. Quant à sa femme Germaine W. Gnoumou, elle sera laissée à la merci des Kohio jusqu'à l'intervention des Gnoumou. Blessée, elle sera transférée au dispensaire de Bagassi. Là-bas, les jeunes Gnoumou seront attaqués par les jeunes Kohio au dispensaire. Et c'est au dispensaire que Amos Thévoum Gnoumou a reçu des coups de la part des jeunes Kohio dans la soirée du 3 octobre, ce qui sera à l'origine de sa mort (il était âgé de 24 ans), le 7 octobre 2013. La police est intervenue au dispensaire. Les jeunes Gnoumou n'ayant pas supporté cette mort, sont allés dans la soirée du 7 octobre 2013, chasser les Kohio du village jusqu'à Bagassi », a confié Patrice Gnoumou. Et d'ajouter que les deux familles ne peuvent pas cohabiter dans ce village. Pour lui, le pardon n'est plus à l'ordre du jour car dit-il, cela fait trois ans qu'ils passent leur temps à demander pardon aux Kohio.
Une émotion vive dans la famille du défunt
Après cette visite chez Patrice Gnoumou, nous mettons le cap sur la cour du chef du village, Kani Gnoumou, par ailleurs père du défunt. Le chef et la mère du défunt disent porter le deuil de leur fils qui n'avait que 24 ans et qui venait même de finir sa formation en couture. Il s'apprêtait d'ailleurs à ouvrir son atelier après avoir eu une machine à coudre. Le chef du village condamne « l'ingratitude » des Kohio à qui, eux, les Gnoumou, ont tout donné dans ce village et qui, aujourd'hui, ne veulent pas les voir sur leur propre terre. Tout en déplorant cette situation, il dit militer pour la paix dans le village et pour le retour au calme.
Quant au retour des Kohio dans le village, il ne veut pas se prononcer sur le sujet car, soutient-il, l'affaire est entre les mains des autorités et c'est à elles seules que revient la charge de décider. La maman du défunt est, elle, inconsolable. Même si elle se résout à prendre une photo, la main posée sur la tombe de son fils.
Le pasteur Mathieu Gnoumou se défend
Le lendemain dimanche 13 octobre à 8h, nous sommes à l'église des AD où la veille, nous avons pris rendez-vous avec le pasteur. Mathieu Gnoumou nous confie que le thème de la sorcellerie n'était pas le seul qu'il abordait dans ses prêches et qu'il n'a jamais taxé ni Luc Kohio, ni Ernest Kohio, ni leur maman de sorciers. Mais, selon lui, Luc Kohio, a voulu faire de la sorcellerie un prétexte pour ne pas le voir à la tête de l'église. Il avancera à ce propos qu'après plusieurs médiations depuis 2011 jusqu'à l'incident malheureux du 7 octobre dernier, Luc Kohio et ses frères l'ont toujours combattu.
Et devant le préfet, Luc Kohio aurait dit qu'il a voulu que le préfet fasse partir le pasteur du village. Ce que le préfet n'était pas habilité à faire, l'affaire ne relevant pas de sa compétence. Et comme Luc Kohio n'a pas eu gain de cause après toutes ces tentatives, il aurait donc « monté » ses frères, le 3 octobre, afin qu'ils viennent chez lui à l'église et à domicile pour l'agresser après avoir battu sa femme W. Germaine Gnoumou qui s'en est tirée avec un doigt fracturé et ce, suite à son transfert au CSPS de Bagassi. Aujourd'hui, loin de son domicile et de son église, il prône la paix en tant qu'homme de Dieu, mais dit être déçu de l'attitude de tous car le problème qui date de longtemps aurait pu, selon lui, être réglé si chacun y avait mis du sien. Retranché à Bagassi, il attend la décision de ses chefs hiérarchiques et des autorités administratives (le préfet et le haut-commissaire) sur l'issue à donner à cette affaire.
La famille Kohio s'explique
Nous nous sommes entretenus aussi avec les sinistrés sur leur site où nous avons rencontré les Kohio. En l'absence de Luc Kohio, c'est Ernest Kohio (frère de Luc Kohio) qui nous accueille ainsi que ses frères sous une tente de fortune qui leur sert de maison. Ernest Kohio nous donne sa version des faits. Il accuse le pasteur Mathieu Gnoumou d'être la personne qui a apporté la discorde dans le village depuis son arrivée en 2011. Pour lui, les Kohio avaient voulu avoir les preuves de ces accusations le 3 octobre dernier, en se rendant au domicile du pasteur et à l'église. Mais la femme du pasteur leur aurait manqué de respect ce jour-là, et son mari n'aurait rien fait pour la ramener à l'ordre. C'est de là qu'est partie leur colère, qui a entraîné l'affrontement entre les Gnoumou et les Kohio et qui a été suivi de la traque des Kohio dans le village, occasionnant la destruction de biens et faisant des blessés de leur côté. Deux des leurs se trouvent dans un état critique, blessés à la tête et se trouvant à Boromo pour des soins. Tous disent déplorer ce qui est arrivé et souhaitent que les autorités en charge du dossier trouvent vite une solution afin qu'ils regagnent leurs maisons dont certaines ont été détruites à moitié et d'autres décimées. Ils prônent l'apaisement et déplorent la mort du jeune Gnoumou. Le préfet de Bagassi dit avoir foi en l'avenir. Les choses sont, certes, difficiles, mais rentreront vite dans l'ordre, espère-t-il.
Néhémie Tingandé Zoundi assure, à son niveau, qu'ils feront tout pour que les choses aillent dans le sens de l'apaisement entre les deux familles. Et d'ajouter que c'est ce qui a d'ailleurs toujours été fait, mais malheureusement, les choses ne sont pas allées dans le bon sens jusqu'à ce qu'il y ait ce drame du 7 octobre 2013. Le préfet rassure : les choses commencent à rentrer dans l'ordre et dans les jours à venir, « des solutions seront trouvées ».
Ambèternifa Crépin SOMDA et Issa Ben TRAORE