Expertise de la tombe de Sankara : «Il n'y a pas de problème si c'est pour chercher la vérité» (Mgr Paul Ouédraogo, Archevêque de Bobo Dioulasso)

| 24.11.2014
Réagir
Expertise de la tombe de Sankara : «Il n'y a pas de problème si c'est pour chercher la vérité» (Mgr Paul Ouédraogo, Archevêque de Bobo Dioulasso)
© DR / Autre Presse
Expertise de la tombe de Sankara : «Il n'y a pas de problème si c'est pour chercher la vérité» (Mgr Paul Ouédraogo, Archevêque de Bobo Dioulasso)
La société civile et les partis politiques ont pressenti et même inscrit son nom sur la short-list de trois noms déposée sur la table du comité de désignation du président de la transition politique burkinabè. Mais c'était un coup d'épée car Mgr Paul Ouédraogo, archevêque de Bobo-Dioulasso et président de la conférence épiscopale Burkina/Niger n'était pas intéressé par le job et mieux, son état clérical lui interdisait d'assumer une telle fonction. Outre cette précision, dans ce bref entretien qu'il nous a accordé le 22 novembre 2014 au presbytère de la paroisse Sacré-Cœur de Toma, le prélat a estimé qu'il n'y avait aucun problème à expertiser la tombe de Thomas Sankara pour s'assurer de l'authenticité de sa sépulture. Il a du reste rappelé que la justice française a récemment autorisé l'exhumation des crânes des moines de Tiberine assassinés en Algérie.


Pourquoi avez-vous refusé d'être président de la transition politique au Burkina ?

Je ne pouvais pas être le président de la transition car c'est contraire aux principes de l'Eglise catholique. Il faut dire qu'il y a une confusion que les gens font. Que ce soit au Bénin, au Congo, en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) ou au Togo, des évêques ont été appelés pour présider la conférence nationale souveraine et non diriger le pays. On suspendait provisoirement les pouvoirs du président et un Premier ministre gérait en attendant la fin de la conférence puis le président reprenait son fauteuil. Vous avez vu que Mobutu, Denis Sassou Nguesso ou Eyadéma ont chacun repris la présidence de leur pays. Ce n'est pas la même chose au Burkina où on voulait un vrai président au sens plein du terme.

Un évêque peut être président de conférence nationale souveraine ou à la limite président de Parlement provisoire mais jamais président de la république d'autant plus que dans toutes les constitutions des pays francophones, les présidents de la république sont chefs suprêmes des armées. Vous n'aurez jamais un évêque chef suprême des armées. Ce n'est pas notre travail de diriger une armée.

C'est donc pour des questions de principe que vous n'aviez pas accepté être candidat pour présider la transition ?

Oui, je ne peux pas être chef des armées.

Mais pourquoi la société civile et les partis politiques ont insisté pour maintenir votre nom sur la liste des présidentiables ?

Ce n'est pas moi qui ai mis mon nom sur la liste. C'est des gens peut-être qui ne le savaient pas qui ont mis mon nom et puis je leur ai dit que ce n'était pas possible en essayant de leur expliquer pourquoi je ne pouvais pas être président de la transition.

Peut-être qu'ils espéraient que le Vatican allait vous faire une dérogation...

Ce n'est pas une affaire de Vatican. Je vous informe que même le Vatican n'a jamais accepté qu'un évêque monte sur un fauteuil pour être chef des armées.

Pourtant il se susurrait en ville que vous attendiez l'aval du Vatican...

Non, ce n'était même pas nécessaire de demander quoi que ce soit au Vatican. Comme je viens de vous l'expliquer, un évêque ne peut pas être le chef suprême des armées. Et même ce que vous avez vu ailleurs ne ressemble pas à ce qu'on voulait faire ici au Burkina. La différence, elle est nette. Je leur avais dit que ce n'était pas la peine d'insister et qu'il fallait rayer mon nom de la liste des présidentiables. Par contre, en tant qu'Eglise, nous pouvons aider à trouver quelqu'un pour diriger la transition et celui qui sera désigné, nous allons l'accompagner de nos pensées, de nos prières et de nos conseils. Il n'y a vraiment pas de problème à ce niveau, trouvez-nous quelqu'un qui écoute. Si on nous avait écouté, on n'en serait peut-être pas là aujourd'hui.

On a trouvé un civil pour diriger la transition, Michel Kafando, mais il a nommé un militaire à la primature. Qu'en pensez-vous ?

Moi, j'attends de voir. Mais ce dont je suis convaincu en mon for interieur, c'est que cette transition n'est possible que dans le dialogue avec les militaires. Il faut composer avec eux. C'est une question de sagesse, c'est également une question de réalisme.

Monseigneur, vendredi, le président de la transition a décidé, lors de son investiture, d'autoriser, par le fait du prince, les investigations pour identifier la sépulture de Thomas Sankara. On sait que sur ce dossier, la justice a traîné les pieds et s'était même déclarée incompétente pour trancher de cette affaire...

Moi, j'étais en route pour Toma et je n'ai pas pu suivre cette cérémonie. Je n'ai donc pas entendu le président.

Mais à ce sujet, il n'y a pas de vrai problème. Si on estime que c'est nécessaire, ça peut se faire. La justice française vient d'autoriser l'exhumation des têtes des moines de Tibérine en Algérie... Si c'est une question de recherche de vérité, d'être sûr que c'est bien lui (Sankara) qui est dans la tombe, il n'y a pas de problème.

Pour certaines personnes, il s'agit là d'une décision populiste prise par le président Michel Kafando

J'avoue que je n'ai pas entendu la déclaration du président si bien que je ne peux pas encore en juger. Moi, j'ai besoin de l'ensemble de son discours pour essayer de le décrypter.

Avec ce qui se passe dans notre pays, on peut affirmer que les hommes politiques feraient mieux d'écouter également la voix de l'Eglise catholique quand on sait qu'elle avait interpellé Blaise Compaoré sur toutes ces questions qui ont finalement provoqué sa chute.

Non, ce n'est pas la voix de l'Eglise, c'est la voix du peuple. Généralement, nous ne faisons que transmettre une partie de ce que nous entendons auprès du peuple que nous fréquentons dans le cadre de notre ministère apostolique. On regarde et si on voit des choses, pour ce qui est du bien commun, on s'exprime.

Je pense que l'Eglise a aussi une mission d'éveilleur de conscience, nous avons une mission de guetteur... Le peuple qui nous est confié est également le même peuple au service duquel sont les politiques. Et chaque fois que le bien de ce peuple est en cause, c'est un devoir pour l'Eglise, non seulement de se prononcer, mais de prendre position.

Propos recueillis par
San Evariste Barro

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité