Ils ont pour noms administrateurs civils, aides-laborantins et techniciens supérieurs de laboratoire d’élevage, agents techniques, techniciens supérieurs et conseillers d’élevage, assistants en sciences et techniques de l’information et de la communication/section Programmes (journalistes), etc. Formés aux frais de l’Etat, deux années durant pour les uns et trois pour les autres ; depuis juillet 2015, ces nouveaux fonctionnaires sont en attente d’affectation, jusque-là. A la sortie de leurs écoles professionnelles respectives, ils ont été mis à la disposition de leurs ministères de tutelle pour emploi. En attendant l’appel de l’administration publique, ces fonctionnaires « actifs, productifs et salariés du public », aux yeux de leurs parents et amis, se tournent les pouces à domicile. Certains se sont reconvertis dans d’autres métiers. Ibrahim Diendéré, près de la trentaine, est un technicien supérieur en laboratoire d’élevage de l’Ecole nationale d’élevage et de la santé animale (ENESA). Rencontré le mercredi 13 janvier 2016, il dit « se débrouiller » dans la confection de pavés et le chargement de ciments dans les camions. « Il y a plus de six mois de cela, on est assis. Nous n’avons pas été affectés ni mandatés. Au mois de novembre 2015, le ministère des Ressources animales et halieutiques nous a appelés. Il nous a été demandé de nous inscrire sur une liste qui prouve que tous les élèves sortant de l’ENESA sont affectés à la direction générale des vétérinaires », explique le technicien supérieur. Là-bas, le personnel a dit n’avoir pas d’instructions l’autorisant à accueillir ces nouveaux fonctionnaires, foi de M. Diendéré. « Nous sommes revenus à la maison dans l’espoir qu’on nous rappelle, mais jusqu’à présent, rien n’y fit », déclare-t-il.
« Sans mandatement, pas d’affectation »
Les nouveaux journalistes, quant à eux, affirment que le ministère de la Communication attend l’acte d’intégration de celui chargé de la Fonction publique avant de les affecter. « Sans dossier d’intégration, on ne peut pas dire qu’on a été recruté par la Fonction publique. Il s’agit d’une décision, d’un arrêté qui permet à notre ministère de mandater ces agents et de les affecter. Sans arrêté pas de mandatement, sans mandatement pas d’affectation », développe Romuald Patrice Toé, journaliste. Il dit s’être rendu à plusieurs reprises au ministère de la Fonction publique pour suivre le dossier de ses camarades et lui. Ce ministère, selon M. Toé, évoque « des problèmes de connexion internet » et l’absence de certains responsables pour cause de mission, empêchant, de fait, les agents de travailler à temps plein et le traitement diligent des dossiers. L’assistant en sciences et techniques de l’information et de la communication/section Programme pointe aussi du doigt la lenteur administrative. « Sinon comment comprendre qu’un dossier d’une quinzaine de personnes puisse faire plus de deux mois dans une même direction (direction du Contrôle financier du ministère de la Fonction publique, ndlr?)», s’interroge-t-il. De son avis, leurs dossiers sont arrivés à la direction du Contrôle financier le 04 novembre 2015 et jusqu’à présent ils n’ont pas encore franchi ce cap. Et Boudayinga Thienon, aussi journaliste, de renchérir: « Nous sommes allés à la direction générale des carrières au niveau de la Fonction publique. Ils nous ont fait comprendre qu’il faut attendre le nouveau gouvernement pour qu’ils puissent continuer le traitement de nos dossiers ».
La Fonction publique, fautive ?
Lorsque nous avons approché les Directions des Ressources humaines (DRH) des ministères de tutelle pour avoir des explications sur la situation de ces nouveaux fonctionnaires, toutes renvoient la balle au ministère de la Fonction publique. « Les élèves fonctionnaires sont enrôlés à la fin de leur formation, ils doivent déposer leur diplôme d’engagement ou d’intégration. Ces dossiers sont constitués et envoyés au ministère de la Fonction publique pour la signature de l’acte d’engagement. C’est après cette signature qu’ils sont autorisés à être affectés », justifie la DRH du ministère des Ressources animales et halieutiques, Aïssata Gaye. Pour elle, si un agent non engagé commence à travailler et pose «un acte technique très grave», c’est l’administration qui est «fautive», car l’agent n’ayant aucun contrat avec elle. A en croire, Mme Gaye, c’est au niveau de la direction du Contrôle financier que les dossiers trainent. Chose normale, selon elle, dans la mesure où cette structure prend le temps de procéder à la vérification de toutes les pièces avant de les faire signer. Au ministère chargé de la fonction publique, on se veut clair : « L’acte d’engagement est différent de la mise à disposition d’un agent à un ministère pour affectation », confie le Secrétaire général dudit ministère, Koudbi Sinaré. Et d’ajouter que le problème d’affectation est «une affaire purement interne» aux différents ministères. A ses dires, les fonctionnaires formés dans les écoles spécifiques des différents ministères, comme les journalistes et les techniciens supérieurs en élevage, sont remis systématiquement à leurs ministères de tutelle à la fin de leur formation. « Ces agents peuvent être affectés pendant que le processus d’engagement est en cours », avance-t-il. Seuls les élèves fonctionnaires de l’Ecole nationale de l’administration et de la magistrature (ENAM) qui sont formés et destinés à tous les ministères doivent attendre. A ce niveau, la Fonction publique prend « un acte intermédiaire » pour situer les intéressés qu’ils ont été mis à la disposition de tel ou tel autre ministère en attendant l’acte d’engagement. Aux ministères qui prétextent du mandatement des agents avant leur affectation, M. Sinaré répond : « L’acte d’engagement prend effet pour compter du lendemain de la délibération de l’école. Ce qui permet, du point de vue de la rémunération, à l’agent d’être pris en compte à partir de cette date ».
Le gouvernement Paul Kaba Thièba, l’espoir ?
Pour le S/G de la Fonction publique, le problème est à chercher ailleurs, notamment au niveau des services informatiques. « Ici, nous avons un vrai problème de connexion. Pourtant les actes se font sur le réseau SIGASPE (Système intégré de gestion administrative et salariale du personnel de l’Etat, ndlr)», insiste-t-il. L’autre difficulté est le manque de fluidité dans le circuit de transmission des dossiers entre la Fonction publique et les autres ministères. Car, selon Koudbi Sinaré, les dossiers ne parviennent pas à temps à son ministère. Evoquant le problème des élèves de l’Ecole normale supérieure de Koudougou (ENSK) qui ont manifesté récemment leur mécontentement, il fait savoir que ce n’est qu’en fin octobre 2015 que le ministère chargé de l’éducation nationale a expédié les dossiers de ces élèves alors que ceux-ci ont fini depuis juillet de la même année. Du ministère des Ressources animales à celui de la Fonction publique, tous demandent la compréhension et la patience des nouveaux fonctionnaires. « Sinon notre souhait est d’envoyer immédiatement les agents sur le terrain car nous sommes dans le besoin », laisse entendre la DRH du ministère des ressources animales et halieutiques, Aïssata Gaye. L’un dans l’autre, ces fonctionnaires disent traverser « une situation déplorable, insoutenable et même pitoyable ». « Six à sept mois à Ouagadougou, sans un (1) F cfa, convenez avec moi que ce n’est pas du tout aisé. Je me demande qui est ce bailleur qui va accepter que son locateur fasse 2, 3 ou 4 mois sans le payer ? », se demande le journaliste, Romuald Patrice Toé. Pour Daniel Larba Ouédraogo, sa formation de technicien supérieur de laboratoire d’élevage de l’ENESA a pris un coup. Il dit avoir perdu la main et il lui faut un recyclage.
Pour ces fonctionnaires « dans la nature », le nouveau gouvernement représente tout un espoir. « Nous souhaitons que le Premier ministre Paul Kaba Thièba, puisse se pencher sérieusement sur notre situation », émet M. Ouédraogo. Avant de conseiller qu’on revoie « le système de traitement des dossiers au niveau de la Fonction publique ».
Djakaridia SIRIBIE