Le portefeuille I
Dans ma tête, deux forces opposées se disputaient. Entre elles se trouvait un vide prêt à accueillir celle qui vaincrait. Je sentais dans ma tête comme un grand arbre au milieu d'une forêt dense, balançant de tous les côtés sous l'effet d'une forte tempête.
- Vous devez le déclarer à la police.
· Non-sens ! Stupidité ! Aucune personne sensée ne cracherait un morceau juteux que la chance lui a mis dans la bouche.
- Honnêteté, sincérité, sens du devoir. Des objets ramassés doivent être déclarés et déposés au commissariat de police. Le sens du bien commun, sens élevé de la morale.
· Idiotie ! Ceci est une aubaine. Divine bénédiction ! Ce n'est ni vol, ni escroquerie. Mâche et avale.
- Ni vol, ni escroquerie ! Oui, mais prends garde ! Les biens illicitement acquis ne portent jamais fruit. Le fruit de votre propre sueur vous sera d'une plus grande utilité que le fruit de la malhonnêteté, de la duperie, de la fraude et du vol.
Le rappel de ces mots transforma la tempête dans ma tête en un tourbillon d'une violence indescriptible, d'une violence sans précédent. Que de foutus mots! Honnêteté ! Sincérité ! Devoir ... Non-sens! Jamais biens mal acquis ne ...
A quoi servent tous ces beaux mots putrides? Ont-ils encore un sens ? Dans la confusion causée par le tourbillon, mon esprit fut pris de vertige et vit tout à l'envers, comme dans un rêve. De beaux palais et de grands bungalows retournés ; des voitures d'un luxe inégalé roulant sur leur toit ; des gens à la grande bouche et au gros ventre se déplaçant sur la tête. Et dans cette commotion, les mots, les beaux mots en putréfaction résonnaient continuellement dans ma tête : ... mal acquis, biens mal acquis, jamais biens mal acquis ne...
Le fruit du vol et de l'escroquerie magnifiés, des détournements bénis de deniers publics, de la malhonnêteté, de la duperie et de la fraude ! Des panses en sont pleines, pleines d'immondices. Le jour de la reddition des comptes, chacun paiera.
Le tourbillon était parti, et le rêve avec ; et l'évidence était toujours là, aussi visible que le nez au milieu du visage : des gratte-ciel pointant droit dans le ciel, des palais toujours brillants, des voitures bien plus luxueuses et plus chères.
Pendant ce temps de l'autre côté, d'innombrables millions de personnes misérables meurent de faim, se battant comme elles peuvent pour s'assurer tout au plus un repas par jour et de l'eau ... potable. Mais le mur est trop haut pour que les bénis puissent voir les déshérités mais suffisamment bas pour que les déshérités puissent observer les bénis. Des biens mal acquis ne portent certainement pas aux victimes, mais ils profitent indéniablement aux voleurs. Ouvrez simplement les yeux et regardez tout autour.
Le portefeuille II
Je fouillais ma poche à la recherche de mon mouchoir pour m'essuyer le visage en sueur, quand mes doigts touchèrent à nouveau le portefeuille. Mon attention en fut attirée de nouveau. C'était l'occasion de choisir mon camp. « Devrais-je demeurer pour toujours avec les déshérités ou devrais-je rejoindre le camp des bénis ? Devrais-je, au nom de la morale, de la justice et du devoir, faire une déclaration à la police ? Quelle est notre raison d'être sur cette terre ? » Ce fut ce moment précis que mon épouse choisit pour me faire sentir sa présence.
« Ca va bien, mon amour ? »
Un sursaut de surprise me tira hors de la profonde méditation dans laquelle j'étais plongé. Je réajustai mon siège et m'essuyai le visage avec la main. Je me mis à me caresser la moustache, ne sachant quoi lui dire.
« Je vois que quelque chose ne va pas. Cela fait un bon bout de temps que je t'observe. Qu'y a-t-il, chéri ?» continua-t-elle.
Je me levai, lui pris la main gentiment : « Allons dans la chambre »
Nous nous assîmes sur le rebord du lit et sans mot dire, je lui remis le portefeuille. Elle le tint dans la main droite, le contempla et me regarda.
« Ouvre-le, » lui dis-je.
Quand elle vit les brillants billets de banque si admirablement et si affectueusement classés les uns sur les autres, elle me sauta au cou, me donna un baiser. Elle embrassa les billets de banque avec envie en me caressant tout doucement, avant d'ajouter :
« Enfin tu as gagné à la loterie »
Le silence fut encore ma réponse. Elle essaya de lire quelque chose sur mon visage mais ce fut en vain. Elle mit fin à sa jubilation et pensa à haute voix :
« Ne suis-je pas en train de me ridiculiser ? Il ne peut avoir gagné à la loterie. Aucune personne sensée ne gagnerait une telle somme d'argent et toujours arborer une mine aussi songeuse. Où as-tu eu tout cet argent ? »
« Je l'ai ramassé sur le chemin de retour de travail », lui répondis-je.
« Quelqu'un t'a-t-il vu ? », s'enquit-elle.
« Je ne saurais le lire ».
« Que vas-tu faire maintenant ? », me demanda-t- elle.
« C'est à cela que je suis en train de réfléchir »
« Tu aurais dû m'expliquer ce qui s'est passé. Pourquoi m'as tu laissé exulter comme je l'ai fait ? Regarde comme je suis ridicule maintenant », se plaignit-elle.
« Tu n'es nullement ridicule. Il n'y a que nous deux ici », j'essayai de la réconforter. « Je t'ai fait appel afin que nous décidions de ce que nous allons faire de cet argent ; je veux dire de comment nous allons le dépenser »
Le portefeuille III
« Nous ne pouvons pas utiliser cet argent. Nous devons le remettre à la police et dire ce qui s'est passé. Le propriétaire pourra le récupérer quand il en déclarera la perte »
« Ma chère Jasmina, j'ai beaucoup réfléchi et ma décision est faite. Cet argent n'ira nulle part. Tu peux te remettre à jubiler »
« Je sais que nous avons un grand besoin d'argent», dit mon épouse, « mais je ne souhaiterais pas que nous l'obtenions de cette manière. Faire notre bonheur sur le malheur d'autrui ! Je ne pourrais le supporter. La meilleure chose à faire est de remettre l'argent à la police. »
« Ma chère épouse, je n'ai dépouillé personne de cet argent. Tu connais, autant que moi, des gens coupables de vol, de vol érigé en système de gestion des biens publics. Le mensonge, la fraude, la duperie et la force brute sont leurs principes de gestion de la cité. Pourtant, ces gens là sont mieux respectés, honorés et magnifiés sur cette terre. Ils savent que nous savons qu'ils sont des voleurs et des menteurs. C'est pourquoi ils nous persécutent dès lors que nous commençons à parler à haute voix de vol, de mensonge et de fraude. Rien d'autre ne compte pour eux. La seule chose dont ils s'assurent est qu'après avoir vidé une maison de ses richesses, ils puissent être orientés vers une autre maison mieux équipée et plus luxueuse, de sorte qu'en très peu de temps, ils puissent acquérir les plus grand diplômes en vol, mensonge et fraude : des comptes bancaires en Suisse, propriétés immobilières en France, voitures dernier cri venus tout droit des Etats-Unis ou du Japon. Es-tu plus heureuse que ces gens-là ? »
« Bien sûr que oui ! Je ne me sens pas coupable de tous ces vices. C'est un devoir de remettre cet argent à la police. »
« J'ai compris que la chose à faire par devoir moral ou par souci de justice n'est pas toujours la meilleure. Dans un monde où les vertus sont devenues des vices et les vices transformés en vertus, la meilleure chose à faire vaut mieux que la chose juste à faire. Je ne déposerai cet argent nulle part »
« Pourtant il le faut, chéri. Faisons la différence. »
Extrait d'un recueil de récits « Le portefeuille et autres histoires » (inédit)
Dépôt légal n° 099 - 12 décembre 2000 – Revue en janvier 2012
Mamadou SAWADOGO
Encadreur pédagogique
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