Depuis le 1er avril 2016, le ministre burkinabè de l’Éducation nationale a décidé d’un réaménagement des jours et des horaires de travail au niveau des écoles.
Cette novelle mesure, comme toute autre réforme, vise à améliorer la qualité des services et des rendements. Mais tel ne semble pas être le cas ici pour plusieurs raisons liées à la réalité socio-économique du Burkina.
L’effort intellectuel que demande l’enseignement : « Une bonne éducation doit se faire par le milieu en tenant compte de la nature du sujet à éduquer », soutiennent les pédagogues.
Or il se trouve qu’au Burkina Faso, il y a deux groupes d’élèves : ceux qui ont accès à l’éclairage la nuit pour étudier et ceux qui n’ont pas l’éclairage pour étudier (« les enfants de Mba boanga »). Ces derniers représentent plus de 60% des élèves du pays. Aussi plus de 50% des élèves qui ont accès à l’électricité sont sans suivi à la maison. Alors ces élèves et « les enfants Mba boanga » ou la quasi-totalité des élèves apprennent leurs leçons avec l’accompagnement des maîtres, parfois tôt le matin et le plus souvent entre 12h et 15h. Ces trois heures sont si précieuses, qu’elles sont consacrées à trois choses dans le système éducatif : le repas- le repos- les études.
La nouvelle mesure gouvernementale semble ignorer cela et les réduits à 2 heures pour les élèves des cours classiques et à 1 heure 30 minutes pour les élèves des classes multigrades, rendant ainsi son action inefficace par rapport aux rendements attendus. En effet, « les enfants de Mba boanga » qui n’ont ni suivi à la maison, ni éclairage la nuit pour étudier ; ou encore de quoi à manger à midi (raison de domicile éloigné de l’école et repas pas prêt à leur sortie) ne pourront pas se reposer afin d’apprendre en 2 heures leurs leçons, surtout que nous savons que quand le cerveau est fatigué, il ne peut rien retenir.
Dès lors deux possibilités s’offrent : soit l’enfant s’efforce pour apprendre et revient en classe à 14 heures ; tout fatigué et ne pouvant rien retenir ; soit il ne peut plus apprendre entre 14h et 16h.
A leur sortie, généralement après 12h, les maîtres disposent d’au minimum 1h 45mn pour se trouver de quoi manger, écouter les informations et satisfaire aux autres besoins.
Ainsi, dès 14h les maîtres sont à l’école pour animer les travaux de groupes, superviser les activités de « tutorat », corriger les exercices de remédiation, apporter de l’aide aux élèves (singulièrement à chaque élève en fonction de ses besoins).
C’est aussi le temps idéal pour les enseignants de se retrouver pour faire le point de leur demi-journée tout en cherchant des solutions auprès des uns et des autres afin d’améliorer.
En réduisant ces trois heures à deux heures, nous nous demandons à quel moment les maîtres mèneront ces activités si précieuses dont seuls les éducateurs connaissent la valeur. Hormis cela, nous savons tous que l’organisme humain ne peut supporter un travail intellectuel et physique pendant longtemps sans lui accorder un certain temps de récupération afin qu’il puisse répondre correctement à notre volonté. Continuons à nous poser certaines questions. L’élève sera-t-il dans de bonnes conditions d’apprentissage dans l’après-midi ? le maître, malgré sa bonne volonté, pourra-t-il s’attarder sur les détails et les explications afin que la majorité comprenne (« On ne commande à la nature qu’en lui obéissant » nous met en garde un pédagogue) ? Surtout que nous savons que le métier d’enseignement recommande la station debout, une constante répétition à haute voix et de la mobilité permanente. Pour nous résumer, disons que ce sont ces trois heures (12h à 15h) qui déterminent l’avenir de l’école des “enfants de Mba boanga“. En vérité, c’est à cette heure que les maîtres les obligent à apprendre leurs leçons. C’est également à cette heure que les élèves sont disponibles pour apporter de l’aide à leurs camarades. (Les tutorats s’appliquent ; les uns apprennent à lire ; les autres donnent des exercices aux faibles). C’est aussi à cette heure que la plupart des élèves sont dans de meilleures conditions d’apprentissage (loin de tout dérangement : médias, parents, frères et sœurs). C’est enfin à cette heure que les élèves s’échangent les techniques de résolution de difficulté et élucidation des zones d’ombres. Que deviendront alors les « enfants de Mba boanga » qui n’ont pas d’éclairage la nuit pour apprendre et qui n’apprennent qu’entre 12h et 15h ?
Mais ils ne sont pas les seuls à subir les inconvénients de cette mesure. Tous les enfants du système vont en payer les frais. Après des heures d’activités (de 7h 30mn à 16h) sans un véritable repos, la fatigue et le sommeil sont au rendez-vous dès la nuit tombée. Impossible d’apprendre quoi que ce soit. Mais au juste, à qui profite cette mesure ? Sans doute les maîtres trouveront des excuses de leur mauvaise prestation due à la fatigue de l’après-midi. Pourtant tout système éducatif qui se veut efficace, doit être tant profitable à l’enfant qu’à l’éducateur. Le seul profit qui puisse réjouir un éducateur est le changement positif de la société grâce à ses actions.
D’ailleurs cette novelle mesure semble oublier une partie de ses sujets qui sont les élèves des classes multigrades ; puisqu’elle ne prévoit rien de spécial pour eux. Ou bien font-ils partie de l’éducation non formelle maintenant ?
Quand à l’élève, les fatigues physiques et intellectuelles accumulées ne lui permettront pas de mener pleinement ses activités sportives et autres après 16 heurs, d’où la diminution de ses potentialités. Plus loin certains parents ne sont pas épargnés par les conséquences de cette mesure. Ceux qui, à leur descente du travail, passaient chercher leurs enfants se voient obligés d’aller les chercher une heure plus tôt ou de les faire attendre à l’école. Si la recherche d’un bon rendement scolaire est le leitmotiv de cette mesure, elle n’est pas la bonne.
D’ailleurs pourquoi ce changement qui ne fait ni le bonheur du premier concerné qui est l’élève, ni le bonheur de la majorité des parents ?
La journée continue est-elle une obligation pour notre système éducatif ?
Tout changement est bon à opérer, il contribue à améliorer les conditions de vie sociale, mais j’ai peur de cette mesure qui soumet l’enfant à un rythme de travail sans un temps conséquent de récupération. Pourra-t-on aboutir aux résultats scolaires escomptés ?
Pour ma part, j’aurais souhaité la réduction des contenus à enseigner qui fera plus de bien à l’enfant plutôt que ce bouleversement qui ne facilité la tâche à aucun acteur du système éducatif.
Yacouba Koné