Ce sont des terribles mots qui renferment des réalités atroces et douloureuses, et traduisent la profondeur de la haine. Certains ont même failli être brûlés vifs, n'eût la présence de mains secourables. C'est dire qu'il y a quand même des gens qui ne partagent pas ce type de justice expéditive, quitte à se mettre à dos leur propre famille. Certes, on ne saura jamais qui a provoqué la crise. Encore qu'elle a des fondements anciens, si l'on en croit les témoignages des villageois. Mais rien ne peut justifier un tel déchaînement de haine entre des populations qui, au-delà de leurs différences culturelles, appartiennent à une même nation, une même patrie et une même espèce. Il y a là sans doute un motif d'inquiétude. Le Burkina est en train inéluctablement de dériver vers une intolérance ethnique, dont la première victime, disons-le ouvertement, est la communauté peule. C'est elle qui, sous l'appellation pudique et consacrée d'éleveurs, subit de plein fouet la dégradation des relations intercommunautaires au Burkina. C'est vrai que des conflits mettent aussi aux prises d'autres groupes socioculturels. Mais incontestablement, les éleveurs peuls paient le plus lourd tribut des conflits ruraux. La deuxième grande victime de ces conflits meurtriers en milieu rural n'est autre que le tissu social. La cohésion sociale qui a fait la particularité du Burkina et lui a épargné bien des drames, connait de sérieuses fissures.
Comment recoller les morceaux d'un tissu aussi déchiqueté aussi bien à Tiébélé que dans d'autres localités du pays minées par ces discordes ? La cohabitation, autant le dire, est sans doute désormais impossible pour les éleveurs peuls à Tiébélé, qui sont condamnés à partir. Est-ce cela la solution ? Certainement non. Car les habitudes et les modes de vie resteront les mêmes, avec les Peuls qui auront toujours leurs troupeaux, les bœufs qui iront paitre dans la nature. On a depuis longtemps parlé de zones de pâturages et de transhumance comme une des solutions aux conflits récurrents agriculteurs -éleveurs. Si tel est le cas, il va sans dire que l'Etat a échoué. L'incapacité de l'Etat, tant dans la prévention que dans le règlement des crises, est flagrante. Malgré les alertes et les signaux rouges, quand la situation est critique, rien n'est fait pour amener les communautés en désaccord à éviter l'affrontement. Non contentes d'être impuissantes à juguler les tueries, les autorités se montrent aussi laxistes quand il s'agit gérer la période post-crise. Justice est rarement rendue. A cette soif de justice non étanchée, il faut ajouter le non fonctionnement des mécanismes de réconciliation. Bref, peu d'efforts sont faits pour régler définitivement cette question. Il ne suffit pas d'accourir après chaque drame avec des enveloppes et de simples mots de condoléances. Le suivi du problème doit être rigoureux jusqu'à ce qu'il connaisse un règlement définitif. Il faut donc rendre justice aux victimes, communiquer sur les mesures prises et entretenir la flamme de la paix. Sinon, au rythme où vont les choses, il ne faut pas s'étonner que la vendetta prenne une autre dimension un jour au Burkina Faso. Les rancœurs et les frustrations longtemps contenues de part et d'autre, tous ces morts qui s'accumulent, sont une bombe à retardement. Voilà pourquoi il faut agir dès maintenant, par des mesures vigoureuses, avant qu'il ne soit trop tard.
La rédaction