Benoît Kambou (HCRUN) : « On ne réconcilie que ceux qui veulent être réconciliés »

| 29.12.2016
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Pr Benoît Kambou - Président du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité nationale (HCRUN)
© DR / Autre Presse
Pr Benoît Kambou - Président du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité nationale (HCRUN)
Le président du Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale (HCRUN), Benoît Kambou, a la charge de réconcilier les Burkinabè, dans le contexte post- insurrectionnel et transitionnel. Une mission délicate qui passe par le traitement des dossiers de crimes non élucidés depuis 1960. Dans cet entretien accordé à Sidwaya, ce spécialiste du droit revient, entre autres, sur le bien-fondé et les prérogatives du HCRUN, structure fonctionnelle depuis le 15 janvier 2016.


Sidwaya (S.) : Quelles sont les raisons qui ont prévalu à la création du HCRUN ?

Benoît Kambou (B. K.) : Le HCRUN est né des cendres de la Commission de réconciliation nationale et des réformes (CRNR), qui comprenait 5 sous-commissions, dont celle Vérité, Justice et Réconciliation. Cette dernière avait fait un certain nombre de recommandations et compilé des dossiers au nombre de 5 065. Il y a des dossiers de crimes de sang, de crimes économiques et d’autres portant sur différentes formes d’atteintes aux droits humains. Cette sous-commission ayant recensé ces dossiers, il appartient à une autre structure qu’est le HCRUN de les examiner et de proposer une suite après leur traitement. Nous sommes les héritiers de la sous-commission Vérité, Justice et Réconciliation. Bien sûr, nous ne sommes pas la première institution à agir sur ce domaine, puisqu’il y a eu le Collège des sages, le Comité national d’éthique et la CRNR. Nous venons après toutes ces structures qui avaient pour mission d’œuvrer à la réconciliation nationale, chacune avec des fortunes diverses.

S. : Quelles sont les missions assignées au HCRUN ?

B. K. : La première mission est la mise en œuvre des recommandations de la sous-commission Vérité, Justice et Réconciliation. La deuxième consiste à contribuer à créer les conditions favorables à la cohésion sociale et à l’unité nationale. Cela passe par la révélation de la vérité dont les victimes ont droit. Parce que chacun veut savoir les raisons qui ont motivé les exactions que les victimes ou leurs proches ont subies. Après le droit à la vérité, il faut passer au droit à la justice qui n’est pas forcément la justice classique, c’est-à-dire la justice institutionnelle. Puisque nous passons là, par la justice transitionnelle, qui ne signifie pas qu’on se passe de la justice classique. On collabore avec la justice classique, mais on peut aller au-delà, lorsqu’on est en face d’un certain nombre de difficultés liées par exemple au formalisme juridique. Là où les dossiers sont déclarés clos pour question de délai ou de prescription, le HCRUN peut se reconnaître compétent pour connaître de ces dossiers. Il y a aussi les modes alternatifs ou traditionnels de justice, notamment la justice de réconciliation. Nous serons amenés à demander aux populations leur perception du processus et recueillir leurs propositions.

S. : A ce jour, vous avez traité combien de dossiers ?

B. K. : Pour ouvrir les dossiers, nous nous sommes d’abord dotés d’un certain nombre d’outils de travail. Je veux parler du règlement intérieur, du plan d’actions et de la stratégie de communication. Il faut ce préalable pour pouvoir examiner le fond des dossiers et définir la procédure devant le HCRUN. Après avoir élaboré tous ces outils, nous procéderons à l’ouverture des dossiers. Pour leur examen, on a dû envoyer des correspondances à un certain nombre de ministères qui nous serviront de partenaires. Parce qu’il y a des dossiers qui sont moins emblématiques que d’autres. Certains sont complexes et nécessitent le recours à une expertise. Par exemple, lorsque des victimes demandent une somme à titre d’indemnisation pour des maisons rasées, il faut recourir à une expertise pour fixer le montant. Il y a aussi des dossiers qui sont beaucoup plus faciles à régler, notamment ceux portant sur les décisions juridictionnelles qui ne sont pas encore exécutées. Il y a des victimes qui ont par devers elles un certain nombre de décisions rendues en leur faveur mais elles ont du mal à les faire exécuter. Nous pouvons intervenir pour ordonner l’exécution.

S. : Quel est le statut réel du HCRUN, étant donné que vous ne relevez pas de la justice traditionnelle ?

B. K. : Le HCRUN n’est pas un organe judiciaire au sens propre du mot. Nous ne sommes pas non plus un organe politique. Les textes nous définissent comme une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Cela veut dire que nous bénéficions d’une certaine indépendance au niveau de notre action. Parce que nous n’avons pas d’instructions à recevoir du pouvoir public. Mais, il se doit de nous donner les moyens de travailler. Les textes nous permettent également de faire des appels de fonds à l’extérieur dans le respect de la réglementation nationale.

S. : Qui met les moyens à votre disposition ?

B. K. : Pour le moment, c’est le budget national dont nous avons été dotés il y a 2 à 3 mois. Mais en plus de cela, nous venons de bénéficier d’un financement du PNUD à hauteur de près d’un million de dollars, pour une année.

S. : Au regard de l’environnement sociopolitique, pensez-vous que les Burkinabè sont prêts pour la réconciliation?

B.K. : Jusqu’ici, on pouvait affirmer que la réconciliation est possible. Mais, les récents incidents comme, ceux intervenus dans l’arrondissement 8 de Ouagadougou, mettent à rude épreuve le processus de réconciliation. On ne réconcilie que ceux qui veulent être réconciliés. La réconciliation est toujours possible, encore faut-il qu’on la veuille, parce qu’elle suppose aussi un don de soi, un effort, que l’on fasse violence sur soi-même pour l’accepter.

S. : Mais, peut-on pardonner sans savoir la vérité et sans qu’il n’y ait justice ?

B.K. : Si certaines structures ont échoué, c’était dû au fait que l’on a voulu faire la réconciliation par coup de décret sans chercher la vérité. Aujourd’hui, l’une de nos priorités, c’est d’abord la vérité, la justice, la réparation, ensuite l’engagement à faire en sorte que ce qui s’est produit ne se répète plus jamais. Beaucoup de gens ont fait observer que les structures antérieures n’ont pas eu de succès, ils pensent que le HCRUN finira de la même manière, mais nous croyons que nous ferons mieux, parce que nous nous attaquons aux vrais problèmes. Vous avez des victimes qui veulent savoir ce qui s’est passé réellement. Ce n’est pas tant la réparation qui les intéresse, c’est la vérité, l’origine des exactions subies par leurs parents.

S. : Comment comptez-vous réussir à établir cette vérité là où la justice elle-même n’a pas pu ?

B.K. : La loi nous donne un certain nombre de pouvoirs exorbitants. Je pense au pouvoir d’investigation. Elle nous autorise aussi à faire fi de la qualité officielle de certaines personnes, notamment celles qui bénéficient d’immunité ou qui peuvent bénéficier de loi d’amnistie ou de prescription, afin qu’elles ne puissent pas invoquer tous ces avantages pour se soustraire de la compétence du HCRUN. Sans oublier aussi que cette loi nous permet d’obliger toute personne, quel que soit son statut, à révéler des documents que nous souhaitons. Bien sûr que nous ne pouvons pas exercer ces pouvoirs tous seuls. C’est là que s’établit une passerelle entre le Haut conseil et la justice classique. Parce que nous sommes obligés à un certain moment ou à un autre de collaborer avec cette justice.

S. : Puisque vous parlez de méthodes alternatives, notamment de justice transitionnelle, comment peut-on concilier les différents types de justice ?

B. K. : Je n’ai pas d’exemples en tête. Ça sera l’objet des visites, des rencontres régionales que nous aurons à mener. Nous allons sillonner les chefs-lieux de provinces pour rencontrer les populations, leur demander leur perception du processus de réconciliation, et recueillir leurs doléances. En ce moment, on pourra savoir quels sont les modes de réparation souhaités. Pour certaines questions, on peut recourir à des religieux ou à des coutumiers, qui vont proposer certaines solutions dont nous allons nous approprier les résultats par la suite. Si les coutumiers estiment que coutumièrement on agit de cette façon par rapport à un dossier, nous leur confions le dossier et ils vont trancher selon la coutume. C’est comme si c’est le HCRUN qui a décidé. C’est entre autres formes alternatives de justice.

S. : A votre installation, vous aviez 5 065 dossiers sous la main. Avez-vous reçu en plus, ceux de l’insurrection et du coup d’Etat de 2015 ?

B. K. : Depuis notre installation, nous recevons des dossiers tous les jours. Par plus tard qu’il y a une heure (Ndlr : interview réalisée à 15h), une victime est venue déposer son dossier pour un événement qui remonte à 33 ans. Chaque jour, nous recevons des dossiers et la loi nous permet de continuer à en recevoir jusqu’à la fin de notre mandat qui est de 5 ans. Ils sont classés par thématique et lorsque viendra le moment de l’examen, nous les étudierons.

Nous avons une partie des dossiers de l’insurrection, notamment ceux portés par la Chambre de commerce. Il s’agit des dossiers de commerçants qui ont vu leurs biens disparus du jour au lendemain, pillés. Nous n’avons pas encore commencé à les traiter. Le reste des dossiers de l’insurrection est géré sur le plan gouvernemental par le pouvoir public. L’Etat a construit des maisons pour certaines victimes. Nous n’avons pas été associés, c’est dommage. Pourtant, tout cela fait partie de notre mission. Certains dossiers du putsch nous sont confiés également. Mais nous ne les avons pas ouverts. Nous allons pour le moment adresser des correspondances à un certain nombre de ministères qui vont nous aider dans l’analyse. Comme ils sont concernés par ces dossiers, ils pourront nous éclairer. Parce qu’il peut arriver que des victimes aient aussi commis des fautes pour vivre la situation qu’elles connaissent aujourd’hui. Donc, il nous faut procéder à des vérifications pour pouvoir faire la lumière, cela suppose que l’on instruise à charge et à décharge.

S. : Au terme des 5 ans, si d’aventure des dossiers restent ?

B. K. : Le législateur a proposé que si au bout de 5 ans il y a encore des dossiers, une possibilité de prorogation est envisageable. C’est-à-dire qu’on peut proroger notre mandat, peut-être pas avec les mêmes acteurs.

S. : Disposez-vous assez de moyens pour parvenir aux résultats escomptés au bout des 5 ans ?

B. K. : Aucune institution au Burkina Faso ne peut dire qu’elle a les moyens de sa politique. Le seul moyen dont nous disposons, c’est ce qu’offre l’Etat sur le budget national. Tout le monde connaît la consistance de ce budget, compte tenu des ressources de l’Etat. C’est justement conscient de cette situation, que le législateur nous autorise à faire des appels de fonds à l’extérieur, tout en respectant la réglementation dans ce domaine.

S. : Quel est votre message à l’endroit du peuple burkinabè ?

B. K. : On entend par-ci par-là que le HCRUN n’est pas très visible, n’est pas connu, qu’on ne nous voit pas sur le terrain. C’est vrai, on comprend l’impatience de la population, ce sont des critiques que nous prenons bien parce qu’elles sont faites en toute bonne foi et c’est la preuve que la réconciliation est un besoin social, une préoccupation nationale. Nous demandons à la population de prendre toujours son mal en patience, parce que ce domaine ne s’accommode pas avec de la précipitation. Quand vous vous précipitez, il y a de fortes chances que vous tombez sur des résultats qui ne sont pas forcément productifs. Nous assurons le pilotage institutionnel de l’œuvre de réconciliation nationale. Il y a un certain nombre de précautions que nous devons prendre, pour éviter d’être mis sous tutelle, d’être embrigadés, instrumentalisés par qui que ce soit. Il y a une coalition de partis politiques qui existe notamment la CODER qui parle de la réconciliation. Les OSC aussi parlent de la réconciliation. Tout le monde en parle. Il nous appartient de garder le leadership dans le domaine, pour que les messages que nous délivrons ne soient pas en contradiction avec les objectifs de cohésion sociale et d’unité nationale. Nous devons aussi essayer de rassembler tous ces acteurs, qu’ils soient politiques ou de la société civile, qui œuvrent pour la réconciliation nationale sincère.

Interview réalisée par :

Assétou BADOH
Djakaridia SIRIBIE

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