De la découverte du corps, le samedi 24 mai 2014 à Saponé, à la fuite des résultats d'autopsie sur le site de Jeune Afrique en passant par l'enquête policière et l'examen médico-légal, que de tâtonnements, de cafouillages, d'indélicatesses et d'incurie.
Quelque cinq jours après le décès de Salifou Nébié, c'est le Syndicat autonome des magistrats burkinabé (SAMAB) qui a tiré la sonnette d'alarme vu les «balbutiements et les hésitations dans la conduite de cette affaire qui laissent les magistrats perplexes et dubitatifs sur son aboutissement à des résultats utiles». (Lire l'Observateur Paalga du lundi 2 juin 2014).
«L'autopsie à ciel ouvert», pour confirmer ou infirmer les premières constations faites par un médecin burkinabè, interviendra dix jours après la découverte macabre. Raison invoquée par le Parquet général : défaut de matériels nécessaires à ce type d'examen ; d'où le recours à l'assistance technique d'un expert français, Stéphane Chochois de la Cour d'appel de Douai, descendu à Ouagadougou le 3 juin, kit en main. Car du côté de l'exécutif, c'est l'expertise locale qui manquerait le plus.
En effet lors du point de presse du gouvernement du 5 juin dernier, le ministre de la Communication, Alain Edouard Traoré, n'a-t-il déclaré ceci : « L'autopsie va au-delà des kits ; vous pouvez avoir les meilleurs kits, mais si vous n'avez pas les hommes qu'il faut, ça ne va pas servir ». En un mot comme en mille, le Burkina Faso manque de ressources humaines en matière de nécropsie.
Il n'en fallait pas plus pour que le Syndicat des médecins du Burkina (SYMEB) saute aux jugulaires du porte-parole du gouvernement, puis le renvoie, dans une déclaration (Cf. L'Observateur Paalga du 12 juin 2014), auprès de bien de ses collègues qui travaillent depuis plusieurs années avec des médecins légistes burkinabè pour «apurer son ignorance sur les hommes que le Faso possède».
A ce premier couac viendra s'ajouter un second autrement plus préoccupant :
selon notre confrère J.A., qui affirme avoir obtenu le rapport de l'autopsie «à ciel ouvert», le juge Salifou Nébié est mort «des suites d'un accident de la circulation, avec percussion violente par un engin indéterminé». Un des éléments de l'examen sur lequel s'est fondé l'expert français a été l'absence «de traces d'impact d'un quelconque objet contondant sur la tête» ;
des conclusions qui conduisent à l'exclusion de la thèse d'homicide volontaire. Pourtant, sur la base d'une première autopsie pratiquée par un médecin burkinabè qui évoque, lui, des traces d'objet contondant, le procureur général près la Cour d'appel de Ouagadougou, Wenceslas Ilboudo, avait déjà retenu la piste criminelle.
On n'en finit pas de voguer de contradiction en contradiction.
Comble d'interrogation, depuis que le cadavre a parlé à partir des labos en France selon le scoop paru sur le site de JA depuis vendredi dernier, au Burkina, c'est silence... de mort :
ni le pouvoir exécutif ni la justice, laquelle avait pourtant promis de communiquer sur le dossier, n'ont pipé mot.
Les avocats de la famille refusent de se prononcer, à juste titre, sur la base d'un document «officieux». Même rengaine du côté du Syndicat des médecins, qui attend, lui aussi, la publication officielle des conclusions de «l'autopsie à ciel ouvert» avant de réagir.
Pour beaucoup, ce mutisme assourdissant des autorités judiciaires et gouvernementales a valeur de confirmations des fuites parues chez notre confrère et dont l'origine continue d'intriguer.
Est-ce le médecin légiste de Douai qui a provoqué ce vent favorable au canard ? Dans ce cas il aurait très probablement violé un secret professionnel. En tout cas pour ce qui est de la loi française, «dans l'autopsie médico-légale, le médecin intervient comme auxiliaire de la justice. En raison du secret de l'information (Art. 11 du CPP), il ne peut révéler à d'autres personnes ce qu'il a appris à l'occasion de l'exécution de sa mission. L'expert ne doit communiquer à un autre médecin, à quelque titre que ce soit, intéressé par les constats d'autopsie, ses conclusions et a fortiori son rapport médico-légal». Vu que nos législations ne sont souvent rien d'autre que des copies-collées de celles en vigueur chez «nos ancêtres les Gaulois», les textes burkinabè disposent-ils autrement en matière d'examens post-mortem ?
Est-ce le Parquet général ou même la Chancellerie qui sont à la base de ces fuites ? Si tel est le cas, ce ne serait pas un acte dénué de tout calcul. Serait-ce là une manière de lancer un ballon d'essai avant l'annonce officielle ? La question mérite d'être posée.
En tous les cas, il y a comme une espèce de légèreté dans la gestion de l'affaire Nébié. Est-ce parce que du côté de la puissance publique on est en possession d'informations autres que celles véhiculées par l'opinion et sûre que la thèse du crime politique ne saurait prospérer ?
Que d'interrogations !
Alain Saint Robespierre